© Stéphane Fedorowsky
A quel moment de votre vie vous est venue cette passion pour la photographie ?
J'ai commencé par faire une école d'art préparatoire à l'atelier Hourdé, Place de Clichy. J'ai choisi l'option « photographie » et j'ai découvert l'envers du décor. Il y avait des cours de développement en chambre noire et je me suis retrouvé à essayer de développer une photo. J'ai trouvé cela assez magique, cette lumière rouge, la chimie, les bains : je me sentais comme un savant fou dans son laboratoire !
Vous avez étudié pendant une année au Santa Monica College de Los Angeles, et plus tard, vous avez vécu plus d'un an à New York : que vous ont apporté ces expérience américaines ?
Les États-Unis, c'était un nouveau regard sur le monde, mais surtout sur l'apprentissage des choses. Nous étions bien loin de la culture française, surtout à Los Angeles. Je me suis enrichi de tout ce qu'il y avait autour de moi et j'ai tout de suite monté une chambre noire dans mon petit appartement. J'ai commencé à observer à prendre des photo et à développer de plus en plus d'images.
Quelles leçons en avez-vous tiré ?
J'ai beaucoup étudié. J'ai commencé à lire de plus en plus et à expérimenter différentes techniques.Trois ans plus tard, je suis allé à New York et cela a été comme une confirmation de tout ce que je faisais. J'ai commencé à photographier des modèles, à faire beaucoup de portraits. Il ne s'agissait plus de capturer des images, mais d'essayer de créer un lien avec les modèles en leur apprenant quelque chose sur eux-même. Il y avait un petit côté mystérieux à cela. En leur apprenant quelque chose sur eux, j'apprenais aussi sur moi, et la photo a commencé comme cela !
Pensez-vous que la photographie est un art bien développé en France ?
Oui, et même très bien développé ! Mais avec les nouvelles technologies, le travail du plasticien s'est quand même beaucoup perdu. Même si je trouve certains travaux très beaux, cela me plaît moins et je préfère développer les photos moi-même. Sans ce côté « artisan », la photographie m'intéresse beaucoup moins.
Photographie extraite de la série L'émouvantail © Stéphane Fedorowsky
Pourquoi la photo en noir et blanc vous passionne-t-elle tant ?
Dans le noir et blanc, il y a de la pureté. Sans les couleurs, notre attention n'est pas déviée et l'on va directement là où le créateur veut nous emporter. Mais la raison essentielle, c'est parce que je développe tout à la chambre noire, et y développer de la couleur, c'est plus compliqué ! On est dans le noir, donc tous les effets et les traitements que j'applique sur le tirage noir et blanc ne peuvent pas être réalisés de la même manière avec des photos en couleur. Et j'ai toujours adoré le noir et blanc. Il y a ce côté hors-temps qui est très important dans mon travail, le fait de ne presque pas savoir quand la photo a été prise...
Vous semblez maîtriser un grand nombre de techniques, quelles sont celles qui vous parlent le plus ?
D'abord, tout est réalisé en chambre noire. Ce ne sont que des photos argentiques : il n'y a ni numérique ni photoshop, c'est du travail d’artisan ! Je peux donc mettre des heures pour arriver au résultat escompté. J'utilise un peu toutes les techniques de la chambre noire comme la rayographie, la solarisation, la surimpression, le mélange des négatifs... J'expérimente beaucoup. Tous les tirages sont des tirages uniques que je développe la plupart du temps sur des formats A3, allant jusqu'au triple A3. Pour les grands formats, je fais scanner les tirages originaux en très haute définition. Ensuite, nous les reproduisons sur des machines argentiques dans des formats qui peuvent aller jusqu'à 1m40 ou 1m60, sur différents papiers pour avoir différentes texture. Les tirages sont faits en sept exemplaires maximum pour garder la préciosité de l'objet autant que la rareté de la photo.
Photographie extraite de la série Ille etait une fois soi © Stéphane Fedorowsky
Qu'est-ce qui vous plaît autant dans la chambre noire ?
J'aime le recul par rapport aux choses, c'est comme être un savant fou dans son laboratoire ! J'imagine cela comme si l'on tirait un livre d'une bibliothèque et qu'un laboratoire était caché derrière. On se retire du monde et on est face-à-face avec soi-même. Mais j'aime surtout que la photo ait plusieurs vies : il y a le moment où l'on capture les images, puis, dans la chambre noire, où l'on fait ses montages, où l'on rajoute ses ingrédients pour qu'à la fin la photo vive par elle-même.
Que ressentez-vous quand vous passez, parfois, des heures enfermé à l’intérieur ?
Je ne me sens presque plus dans le monde. D'ailleurs, dans mon travail, l'idée la plus forte et la question à laquelle j'essaie d'apporter ma petite réponse est celle de résoudre l'équation réel/irréel. Ce sont toutes les dimensions que j'essaie de mettre dans une image.
Quel est le style de photographie que vous préférez ?
J'aime le surréalisme car il mélange les dimensions. J'aime la mise en scène, les personnages. J'aime aussi le photoreportage. Pas celui qui se rapproche de la réalité, comme le reportage de guerre, mais plutôt comme cette exposition que j'ai vue d'un artiste new-yorkais qui avait fait quatre-vingts ans de photo à New-York et qui allait à la découverte des gens. L'humain est au centre de mon travail, donc tout ce qui concerne l'humain m'intéresse.
Quels sont les artistes et photographes qui vous ont le plus influencé ?
Il y en a tellement ! Man Ray reste incontournable. Il n'a besoin que d'un mur blanc, d'un personnage et rien d'autre : j'aime sa simplicité. Et puis il y a d'autre artistes, comme Jean Cocteau, George Méliès ou Robert et Shana ParkeHarrison. Chez les peintres, il y a Salvador Dali, Pablo Picasso... En fait, j'adore tout ce qui est surréaliste ! J'aime aussi beaucoup Modigliani, qui ne peignait pas les yeux dans ses tableaux, il disait « Je peindrai tes yeux quand je connaîtrai ton âme ». Pour moi, cette phrase résume tout.
Dans la série RED, la photographie de l'indien face à l'usine et au drapeau américain nous intrigue, pouvez-vous nous en dire plus ?
L'idée de la série était de faire des montages complètement libres entre des images du passé et des image du présent que j'ai moi-même prises. Et j'y ai mis une touche de peinture rouge car l'exposition s'appelait « RED RE-EMERGING-DIMENSION » et cette photo était la première de la série. Dans cette photo, il y a la confrontation entre le monde moderne et la culture indienne. Le personnage qui figure sur la photo est un ami très cher avec qui j'étais parti vivre aux États-Unis, donc pour moi il symbolisait aussi notre voyage là-bas.
Photographie extraite de la série RED © Stéphane Fedorowsky
Pouvez-vous nous parler de vos série La dame blanche , Ille était une fois soi et L'émouvantail ?
Tout d'abord, les personnages qui sont dans La dame blanche et Ille était une fois soi sont très proches de moi, artistiquement parlant. Celle qui joue le personnage de la dame blanche, par exemple, est ma muse. Et j'avais envie de la mettre en scène dans cet endroit magique : le château d'Esquelbecq. Le titre « La Dame blanche » est en lien avec la légende qui raconte qu'une dame toute vêtue de blanc y apparaissait de temps en temps.
Photographie extraite de la série La Dame blanche © Stéphane Fedorowsky
Pour Ille était une fois soi, j'avais envie de mettre en scène les pensées de mon oncle à travers l'image. C’était un peu comme construire un film muet et créer un conte magique qui nous emmène vers la connaissance de soi. Le prénom du personnage androgyne est « Gille ». J'ai trouvé beau d'écrire « ille » avec cette orthographe et cela rappelait aussi son prénom.
Photographie extraite de la série Ille etait une fois soi © Stéphane Fedorowsky
Pour L'émouvantail, j'ai fait appel à des amis comédiens dont la personnalité correspondait aux personnages que j'avais créés pour ce conte. Contrairement aux deux premiers, c'est plus imaginaire que personnel. L'histoire est celle d'un épouvantail qui est émouvant, d'où le titre !
Photographie extraite de la série L'émouvantail © Stéphane Fedorowsky
Parmi toutes vos exposition, laquelle avez-vous préféré ? Qu'avait-elle de plus que les autres ?
Elles m'ont toutes plu ! Mais l'important, c'est vers où mon travail va m'amener. Ma prochaine exposition est complètement en accord avec moi et reprend tout ce que j'ai fait, autour du surréalisme et des photomontages en chambre noire. Pour l'instant, il y a cinquante pièces qui sont prêtes. Cela représente quatre ans de vie !
Discovery © Stéphane Fedorowsky
Je pense que c'est quand je me suis retrouvé plus d'un an à New-York. C'était il y a 10 ans, j'étais sans attaches, sans téléphone, et je créais vraiment pour créer. C'était une très belle année !
Vous participez à un atelier photo qui se déroule deux fois par mois avec des jeunes faisant partie de l'http://www.avvej.asso.fr/fr/l-association,2.html"(Association Vers la Vie pour l’Education des Jeunes). Quelle importance représente, à vos yeux, cet atelier ?
C'est une grande opportunité de faire cet atelier avec des jeunes dont je suis très fier! On se remet vraiment en question et c'est essentiel, tout particulièrement quand on travaille dans les milieux artistiques. On n'est plus là pour soi, mais on est là pour eux. On apprend à les connaître, à voir des choses en eux, et ils nous apprennent des choses en retour. L'un ne va pas sans l'autre. Il y a une beauté à la fin, quand ils voient leurs photos encadrées et tout le travail effectué sur l'année. Et puis, on a l'équipe de l'http://www.avvej.asso.fr/fr/l-association,2.html" qui met tout en oeuvre pour rendre possible cet épanouissement.
Dans ce projet, j'ai toujours plein de questions qui me viennent en tête : « Qui es-tu ? Qu'as-tu en toi ? » C'est comme ça que j'ai commencé la photo, à travers l'humain, le portrait. On découvre d'autres langages, on se parle sur différents niveaux et c'est ce qu'il y a de plus beau, de se dire les chose sans les dire. Comme l'a écrit Jean Cocteau : « J'écoute tes silences que je n'avais pas compris ». Je trouve que tout est dit.