NORMAL fait donc le pari de la photographie érotique. Rien à voir avec Union et ses couvertures de chair triste et de néon. L'idée, c'est de mettre la photographie et les photographes en avant, tous les trois mois. Comme un malheureux concours de circonstances, le dernier numéro (n°6) était un spécial Paris. Juste avant les attentats, il est devenu malgré lui une ode libertaire, et nécessaire, à la polissonnerie parisienne.
Le titre est le fruit du hasard, ou presque. Il fait partie du vocabulaire de la photographie et se comprend à la fois en français et en anglais. « L'idée, c'est aussi de rendre le nu normal », lâche le directeur artistique Guillaume Rogez. Et son comparse Philippe Guédon, rédacteur en chef, de compléter : « Cela permet de légitimer et de normaliser une discipline qui est assez mal vue et mal perçue. » Mais comment l'idée d'un magazine exclusivement consacré à la photographie érotique a-t-elle germé dans la tête des deux hommes ? On a oscillé entre un amour du genre et/ou un argument marketing imparable. Cette dernière raison est rejetée en bloc : « Il n'y avait pas de produit existant sur le marché, donc on ne savait pas », assure Guédon. Le nu, à leurs yeux, était une porte d'entrée dans toutes les catégories de la photographie : le portrait, la nature, la mode, le paysage, etc. « Tous les photographes, bons, mauvais ou super célèbres, font ou ont fait du nu ! » De fait, tous, et toutes, se sont frotté-e-s un jour ou l'autre à l'exercice du sans-vêtement.
Pas de confusion, on n'est ici ni dans la pornographie ni dans le trash : « À travers ce magazine, on a voulu redonner ses titres de noblesse à la nudité ». Ce qui fait la différence, c'est sûrement la pose, l'éclairage, la suggestion, le regard du photographe. « Je pense que c'est vraiment l'oeil du photographe qui joue, sa sensibilité... », explique le rédacteur en chef. Baudelaire, Verlaine ou le dépucelage de Bonaparte au Palais Royal, NORMAL ajoute à la nudité ambiante un léger manteau de culture et d'histoire, plutôt agréable. Comme le sont d'ailleurs les interviews consacrés aux photographes où le temps est pris pour découvrir l'univers de chacun. Iris Brosch, Le Turk ou Franck Horvat se livrent sur le nu et leur pratique photographique. « On voulait avoir un écrin pour les photographes ». Ils l'ont, pour sûr.
Côté lectorat, et contrairement à ce que l'on pourrait croire, il y aurait 40% de lectrices. Et lorsque NORMAL a sorti son numéro 4 exclusivement masculin, elles n'ont pas suivi. « On s'est aperçu que c'était un public gay, on a eu deux commandes de femmes, raconte Philippe Guédon. Le corps nu masculin semble moins plaire, et est beaucoup moins photographié. C'est assez difficile d'avoir des belles photos qui ne montrent pas des hommes façon Dieux du stade. » Alors quoi ? Le nu ne serait-il qu'exclusivement dédié aux corps de femme ? Et de quel corps parle-t-on d'ailleurs ? Blanc, longiligne, sans poil, corseté, enrubanné, bondagé, en cage, en laisse... Rien de très original donc, comme un portrait-robot réducteur des chairs et de la sexualité que l'on nous rabat depuis des décennies. Vous avez dit domination masculine ?
Et pourtant, le magazine sort son épingle du jeu en faisant d'autres propositions, en montrant d'autres érotismes possibles. Des corps tout en chair, des mises en scènes surréalistes, oniriques, et souvent pleines d'humour aussi. Les photographes à l'honneur ne sont pas non plus que des hommes, bien au contraire. « Il y aura un numéro exclusivement consacré aux femmes photographes », annonce d'ailleurs Guillaume Rogez. Car ils en ont des idées à proposer. Ils aimeraient lancer un numéro « trash » en montrant du Joel-Peter Witkin, du Jan Saudek ou du Araki. Quant au prochain numéro, en mars, il flirtera avec le livre d'art, plus épais, plus large, avec un menu alléchant : Rankin, Steven Lyon, Marc Lagrange, Peter Coulson, Inge Prader, etc. Au pays de la photographie érotique, la matière semble inépuisable : « Tous les jours, on reçoit des portfolios et tous les jours on en découvre ! »
NORMAL, une histoire osée qui ne ferait que commencer...
http://www.normal-magazine.com/"