Nikos Aliagas, autoportrait. Crédit photo : Nikos Aliagas
Une exposition solo, parisienne et à la Conciergerie... alors heureux ?
Surtout ému. D’abord par l’endroit, être entouré par autant d’histoire avec un grand H et avoir l’opportunité de partager mes petites « histoires » photographiques avec un public est une immense joie. D’autant plus que lorsque je prenais toutes ces photos je ne savais pas qu’un jour, elles feraient l’objet d’une exposition. L’endroit est tellement imposant de par sa nature qu’il fallait trouver la lecture la plus juste dans la scénographie.
Dans quelle mesure y avez-vous été partie prenante ?
Nous avons travaillé étroitement avec les équipes de Philippe Bélaval, le président du Centre des monuments nationaux, tant au niveau artistique que technique. Ma préoccupation principale était celle de la justesse et de la cohérence, ne pas prétendre quelque chose d’autre que mon regard photographique. L’architecte Christophe Martin qui a réalisé de nombreuses expositions et qui a travaillé aussi avec Pierre Bergé et la Fondation Yves Saint Laurent nous a beaucoup apporté quant à la scénographie, il a su allier simplicité et puissance. Julie Pellegrin aussi, la commissaire de l’exposition, m’a accompagné dans le choix définitif des photographies et dans l’éditorialisation du propos. J’étais totalement impliqué mais je n’étais pas seul.
« Sur le visage de Mme Yiota, je peux lire sa vie entière... » © Nikos Aliagas
Votre exposition s'appelle Corps et âmes, et ce « petit supplément d'âme » se ressent tout particulièrement dès lors que vous photographiez en Grèce. En avez-vous conscience ?
La Grèce est de toute façon quelque chose d’affectif pour moi. La langue maternelle, une boussole sentimentale. Le regard des gens que je photographie est aussi différent d’une certaine façon, car ils ne voient pas nécessairement l’homme de télévision. Lorsque je photographie des pêcheurs de Messolongi (la ville natale de ma mère), ils me voient comme le petit fils de Spyros. La photographie est aussi un étrange jeu de miroirs, l’idée du « qui voit qui ? » m’a toujours fasciné. Le malentendu du regard et par extension, son interprétation. En Grèce, pays d’ombres et de lumière par excellence, il faut pour comprendre les gens, aller au-delà du paraître et essayer de capter l’être. C’est précisément ce que je recherche de façon instinctive dans les yeux des gens, tout ce que ne disent pas les mots.
Comment s'est imposé le choix du noir et blanc ? L'idée de la couleur est-elle envisageable ?
La couleur n’est pas une mince affaire et curieusement photographier en noir et blanc m’oblige à penser d’abord en couleur, puisqu’en réalité chaque couleur correspond à une tonalité et une nuance de gris. Entre le noir et blanc, il existe une multitude de gris. Et je me méfie de la facilité apparente d’une jolie couleur dans un joli coucher de soleil par exemple, l’intemporalité du noir et blanc m’émeut aujourd’hui plus qu’une photographie en couleur. Elle m’oblige à ne garder que l’essentiel. Ce qui n’est pas toujours chose facile. Le noir et blanc m’oblige à sortir du cadre, à rechercher la substance d’un instant.
Mains de Joey Starr © Nikos Aliagas
« Face à la mer, l’homme est couvert de boue de la tête aux pieds, comme un spectre enduit de suie... » © Nikos Aliagas
Vous semblez fasciné par les mains, celles des pêcheurs notamment. Elles trahissent souvent un métier et/ou une condition sociale, et conservent cependant une part de poésie. On peut penser à Richard Avedon et La main du sculpteur Henry Moore ou encore à La main de Miles Davis d'Irving Penn. Qu'est-ce qui vous intéresse en elles ?
L’impact émotionnel de la photo de Miles Davis est aussi présent en moi que la première fois où j’ai vu la photo d’Irving Penn. Les mains sont l’expression la plus puissante d’un être humain, après leur regard. Peut-être parce que les gens oublient que leurs mains racontent leur vie. Je ne suis pas un fétichiste des mains, mais j’ai vu mon père tailleur travailler dur avec ses mains, mes grand-parents étaient des travailleurs de la mer et de la terre, leurs mains, c’était à la fois leur vie et leur gagne pain. Il y a quelque chose de sacré dans les mains, elles précédent l’acte et le régissent aussi. Je recherche dans les marques du temps présentes sur la peau, des traces de leur vie. Dans le silence d’une photo de mains, j’entends parfois la musique intime de la personne photographiée. Les mains ne mentent pas, elles disent tout bas ce que le masque social travestit.
« Capitan Pedro navigue dans les eaux de l’archipel de los Canarreos depuis qu’il est enfant... » © Nikos Aliagas
Vos photos font parfois penser à celles du photographe http://fr.actuphoto.com/33728-matt-black-le-photographe-des-salauds-de-pauvres-.html, dans l'usage du noir et blanc et dans la façon de capter les épidermes. Sans doute un peu moins engagées socialement ? La photographie ne pourrait-elle pas devenir pour vous un moyen d'expression plus libre (et libérateur) où la distance critique aurait toute sa place ?
J’admire Matt Black, au même titre que je suis passionné par le travail photographique de Salgado, de Koudelka ou encore de William Klein. http://fr.actuphoto.com/33728-matt-black-le-photographe-des-salauds-de-pauvres-.html, un très grand photographe et ami grec, m’a sans nul doute influencé dans ma façon de photographier. Entrer dans un visage comme dans un sanctuaire, sans rien lui voler, sans le déranger, sans le juger. La seule légitimité qui me préoccupe est d’ordre éthique. On peut tout photographier et tout montrer, et hormis le point de vue du potentiel de chaque photographe qui est à la fois une connaissance technique mais aussi un regard subjectif sur la vie, mais la question que pose la photographie engagée est simple : est-on légitime pour le faire ? C’est une histoire d’éthique et de timing.
Il y a quelques semaines à Athènes, j’ai passé une matinée avec des migrants qui se trouvaient dans l’ancien aéroport d’Athènes. J’aurais pu les photographier, l’image était saisissante, des voyageurs qui ne partent nulle part et qui attendent sur une piste où aucun avion n’atterrit. J’aurais pu lever mon boitier et poster par la suite les images sur les réseaux sociaux, ils n’étaient pas contre d’ailleurs, mais je n’étais pas prêt, une voix intérieure me disait que ce n’était pas à moi de le faire. Et le fait d’être aujourd’hui une personnalité médiatisée pour ses émissions de divertissement aurait pu créer un malentendu, malgré toute la bonne volonté du monde que j’aurais pu avoir en voulant raconter une histoire. Lorsque je serai prêt, il est fort probable que je le ferai. Une image est une signature, une responsabilité. Photographier est une chose, partager une image en est une autre. J’espère que le temps et l’expérience m’aideront à allier les deux.
Andréas, père de Nikos Aliagas © Nikos Aliagas
Votre père vous a offert votre premier appareil photo, vous souvenez-vous du modèle ? Avec quel appareil travaillez-vous maintenant ?
C’était un petit Kodak instamatic avec les fashes en forme de cube. Je travaille essentiellement avec des boitiers canon, 5D mark iii, ou 5d sr. Au 50mm, et parfois au 24.70mm ou au grand angle. La focale fixe m’oblige à être dans un cadre réel.
Avez-vous la tentation de l'argentique ?
Pas pour le moment, mais je voudrais tester des développements argentiques à partir de mes fichiers numériques.
Eleni, sculptrice © Nikos Aliagas
Animateur de télévision et de radio aujourd'hui, la question de votre légitimité en tant que photographe peut se poser. Vous la posez-vous ?
Avant d’être animateur, j’ai été journaliste d’info, reporter, présentateur du 20 heures… j’ai eu plein de métiers. Et j’éprouvais le besoin de brouiller les pistes, peut-être de peur de m’enfermer dans un cadre et finir par jouer mon propre rôle sans y prendre du plaisir. Pour autant, photographe n’est pas une activité professionnelle pour moi, je n’en vis pas, mais c’est une passion impétueuse. Je n’ai jamais eu de certitudes ou de chasse gardée pour me conforter dans un métier, la carte de visite ne m’intéresse pas. La vie est trop courte pour ne pas essayer, trop brève pour avoir peur d’exprimer ce qui nous anime au fond de nous. Pour moi, la photographie fonctionne aussi comme une démarche thérapeutique, passer derrière l’objectif, c’est comme reprendre ma liberté. Et rien ne peut empêcher quelqu’un d’aspirer à être libre.
Que répondez-vous à ceux qui trouvent injuste que vous ayez le droit à un lieu d'exception et à des conditions optimales d'exposition (notamment grâce à des partenaires comme Canon), alors même que certains photographes professionnels en rêvent et ne parviennent pas à trouver les financements ?
La question peut se poser, mais au fond je n’ai fait qu’accepter une invitation. Et si la notoriété que me prête mon travail peut intéresser un public plus vaste que le monde de la photographie à venir découvrir la Conciergerie, au-delà de mes photos, ça ne peut être que vertueux. Je n’ai pas de prétentions artistiques, je partage juste quelques photos. Si cela peut aussi créer une émulation et ouvrir la porte à d’autres, tant mieux. Les retours que je reçois quotidiennement sur twitter ou instagram de la part de gens du métier de la photo sont d’une générosité et d’une élégance rares.
Quels sont vos projets photographiques cette année ?
Fin mai, début juin, je présente une autre exposition à la galerie 12 à Paris, dans une toute autre dimension. Toujours en noir et blanc et avec beaucoup de Grèce…