© Patrick Wack
Chroniques du 6/1/2016 au 6/2/2016 Terminé
Galerie duo 24 rue du marché Popincourt 75011 Paris France
Chongqing, cité du centre de la Chine à la croissance exponentielle, offre des paysages urbains tels qu'ils nous font perdre toute notion d'échelle. Monstre de béton et de tours d'acier sillonné par les fleuves mythiques du Yangtze et de son affluent le Jialing, la ville conserve d'immenses espaces de terre en friche, patchworks paysagers de cultures éphémères, émergeant entre les pilonnes des ponts d'autoroute. C'est ce paradoxe incroyable et unique, mariage entre urbanisme forcé et nature en rébellion, que la galerie BLBC a choisi de faire poindre. BLBC, Bright Lights Big Cities, est un collectif curatorial d'étudiants et jeunes actifs fondé en 2013 à Manchester, et depuis relocalisé à Paris. Tous les trimestres, BLBC organise une exposition « Twice », qui réunit les travaux de deux photographes autour de la thématique de l'environnement urbain. « Twice #04 : Urban Fields » exposée à la galerie Düo s'intéresse à la ville en Asie. Galerie duo 24 rue du marché Popincourt 75011 Paris France
Déconstruire l'imaginaire urbain, faire éclater la logique de l'aménagement à l'occidentale et braquer un halo sur le paradoxe environnemental : voici ce que les photographies de Patrick Wack et de Tim Franco révèlent à Chongqing. Ces deux Français sont installés à Shanghai depuis bientôt dix ans. L'un et l'autre ont coupé court avec leurs carrières pourtant prometteuses pour bifurquer vers la photographie de reportage. Tim Franco a d'abord été ingénieur avant de retomber dans une passion enseignée par sa mère artiste. Il commence en Chine sa nouvelle carrière photographique, se spécialise notamment sur l'expansion urbaine et décroche un projet pour le journal Le Monde.
Patrick Wack est arrivé en Chine avec un brin de naïveté. D'abord employé comme photographe résident dans une discothèque, il réalise en 2013 une série de portraits dans des régions reculées de Chine : le Tibet, le Yunnan et la Mongolie intérieure.
© Patrick Wack
Cette croissance effrénée a rapidement suscité l'afflux d'une force de travail bon marché. Alors que la majorité de la population de la province de Chongqing vivait principalement d'une agriculture traditionnelle, nombreux sont ceux qui ont été forcés de troquer leur terre pour un appartement sommaire en ville. À la suite de la construction du barrage des trois gorges en aval, des centaines de villes et villages ont été engloutis sous les eaux, causant l'exode de 1,8 millions de personnes vers Chongqing et Wuhan.
© Tim Franco
© Tim Franco
Alors que plus de 50% de ces nouveaux immigrés sont au chômage, ne sachant quoi faire si ce n'est cultiver un jardin, ils doivent s'adapter à leur nouvelle situation. Ainsi, les travaux immobiliers achevés en hâte ont laissé derrière eux d'immenses tertres de terre. Les nouveaux habitants y délimitent des terrains et y installent des jardins comme de véritables mosaïques végétales. Ces « guerilla farmers » ont recréé l'espace naturel de manière spontanée. C'est par nécessité que ces potagers urbains existent aujourd'hui. La philosophie confucéenne incite le peuple à s'adapter, comme l'eau qui trouve les failles dans le sol et s'y immisce pour suivre son propre chemin.
Patrick Wack raconte les histoires de ces populations à travers les portraits urbains qu'il dresse à Chongqing. Un des plus marquants est sans doute celui du joueur de Sakuhachi, une ancienne flûte chinoise. Il souffle les méandres de sa mélancolie, pleurant la fin d'une Chine engloutie sous les chapes de béton. Patrick Wack publie ces photos dans le livre Une nouvelle célébration, portraits de Chongqing, enrichi d'un superbe texte du philosophe Pierre Vinclair, qui se veut une méditation et une réflexion sur la survie de l'humanité dans un environnement aussi terne.
Cette exposition du collectif BLBC parvient brillamment à établir le constat suivant : s'il est possible d'urbaniser rapidement un territoire, urbaniser les populations rurales est impossible : les guerilla-farmers mettront du temps à se soumettre à cette acculturation violente et forcée.