Publicité pour machine à écrire Hermès, 1930, François Kollar, Tirage d‘époque, 30,1 x 23,7 cm. Donation François Kollar, Médiathèque de l‘architecture et du patrimoine, Charenton-le-Pont
10h30, les portes du Jeu de Paume s'ouvrent. Cela tombe bien, il faisait plutôt frisquet dehors. Un petit café, et c'est parti. François Kollar, on le connait, ce nom. Oui, c'est lui qui a réalisé la plus grande partie des photos industrielles dans la période d'entre-deux guerres et d'après Seconde guerre mondiale. C'est aussi lui, qui a illustré les principales affiches de propagande coloniale française. Une exposition riche au titre prometteur : François Kollar, un ouvrier du regard.
Ses débuts, François Kollar les passe les mains dans le cambouis. D'abord employé d'usine chez Renault, cette période le sensibilisera grandement au monde de l'industrie. Et cet œil avisé lui servira par la suite. Très vite, Kollar se lasse. Quelques photos prises en amateur lui donnent envie d'en faire plus. Direction les studios photographiques renommés de l'époque. Kollar expérimente, Kollar explore. Enfin, il se lance vraiment. Kollar a 26 ans et c'est en 1930 qu'il ouvre son propre studio de photo. Les choses sérieuses commencent : VU, Harper's Bazaar et L'Illustration éditent les publicités réalisées par le photographe. Et il faut reconnaître là un travail de maître. Jouant constamment avec la lumière, la disposition des objets et les techniques photographiques, Kollar nous montre des publicités hors du commun. Ses images mettent en avant le produit sans tomber dans le cliché. Ses pub deviennent alors des œuvres à part entière.
Étude publicitaire pour "Magic Phono", portrait de Marie Bell en photomontage
1930
François Kollar
Superposition de négatifs, donation François Kollar, Médiathèque de l‘architecture et du patrimoine, Charenton-le-Pont
La publicité, c'est bien, mais ça ne fait pas tout. Grâce à ses relations, Kollar rencontre en 1931 Jacques Henri Lagrange, directeur de la Société anonyme d'édition et de publicité Horizons de France. Lagrange passe commande auprès du photographe. Cela viendra littéralement déterminer la spécialisation de Kollar. « La France Travaille », enquête documentaire de trois années sur le monde du travail, rassemblera au total quinze fascicules, organisés de manière thématique. Là, défilent des clichés tous aussi impressionnants les uns que les autres. Non seulement Kollar continue de jouer avec les lumières, mais il intègre dans ses photos une composition particulière, mettant en avant tour à tour industries et ouvriers, machines et paysans. Une véritable œuvre anthropologique sur ces petites mains, contraintes de s'adapter à l'industrialisation. Les séries deviennent des moyens de voyager à travers le temps, des sources d'histoires aussi fascinantes que poignantes. Ce sont là des archives d'une singularité sans pareille que nous livre Kollar. Malgré tout, il est aisé de constater que certaines facettes du monde du travail – les moins glorieuses – ne sont pas présentes sur les clichés de Kollar. Un choix de la part de l'éditeur, très certainement, car on devine chez le photographe une envie d'illustrer au mieux la réalité de ces hommes et femmes aux dos courbés.
Renault. D‘une main l‘ouvrier fait tomber le sable. Billancourt (Hauts-de-Seine)
1931-1934
François Kollar
Plaque de verre, dimensions du négatit : 13 x 18 cm.
Paris, Bibliothèque Forney. © François Kollar / Bibliothèque Forney / Roger-Viollet
Construction des grands paquebots. Rivetage de tôles d‘un pont de navire, chantier et ateliers de Saint-Nazaire à Penhoët
1931-1932
François Kollar
Épreuve gélatino-argentique d‘époque, 28,9 x 23,5 cm.
Donation François Kollar, Médiathèque de l‘architecture et du patrimoine, Charenton-le-Pont
L'oeil de la mode
Kollar est doué : au fil des années, il affine son regard et nous présente des photos de plus en plus personnelles. Parfois intrusifs, parfois distants, les clichés se perfectionnent. A chaque image, la lumière est reconnaissable, comme une marque de fabrique. Parfois, Kollar ose et cela paie. Sa technique s'affine et son sens de la mesure lui permet de se plonger dans la photographie de mode en 1934. Un sujet qu'il traitera pendant près de quinze ans. Les poses, les mises en scène, tout dans les photographies de Kollar est savamment disposé : ne pas trahir le spectateur, voilà ce que recherche le photographe. Il y parvient sans effort. Encore une fois, les portraits de Kollar sont audacieux, originaux et pourtant, jamais ils n’exagèrent. Entre surexposition et surimpression, Kollar ne cesse de se renouveler dans son travail.
Escalier chez Chanel
1937
François Kollar
Épreuve gélatino-argentique d‘époque, 29x21,9 cm.
Donation François Kollar, Médiathèque de l‘architecture et du patrimoine, Charenton-le-Pont
1939, la guerre éclate et Kollar part se réfugier avec sa famille à Poitiers. Après plusieurs années passées sans grosse commande, Kollar est chargé par le gouvernement français en Afrique-Occidentale française (A-OF), de photographier les colonies. C'est en 1951, et Kollar est l'homme de la situation, étant habitué aux projets traitant de la mise en marche d'un monde en changement. Après « La France Travaille » où le photographe mettait en avant la richesse des mutations du monde industriel et agricole, Kollar se retrouve directement au cœur de la propagande coloniale. Le but des photos est de légitimer la présence outre mer de la France. Et cela se ressent. Certes, l'A-OF n'imposait aucune photo, mais elle suggérait fortement les prises de vue. Il fallait que les images soient lisibles de tous et pour ce faire, elles fonctionnaient en dichotomie : sauvage/civilisé, pauvreté/richesse... Et Kollar ne faisait rien pour essayer de sortir de ces mensonges. En tant que photographe de renom, il utilisait son savoir-faire publicitaire et l'appliquait pour l'A-OF. Rien ne diverge de ses précédentes commandes. Un classicisme servile auquel Kollar ne nous a pas habitués.
Chaussures Bata, Rufisque, Sénégal
1951
François Kollar
Épreuve gélatino-argentique d‘époque, 22,6 x 24,8 cm.
Donation François Kollar, Médiathèque de l‘architecture et du patrimoine, Charenton-le-Pont
Retour aux sources
De retour à Paris, Kollar retourne à ses vieux démons. L'industrie n'est jamais très loin. Maintenant que les machines sont mises en place, de nouvelles illustrations sont à saisir. En travaillant régulièrement pour l'Union aéromaritime de transport, Moulinex ou encore Christofle, Kollar peut finaliser ses projets précédents. Désormais, il s'intéressera aux rapports de taille entre hommes et machines. L'homme se retrouve nanisé face aux dispositifs géants. L'humain seul prenait de la place dans « La France Travail », tandis qu'il n'est qu'un détail dans ces nouvelles publicités et commandes. Mais Kollar sait toujours mêler le vivant et l'inerte. On retrouve alors ce qui nous avait séduit dans ces précédents travaux. Kollar, l'ouvrier du regard est de retour, avide de nouveauté. Et cela nous plait.
Poliet et Chausson, Gargenville
1958
François Kollar
Épreuve gélatino-argentique d‘époque, 29,7 x 21,6 cm.
Donation François Kollar, Médiathèque de l‘architecture et du patrimoine, Charenton-le-Pont
Sans titre [Fabrication de corps de chauffe de chauffe-eau, Usine Brandt, France]
Années 1950
François Kollar
Épreuve gélatino-argentique d‘époque, 13,6 x 8,9 cm.
Donation François Kollar, Médiathèque de l‘architecture et du patrimoine, Charenton-le-Pont
L'exposition « François Kollar, un ouvrier du regard » est une véritable source historique. Les très nombreuses expériences du photographe dans le monde de l'industrie en font un véritable archiviste. Mais en plus de cela, la qualité de ses photos l'érige au rang d'artiste. Une exposition intéressante donc, aussi bien artistiquement que techniquement parlant. On retrouve au fur et à mesure des salles, l'évolution industrielle d'un pays, sa politique et sa créativité. Et bien que Kollar ait souvent été dirigé par des commanditaires, ses photos n'en restent pas moins relativement saisissantes de réalité et d'originalité.
http://www.editionsdelamartiniere.fr/ouvrage/francois-kollar-un-ouvrier-du-regard/9782732477213" reprend globalement les photographies présentées tout au long de la retrospective. Seuls les textes de Pia Viewing, commissaire d'exposition au Jeu de Paume, Jean-François Chevrier et Pascal Blanchard, contributeurs, apportent des compléments par rapport à la galerie. Riches en informations, chaque texte est documenté sur une partie du travail de François Kollar. Un approfondissement intéressant et très bien écrit, pour ceux qui souhaiteraient en savoir plus.
BEAUX LIVRES
Photographie
220 x 285 mm - 192 pages
18 février 2016 - 9782732477213
35 €
Portrait de François Kollar
Donation François Kollar. Médiathèque de l‘architecture et du patrimoine, Charenton-le-Pont
- 1904 : Frantisek Kollar naît le 8 octobre dans la ville hongroise de Szenc (actuelle Senec, Slovaquie), située à 25 km de Brastislava (capitale de la Slovaquie). Le monde agricole lui est familier de par ses grands-parents cultivateurs, de même que le chemin de fer hongrois, où son père Michal est employé.
- 1920-1924 : Employé des chemins de fer à Nové Zámky, puis promu à la Direction centrale, à Bratisalva, il débute sa pratique photographique avec un Ernemann 10 x 15 et réalise des portraits de sa famille.
Quitte son emploi et émigre à Paris en vue de devenir photographe professionnel.
- 1930 : Épouse Fernande Papillon, soeur du photographe André Papillion, jeune française née au Caire.
Une expérience au studio Chevojon, spécialisé dans la photographie industrielle et en particulier architecturale, permet à Kollar d'élargir ses connaissances. Assistant du directeur artistique de l'agence Lecram, André Vigneau, il commence à signer ses photographies, que l'agence publie dans la revue suisse Silber Spiegel.
Installe son propre studio photographique et s'inscrit au registre du commerce. Exécute de nombreuses publicités pour des objets de luxe, travaille pour l'agence Dorland, pour des artistes, publie dans Vogue et L'illustration. Collabore avec Lucien Vogel, directeur de l'hebdomadaire illustré VU.
Participe a l'exposition internationale de photographie de Munich avec d'autres photographe de France : Nora Dumas, Florence Henri, André Kertész, Germaine Krull, Ergy Landau, Jean Moral, Roger Parry, Emmanuel Sougez, André Vigneau.
- 1932-1934 : Parution des quinze fascicules de La France Travaille.
- 1951-1952 : Répond à une commande de l'Agence économique de l'Afrique-Occidentale française pour documenter le développement du Sénégal, de la Côte d'Ivoire, de l'actuel Burkina Faso (alors Haute-Volta) et de l'actuel Mali (alors Soudan français).
- 1953-1962 : Reportages et travaux publicitaires pour : l'Unionaéromaritime de transport (1953), la Société des mines domaniales de potasse d'Alsace (1954-1958), la Meunerie française (1954), les Parfums Schiaparelli (1952), les Tanins Rey (1956), les agglomérés Rougier (1955), les établissements Poliet & Chausson et le site de Gargenville dans les Yvelines (1957-1961), la fabrication du ciment et de chaux hydraulique (1958), la société d'assurance suisse Winterthur (1959), Shell, Mobil, Oil (1955), Moulinex (années 1950), l'Ecole spéciale des travaux publics (1950-1967), l'AEC (1962), l'APEL (1937-1960).
- 1979 : François Kollar meurt à Créteil le 3 juillet.
Article écrit en collaboration avec Michaël Azima