« Saltimbanque, arrivé a paris sans admiration extraordinaire, sans prétention ni désir, simplement avec sa maturité d'homme, riche de perceptions, riche de force créative ». Voici les mots de Manuel Álvarez Bravo pour décrire celui qui n'a laissé aucun écrit ou réflexion sur sa conception de la photographie. Et ce silence a fait couler beaucoup d'encre. D'autant plus que le photographe a également refusé toute mention de son nom sur ses oeuvres.
Une vitrine, Avenue des Gobelins à Paris, 1927 © Eugène Atget
Né en 1857, c'est en 1888 que Eugène Atget commence la photographie. Dans une annonce publicitaire parue dans La Revue des beaux-arts en 1892, il décrit ainsi son travail : « Paysages, animaux, fleurs, monuments, documents, premiers plans pour artistes, reproductions de tableaux, déplacements. Collection n'étant pas dans le commerce. »
Puis, c'est à Paris, ses rues et ses quartiers qu'il s'intéresse. Vers 1897-1898, à l’époque où est créée la Commission du Vieux Paris, il entreprend de photographier systématiquement les quartiers anciens de la capitale appelés à disparaître ainsi que les petits métiers condamnés par l’essor des grands magasins.
C'est grâce à Man Ray que Eugène Atget sort de l'ombre. En 1926, il publie anonymement trois de ses photographies dans le numéro 7 de La Révolution surréaliste. À sa mort en 1927, Bérénice Abbott rachète ses photographies, ses albums, répertoires et négatifs qu’elle prête pour des expositions et des livres. En 1968, elle vend sa collection au Museum of Modern Art de New York.
Avenue des Gobelins, Paris, 1899 © Eugène Atget
Dépourvu de photos, l'ouvrage de Luce Lebart, historienne de la photographie et directrice des collections de la Société Française de photographie, est divisé en trois parties : la première est consacrée aux écrits de poètes, d'écrivains et de journalistes parlant du photographe français, la deuxième aux photographes et enfin la troisième aux marchands, conservateurs et historiens.
Les quarante-deux écrits réunits dans ce recueil, produits entre 1928 et 2007, apportent de multiples informations sur l'oeuvre et la personnalité de ce photographe qui semblait vouloir s'effacer derrière ses photos. Avec ces témoignages se dessinent le portrait d'un homme modeste, désireux de rester en retrait, tout en laissant une trace documentaire. Les textes sont souvent issus de revues spécialisées. Car les questions sur son oeuvre se sont multipliées au cours des décennies : est-il un artiste ou un artisan ? Un producteur ou un auteur ? Ses photographies sont-elles des documents, des oeuvres d'art ou encore des archives ?
Gens regardant l'éclipse de Soleil. Terre-plein de la place de la Bastille en direction de la rue Saint-Antoine, 1912 © Eugène Atget
Celui qui déclarait à Man Ray « Ce ne sont que des documents » à propos de ses photographies, est donc ici examiné en profondeur. D'autant plus que parlent dans ce livre ceux qui furent ses témoins. Man Ray, Berenice Abbott et André Calmettes.
Parmi les photographes, Walker Evans et Robert Doisneau évoquent notamment certains côtés méconnus d'Atget. On apprend ainsi que Doisneau a demandé une étude de l'écriture d'Atget à une graphologue et que celle-ci révélerait « des sentiments profonds, une grande sensibilité esthétique, du courage ».
La troisième partie revient plus en détail sur le parcours singulier et l'empreinte qu'a su laisser le photographe dans l'histoire de l'art en général.
Un bien bel ouvrage sur ce « Balzac de la caméra, dont l'oeuvre nous permet de tisser une vaste tapisserie de la civilisation française », pour reprendre les mots de Berenice Abbott.
Luce Lebart
Les Silences d’Atget. Une anthologie de textes
Collection L'écriture photographique dirigée par Clément Chéroux
16 mars 2016
29 €
322 pages