©Alexandra Serrano
Voilà bientôt cinq ans qu'Alexandra Serrano travaille à Paris en tant que photographe. Avant cela, elle est passée par Londres et plus précisément par l'Université de Westminster. Elle s'y était inscrite initialement pour étudier la communication, mais le jour de la rentrée, elle s'est perdue dans les couloirs et a découvert la chambre noire du département de photographie : « Cet endroit m'a immédiatement fascinée : son silence, son obscurité, son odeur et toutes ces images apparaissant et disparaissant sous la lumière rouge. A partir de ce jour là, j’ai su avec certitude que je voulais être photographe. » Dès le lendemain, elle change ses plans d'études.
©Alexandra Serrano
Solitude, Lenteur, Lumière. Ce sont les trois mots qu'Alexandra choisirait pour qualifier sa photographie. Et c'est vrai qu'ils correspondent plutôt bien à la série Between Finger and Thumb. (« Entre le pouce et l'index »). Pourquoi ce titre ? « Il fait référence a cet espace intime qui nous est propre, explique-t-elle, celui qui tient au creux de notre main et dans lequel on garde tous ces détails, toutes ces petites choses qui nous sont d’une grande valeur et qui pourtant tiennent entre deux doigts. »
La jeune photographe a commencé Between Finger and Thumb alors qu'elle était « en exil » au Royaume-Uni. Légèrement nostalgique et repensant souvent à ce qu'elle avait laissé derrière elle en France, elle a l'idée de ce projet, comme une passerelle entre elle et sa famille, entre sa vie de jeune adulte expatriée et son enfance hexagonale : « C’est ainsi que j’ai commencé à me replonger dans mes souvenirs d’enfance. Je suis d’abord passée par une longue phase de recherche : relisant mes vieux journaux intimes, lettres et cartes postales reçues durant ma jeunesse. J’ai également parcouru tous les albums de famille que je possédais et fait plusieurs voyages en France pour me rendre dans la maison de mon enfance. »
©Alexandra Serrano
Des recherches et des notes. Alexandra met sur le papier tout ce qui lui revient en mémoire et décide de ne garder que le plus intense. Elle remet alors en scène, en couleur et en photographie ses souvenirs les plus vivants, là où l'enfance est à fleur de peau. « Chaque image correspond à un événement précis et chaque scénario construit met en avant la force d'évocation que peuvent acquérir des choses sans importance. Pelures d'orange, coquilles d'œuf, ongles et cheveux coupés, morsures, sont ici, exactement comme les photographies, des traces de moments défunts et protégés de l'oubli. »
A la fois lumineuse et inquiétante, la série de photographies se lit comme un conte où le bien et le mal cohabitent dans une espèce d'équilibre précaire. On n'est jamais loin du drame, mais on n'a jamais été aussi proche du bonheur absolu. Bienvenue en enfance, semble nous murmurer la photographe. Pour elle, il y a bien sûr la vocation exutoire de l'exercice : « Photographier ces moments conflictuels me permet de me réconcilier avec ces derniers. La photographie est ici une sorte de thérapie. »
Pourtant, Alexandra Serrano ne se regarde pas le nombril gratuitement. Loin d'elle l'idée de se livrer - comme beaucoup - à un exercice solitaire excluant de fait le spectateur. Au contraire, elle laisse à celui qui regarde la liberté d’interpréter comme il le souhaite cette histoire photographique. Aucune de ses images ne s’accompagnent de légendes. « Je voulais qu'elles fassent écho à la propre enfance des spectateurs, que grâce à mes photographies, ils puissent réfléchir et se souvenir de moments similaires qu’ils ont également vécus dans leur jeunesse, car l’enfance reste une période universelle traversée par tous. »
©Alexandra Serrano
Si elle ne devait retenir qu'une seule photographie de cette série, ce serait celui de la jeune fille de dos avec le fil et l’aiguille : « Elle est le point de départ de la série, la première image que j’ai réalisée. Elle évoque exactement ce qu’est l’enfance pour moi, une multitude de sentiments et d’évènements contradictoires tous reliés à un même fil qui forme une histoire : la mienne et celle des autres. »
Plus pragmatiquement, côté routine photographique, la jeune femme travaille presque toujours au moyen format argentique (Hasselblad 500 CM) : « C’est avec cet appareil que j’ai appris la photographie, j’y suis très attachée. De plus, j’aime beaucoup le format carré. »
©Alexandra Serrano
Au regard des influences revendiquées par Serrano elle-même, on se dit qu'elle vise juste et haut. Imaginez, Duane Michals et Francesca Woodman. Entre folie douce et pure, il y a certainement assez de place pour l'objectif d'Alexandra Serrano.
Alexandra Serrano travaille actuellement sur une nouvelle série intitulée ‘‘http://alexandraserrano.com/"’’