© Runners to the pole
Jérémie et Stéphanie Gicquel ont également sorti « Expédition across Antarctica » : recueil de photographies et de récits publié aux éditions Vilo et préfacé par Nicolas Vanier. Ces photographies, labellisées par la COP21, montrent des zones qui n'avaient jamais été photographiées auparavant ! Actuphoto s'est entretenu avec Stéphanie Gicquel pour en savoir plus sur ce projet hors-norme.
© Runners to the pole
Qu'est-ce qui peut pousser quelqu'un à vouloir marcher plus de 2000km en Antarctique ? D'où est venue l'idée du projet ?
Ce qui a motivé ce voyage est une passion pour les régions polaires que nous avons développée ensemble. Une fois qu'on met les pieds dans ces étendues, on a envie d'y retourner. C'est un univers hostile dans lequel on ressent pourtant une attirance difficilement explicable.
En Antarctique, il n'y a ni faune ni flore, à part un peu sur les côtes. Il n'y a même pas d'odeur ! C'est un grand désert blanc et bleu. On a l'impression de ne plus être sur la même planète, d'être allés au bout de quelque chose. Nous étions déjà partis sur les côtes du continent, et on avait envie de voir ce qu'il y avait derrière. Il n'y a que très peu d'images de ces zones. Tous les films sur l'Antarctique ne montrent que les côtes, les bases et le pôle sud, mais jamais l'intérieur. On s'est alors dit avec Jérémy que le meilleur moyen de voir ce continent était de le traverser ! C'est le genre d'idée qui paraît complètement folle mais qui ne te lâche plus.
Nous sommes partis à pied afin de ressentir un autre rapport au temps. C'est dur, car c'est très long et tout se passe dans le mental. On se perd dans le paysage et dans ses pensées.
Comment s'est préparée l'expédition ? Comment l'avez-vous financée ?
La préparation a été longue parce que nous avions tous les deux un travail. Nous avons donc mis quatre ans à organiser ce voyage. Nous nous sommes préparés physiquement en faisant de l'ultra trail (NDLR : course à pied sur longue distance : courses de 20 à 40 heures dont la plus célèbre est un parcours de 180km autour du Mont Blanc ). Nous nous sommes aussi entraînés à tracter des pneus dans la famille de Jérémie en Bretagne afin de s'initier à la traction des pulkas.
Pour le financement, nous avons trouvé cinquante entreprises partenaires mais nous avons aussi dû faire un emprunt bancaire. Le budget a été très important : deux-cent mille euros. L'expédition de Jean-Louis Étienne avec ses chiens de traineaux en 1989 a coûté deux millions d'euros. Ce qui augmente conséquemment le budget, c'est la dépose sur le continent. Nous avons économisé en prenant un avion avec d'autres scientifiques au départ du Chili.
© Runners to the pole
Quel a été pour vous le moment le plus fort du voyage ?
D'abord, l'arrivée au pôle sud le 23 décembre. Après une longue traversée du désert, nous avons enfin pu voir la base américaine d'Amunsen Scott. Les scientifiques étaient en tee-shirt à l'intérieur, il y avait des sapins de Noël, et nous arrivions de tellement loin que l'on se croyait débarqués d'un autre monde... Si nous avons pu partager quelques moments avec les gens de la base, nous n'avons pas pu loger à l'intérieur ni prendre de douche. C'est la règle de toutes les bases d'Antarctique : elles n'ont pas le droit d'accueillir de visiteurs.
L'arrivée a elle aussi été très émouvante. Après toute une journée de ski, nous avons atteint notre objectif à trois heures et demi du matin. Ce jour là, nous étions sur une zone complètement crevassée. Après une semaine entière de brouillard blanc, celui-ci s'est levé, découvrant de véritables pistes vertes dignes de ski alpin. La glace n'était plus blanche, mais bleue, car on marchait sur la mer de Wedell. Ajoutez à cela la fatigue et l'émotion ressentie n'était que plus intense.
Plusieurs mois après, nous avons écrit notre livre et avons relu d'autres récits d'expéditions. Ce n'est que là que nous avions pris conscience de ce qu'on avait fait. Après avoir fait quelque chose, on a tendance à le désacraliser. On s'est rendu compte au retour qu'on avait fait un truc de fou !
© Runners to the pole
Quels ont été les obstacles les plus importants de cette traversée ? Avez-vous eu peur de ne pas réussir ?
Nous avons d'abord eu peur de manquer de nourriture à cause d'un prestataire qui n'a pu nous approvisionner que de 1800 kcal par jour au lieu des 6 000 prévues. Si le chiffre semble énorme, c'est pourtant la norme pour ce genre d'expédition car le corps consomme une grande quantité d'énergie. Arrivés au Chili, nous avons complété la dose en achetant de la nourriture lyophilisée à hauteur de 4000 kcal par jour. Nous avons malgré cela manqué de nourriture sur la fin du périple et nous commençions à perdre en muscles.
Ensuite, la traction des pulkas nous a énormément ralenti car la glace en Antarctique est très froide et abrasive. Ce continent est un interminable faux plat : on part du niveau de la mer et on arrive à 3 000 mètres au pôle sud. Nous avons eu peur de se faire des blessures à cause des chutes sur les sastrugis, ces dangereuses vagues de glaces, que l'on a parfois été parfois obligés de franchir et sur lesquelles les traîneaux se renversaient souvent.
Vous avez pris beaucoup de photos que vous publiez dans un livre et avez réalisé un film. Étaient-ce des objectifs fixés dès le départ ?
Oui. Nous étions très lents à cause des 20 kg de matériel audiovisuel. L'essentiel était de rapporter ces images. Il était hors de question de laisser tomber les caméras histoire d'aller plus vite. S'il avait fallu parcourir moins de distance pour le besoin du film, on l'aurait fait.
On connaît bien le pôle nord et les enjeux climatiques, mais on sait très peu de choses sur l'Antarctique. D'où le besoin d'en parler. Le pouvoir des images est bien plus fort que les discours politiques. Quand on montre les photos aux enfants dans les écoles, nous voyons la magie briller dans leurs yeux.
La force de nos photos résident dans leur caractère unique : c'est la première fois que quelqu'un ramène autant d'images de ces endroits. L'Antarctique demeure encore aujourd'hui le dernier continent inexploré !
© Runners to the pole
Comment vous êtes-vous formés à la photographie et au film ?
Nous avons demandé conseil à des amis qui s'y connaissent sur les tournages dans le grand froid. Nicolas Vanier notamment, qui est une personne qu'on estime beaucoup, nous a pris sous son aile : il souhaitait vraiment qu'on réussisse.
Certaines personnes nous ont conseillés pour l'écriture d'un scénario, mais une fois sur place, l'histoire nous a complètement échappé. D'autres nous ont enseignés quelques règles de bases, notamment ne pas dépasser la fameuse ligne des 180 degrés.
Quel type de matériel avez-vous utilisé pour prendre des photos à -50°C et dans des conditions aussi extrêmes ?
Nous avons utilisé un Canon 5D, un Canon XA20 et 4 Go-Pro qui n'ont pas marché à cause du froid, mais que nous avons heureusement remplacées par deux zooms Q4. Impeccables pour le son, ces caméscopes de sport tiennent très bien le froid. Nous avions des micros Senheiser, un trépied, des panneaux solaires de 62 watts, ainsi que des SSD pour conserver les enregistrements et des cartes SanDisk.
J'utilisais les Q4 pour faire les interviews chaque matin. Si Jérémie aimait faire les prises de vues, il n'aimait pas trop se mettre en scène, donc le film a été fait de mon point de vue. Au delà de l'aspect technique, il faut avoir le regard du photographe. Jérémie voit rapidement comment poser ses cadrages. Le fait qu'il supporte aussi très bien le froid lui permettait d'enlever ses gants pour manipuler le matériel.
Nous avons également réussi à transmettre des images pendant l'expédition : nous envoyions à une amie des images en basse définition pas téléphone satellite. Jamais une expédition en Antarctique n'avait été aussi bien communiquée.
© Runners to the pole
Pouvez-vous nous parler de l'association « Petit Prince » que vous avez soutenue pendant ce voyage. Pourquoi avez-vous choisi cette association et comment l'avez-vous soutenu ?
Petit Prince est une association qui a été crée en 1987 par Dominique Bayle. C'est une association qui comporte une centaine de bénévoles et qui a pour but de réaliser les rêves des enfants malades. Cela peut être rencontrer une star, aller à Disneyland, faire du ski... L'idée est d'aider ces enfants à garder espoir et les accompagner dans leur maladie.
Pour soutenir l'association, nous avons récolté les fonds par financement participatif. Nous avons remercié les donateurs en inscrivant leurs noms sur nos skis, sur nos toiles de tente ou dans la glace ! Nous prenions les noms en photo et les envoyions par téléphone satellite. C'est marquant de voir son nom écrit sur de la glace en Antarctique ! On recevait des messages d'encouragement des parents de l'association Petit Prince. Cela nous motivait à avancer !
Livre :http://www.rue-des-livres.com/livre/2719110086/le_defi_across_antarctica.html"
Stéphanie et Jérémie Gicquel
200 pages
Éditions Vilo - octobre 2015
prix: 35 €
Vous pouvez soutenir Stéphanie et Jérémie sur la page de financement participatif : http://www.rue-des-livres.com/livre/2719110086/le_defi_across_antarctica.html"