© Camille Ropert
En France, une femme sur neuf développera un cancer du sein. Les démarches artistiques sur ce sujet ne manquent pas. Mais Camille Ropert, photographe de 26 ans y est particulièrement sensible car sa mère a elle-même connu la maladie. Récemment récompensée pour une photo très personnelle représentant ses parents à demi nu, et ayant pour thème la lutte contre le cancer du sein, la jeune Lommoise n'a aujourd'hui qu'une idée en tête : briser les tabous de la maladie.
Vous reprendrez bien un peu de thé ? © Camille Ropert
Parlez nous de votre parcours dans la photographie ?
Au départ, je faisais des études dans la communication. Rien ne me destinait à la photographie. J'ai arrêté mes études pendant deux ans, et pris la décision de partir en Australie. C'est à partir de ce moment là que j'ai commencé à prendre des photos de ce qui me passionnait.
Je suis ensuite partie au Vietnam. Là-bas, je travaillais pour une ONG. Malheureusement, cela s'est très mal déroulé et je me suis retrouvée livrée à moi-même. Je devais développer d'autres moyens de communication pour me faire comprendre. J'ai donc commencé à prendre des photos. J'ai travaillé dans un orphelinat, où j'ai vraiment appris à travailler les images avec les enfants que je rencontrais. Je pense que j'ai eu un réel déclic à ce moment là. Je me suis rendue compte que les images avaient un véritable pouvoir.
Votre photo, récompensée par le concours Estée Lauder Pink Ribbon Photo Award 2015, est très intimiste. Etait-ce difficile de prendre vos parents à demi nus en photo ?
J'ai beaucoup réfléchi à cette question, mais la chose est venue assez naturellement. Ma démarche est particulière car je cherche à lever les tabous sur la maladie. J'ai donc commencé par envoyer un message à ma mère, pour lui communiquer mon envie de faire cette photo. Elle m'a tout de suite répondu favorablement. Quant à mon père, je ne lui en ai pas trop parlé au début. J'ai préféré organiser un petit rendez-vous à deux, durant lequel je lui ai posé beaucoup de questions. C'était pour moi l'occasion de reparler du cancer. Ma maman a été malade lorsque j'avais 18 ans, ce qui commence maintenant à faire un certain temps. Depuis qu'elle est guérie, nous laissons le passé derrière nous. Mais ce n'est pas pour autant que ma mère a pansé toutes ses blessures, je sais qu'elle n'est pas toujours à l'aise avec son corps. J'avais envie de lui passer un message. Je la trouve magnifique et pour moi, elle ne doit pas avoir honte de quoi que ce soit. Donc oui, cette photo est très intime et dénudée mais il fallait en passer par là. Je voulais vraiment que ma mère soit face à la vérité : « Oui, ton corps est mutilé mais il reste beau ! »
http://www.nancyborowick.com/long-term-projects/cancer-family-ongoing/part-i-together/permissions_slide/" est également une artiste qui a choisi de photographier ses parents dans la maladie. Connaissez-vous son travail ? Sinon, avez-vous des modèles, des inspirations ?
Je ne connais pas le travail de cette artiste mais j'irai le consulter avec plaisir. Sinon, j'ai été beaucoup inspirée par http://www.nancyborowick.com/long-term-projects/cancer-family-ongoing/part-i-together/permissions_slide/". Il y a quelques années de cela, j'ai vu un reportage sur ce photographe et j'ai été touchée par ce qu'il réalisait. Ce qu'il racontait correspondait à ce que j'avais ressenti lorsque ma mère était malade. Je trouvais ça juste et poignant. Il dégageait une volonté de montrer au public en quoi la maladie consiste et cela m'a beaucoup émue. Mais je ne cherche pas à reproduire sa démarche. Je voudrais au contraire travailler avec des personnes en rémission, afin de diffuser un message porteur d'espoir. J'aimerais approcher les gens qui combattent toujours la maladie et pourquoi pas, être un soutien pour les femmes qui participeraient à mon projet. Si je pouvais les aider dans cette difficile démarche qu'est l'acceptation de son corps, cela serait merveilleux.
Comment avez-vous trouvé le recul nécessaire, malgré votre jeune âge, pour traiter ce sujet délicat qu'est le cancer du sein ?
Je pense que toutes les expériences que j'ai vécues dernièrement me permettent de parler du cancer du sein assez simplement. Ma démarche est de briser les tabous. Si je ne suis pas capable d'aborder ce sujet librement, qui le sera ?
Au Vietnam, lorsque j'ai travaillé dans l'orphelinat, j'ai vu des choses horribles. J'ai accompagné des enfants atteints d’hydrocéphalie, avec des malformations... Moralement, c'était une période très dure pour moi. Mais finalement, cela m'a fait grandir et prendre conscience que beaucoup de choses n'allaient pas dans ce monde. Nous le savons tous mais lorsqu'on y est confronté, c'est différent. Cela m'a tout de même permis de prendre du recul sur ma vie et sur ce qu'avait eu ma maman. J'ai réalisé que le fait qu'elle s'en soit sorti était une véritable chance.
Finalement, qu'avez-vous prévu si vous remportez la bourse Déclic Jeunes de la Fondation de France ?
L'idée de ce projet a mûri le soir même où j'ai remporté la seconde place du concours Estée Lauder. J'ai eu l'occasion de discuter avec un professeur chirurgien-gynécologue qui avait beaucoup apprécié mon travail. Selon lui, j'avais réussi à faire ressortir une belle émotion de ma photo. Or, c'est ce qu'il ressentait lorsqu'il traitait ses patientes. Cette rencontre m'a énormément marquée. J'ai retrouvé ce médecin et lui ai proposé de s'associer à mon projet. Si je remporte cette subvention, il me mettra en relation avec des personnes volontaires pour participer à mon projet photographique.
J'ai également été contacté par une femme qui a subi deux cancers du sein et qui aimerait collaborer à ma démarche artistique. Même si tout reste à faire, je suis ravie car cela commence à se concrétiser.