© Laurent Kronental
Lauréat de la catégorie espace-paysage de la Bourse du Talent 2015, Laurent Kronental est un jeune photographe dont le succès ne cesse de croître. Sensible à la question des conditions de vie des personnes âgées, ce Courbevoisien d'origine aime à représenter le troisième âge là où on ne l'attend pas. Sa première série de photos, Souvenir d'un futur, montre d'ailleurs une rencontre inattendue entre architecture à l'allure futuriste et personnages du passé. Rencontre avec ce visionnaire des autres temps.
Jacques, 82 ans, Le Viaduc et les Arcades du Lac, Montigny-le-Bretonneux, 2015 © Laurent Kronental
Josette, 90 ans, Vision 80, Esplanade de La Défense, 2013 © Laurent Kronental
Au départ, j'avais envie de mettre en lumière les seniors par rapport à cette société qui les met à l'écart. Je voulais les représenter différemment de la manière dont on les imagine habituellement, à savoir fatigués, dans une maison de retraite... Cela m'intéressait également de savoir comment ces personnes étaient à mon âge et quelles avaient pu être leurs vies.
Si j'ai décidé de scinder les grands ensembles et les anciens, c'est parce qu'à Courbevoie, là d'où je viens, j'ai découvert une sorte de village aux pieds des gratte-ciel de la Défense. Là-bas, le temps semblait s'être arrêté. J'y ai rencontré un couple de personnes âgées et j'ai eu comme une révélation : il y avait un travail à faire, non pas uniquement sur les seniors mais sur le passage des générations, sur le contraste des époques entre passé, présent et futur. Je ne voulais pas montrer les personnes âgées hors contexte et ces grands ensembles évoquent pour moi un côté futuriste. On n'arrive pas à savoir de quelle époque datent ces quartiers et cela interpelle forcément les gens. Ils ont une allure rétro-futuriste et cela permet donc de faire une confrontation directe des époques.
Comment avez-vous connu ces lieux pour le moins méconnus du grand public ?
Comme je l'ai dit, je viens de Courbevoie et j'habite près du quartier des Damiers. J'y passais presque tous les jours et je me suis toujours dit que cet endroit était hallucinant. C'est une ville très urbanisée et j'ai toujours été inspiré par les immeubles aux allures étonnantes. Un peu plus tard, j'ai connu les tours Aillaud de la Défense : elles m'ont fasciné par la brutalité et la poésie qui en émanent.
Les Tours Aillaud, Cité Pablo Picasso, Nanterre, 2014 © Laurent Kronental
Les Tours Aillaud, Cité Pablo Picasso, Nanterre, 2013 © Laurent Kronental
Cela a été très difficile. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai mis près de quatre ans pour réaliser ce travail. On n'arrive pas à présenter un projet à une personne âgée et à le lui faire accepter aussi facilement qu'à une personne plus jeune. Souvent, les anciens se font avoir et il n'a pas été facile de gagner leur confiance. Ce qu'on ne voit pas sur les photos, c'est que j'ai rencontré beaucoup de gens. Parmi eux, je savais d'avance qu'il y en avait certains qui n'avaient pas un physique suffisamment « fort ». Mais je prenais tout de même contact avec eux au cas où, et je retenais finalement les personnes qui m'intéressaient le plus, qui selon moi donneraient le plus d'émotions à travers leur apparence, dans leur allure, leur visage, leur manière d'être et même leurs vêtements.
Pour rencontrer ces personnes, je les ai tout simplement abordées dans la rue. La plupart du temps, je me rendais jusqu'à trente fois dans un quartier. J'abordais les gens souvent dans les marchés ou au pied de leur immeuble. Il fallait trouver la manière juste de les aborder. Finalement, j'ai fini par créer une véritable relation de confiance.
Maintenant que le travail est terminé et que vos photos sont exposées, allez-vous inviter les personnes qui ont participé à votre projet à venir voir l'exposition ?
Oui très certainement mais je ne l'ai pas encore fait pour l'instant. J'ai offert à chacun d'eux une photo les représentant mais j'ignore pour l'instant leur ressenti par rapport à l'ensemble de mon travail. Je sais que pour certaines personnes, il n'est pas évident de se voir à l'image.
Alain, 80 ans, Les Damiers, Courbevoie, 2013 © Laurent Kronental
Oui, il y a une certaine dynamique dans la disposition des clichés. Si j'ai mélangé à la fois la dimension architecturale et l'homme dans cette architecture, c'est pour que les gens se rendent compte de l'échelle, de comment l'homme évolue dans ce paysage. Mais je voulais aussi qu'à travers les portraits, les gens ressentent la force et la mélancolie de ces personnes âgées Je ne voulais pas non plus mettre tous les portraits d'un côté et tous les paysages de l'autre afin que les gens ne pensent pas qu'il s'agissait de deux séries différentes.
Sur les trente photos, une seule représente l'intérieur des bâtiments. Pourquoi avoir fait le choix de ne pas insister sur ce point de vue là, qui illustre pourtant lui aussi la condition de vie des anciens ?
Au départ, j'avais mis deux autres images d'intérieur, mais j'ai préféré laisser celle-ci car je la trouve très intéressante. Il faut que vous sachiez que la série n'est pas totalement terminée et je pense d'ailleurs mettre plus de clichés d'intérieurs. Mais à mon avis, ces derniers représentent une autre histoire et je ne sais pas s'il faut forcément mélanger les deux.
Les Tours Aillaud, Cité Pablo Picasso, Nanterre, 2014 © Laurent Kronental
Je savais qu'un film était en plein tournage dans ces cités car j'ai croisé les équipes de tournage un jour où j'étais venu travailler. Une étude sur la représentation audiovisuelle des grands ensembles a été faite et on voit bien que l'utilisation de ces lieux comme décor n'est pas nouvelle. La vraie différence avec le film Hunger Games, c'est sa portée médiatique, car c'est une très grosse production. Maintenant, je ne pense pas que cela va forcément changer la vision qu'ont les gens de ces cités. Cela permettra certainement de dynamiser ces quartiers et je trouve cela très positif, mais cela ne durera qu'un temps. J'espère en tout cas, à travers mon travail, faire évoluer le regard des gens sur ces quartiers.
En parlant de faire évoluer le regard, vous avez décidé de travailler ces photos à l'argentique, ce qui n'est pas anodin. Pourquoi ce choix ?
Au départ, j'étais au numérique. Mais je n'arrivais pas à obtenir le ressenti que je cherchais. Je voulais une certaine douceur, une certaine profondeur. L'argentique m'a également permis de travailler le décentrement, et ma composition architecturale en a complètement été changée. L'argentique oblige également le photographe à réfléchir sur ce qu'il veut réellement montrer.
Le Pavé Neuf, Noisy-le-Grand, 2015 © Laurent Kronental
Les Espaces d'Abraxas, Noisy-le-Grand, 2014 © Laurent Kronental
Non, je pense qu'on ne s'attend jamais au succès. Mais j'aime mieux rester réaliste car même si on parle de mon projet pendant un an, il faut ensuite être capable de prouver que ce n'était pas un coup de chance. Il faut montrer qu'on est en mesure de continuer à procurer des émotions au public. J'étais content de mon travail et j'espérais qu'il plaise à d'autres, mais je ne me doutais pas que cela irait jusqu'à ce point-là.
Et maintenant, quoi de prévu pour la suite ?
Je travaille sur une deuxième série qui est toujours sur un grand ensemble, vu cette fois-ci de l'intérieur. C'est un projet que je réalise depuis maintenant deux ans et qui sera terminé prochainement, sûrement d'ici cet été. Mais pour l'instant, je ne peux pas trop en dire plus.
Paulette, 83 ans, Les Damiers, Courbevoie, 2015 © Laurent Kronental
Roland, 85 ans, Les Arcades du Lac, Montigny-le-Bretonneux, 2015 © Laurent Kronental