Steve McCurry
Steve McCurry a fait du voyage sa carrière. Il couvre tour à tour les conflits en Yougoslavie, en Irak ou au Liban. Mais si la guerre a été le terreau de son apprentissage photographique, son intérêt est toujours suscité par l'humanité pacifique des contrées lointaines. Cette fois-ci, ce sont les berges du fleuve Bengale et les rituels du Rajasthan qu'il nous invite à découvrir à travers son dernier ouvrage Inde préfacé par l'historien écossais William Dalrymple et publié aux éditions http://fr.phaidon.com/store/photography/inde-9780714870762/". Il présente 40 ans de travail photographique : 96 photos réalisées au fil de 80 voyages dans le sous-continent indien depuis 1978. À l'occasion de la sortie du livre, Steve McCurry était à Paris le dimanche 13 décembre pour une Masterclass donnée au MK2 Bibliothèque. Actuphoto a eu l'honneur de s'entretenir avec l'artiste, dont le succès n'a pas aigri la joie !
Rajasthan © Steve McCurry
William Dalrymple, qui préface votre livre décrit l'Inde comme « un pays schizophrène cherchant son équilibre entre le matérialisme et la spiritualité ». En quoi vos photographies illustrent cette citation ?
Il existe en Inde un intérêt véritable pour la spiritualité. Les Indiens tentent de devenir de meilleures personnes à travers la prière, la méditation et le yoga. C'est un pays complexe. L'Inde a un pied dans le passé et un pied dans le présent, mais la spiritualité reste un engagement très puissant pour ces gens. Ma photographie se promène au fil de ces expériences. Elle explore ce qui me fascine, elle raconte les histoires que je veux partager. Les monastères bouddhistes et les voyages au Tibet sont des choses qui m'inspirent et que je souhaite explorer.
L'Inde est un pays auquel vous semblez particulièrement attaché. Cet ouvrage en est-il une célébration ?
Ce livre est composé comme un poème. Les photographies décrivent ma fascination pour ce pays. Bien qu'elles ne reflètent pas tout de l'Inde, elles sont autant de mémoires et de réflexions de mes nombreux voyages.
Auriez-vous photographié l'Inde en noir et blanc ? Ou bien ce pays est-il trop coloré pour cela ?
On fait comme bon nous semble. Cela dépend de ce qu'on veut montrer. Je pense que certaines histoires sont mieux racontées en couleur et d'autres en noir et banc. L'Inde ne fait pas exception. J'ai toujours tout photographié en couleur, c'est un choix personnel. Le monde est en couleurs, il m'est naturel de le saisir ainsi.
Votre travail est fascinant car chaque photographie semble avoir été prise de manière spontanée, et en même temps, chaque cliché est extrêmement bien composé. Comment travaillez-vous pour obtenir un équilibre aussi fragile ?
C'est d'abord une question d'expérience et de pratique. Ensuite, il s'agit d'une volonté de peaufiner l'image. J'ai pris des centaines de milliers, voire des millions de photographies dans ma vie. Parfois, les choses s'assemblent de façon miraculeuse, et il n'y a plus qu'à cliquer sur le déclencheur. Parfois, il faut travailler sur une situation, définir le cadre, le recomposer, rechercher continuellement une solution. Donc à moins d'être un génie, on ne peut pas simplement cliquer et s'en aller. J'ai besoin de repenser chaque composition et je me demande toujours : « Comment pourrais-je faire mieux ? Et si j'essayais cela ? » Si le temps le permet, j'aime mettre en œuvre ce mécanisme de pensée car cela crée de meilleures photographies.
Train in Bengal © Steve McCurry
Quelle est votre approche des personnes que vous souhaitez photographier ?
Il suffit d'être aimable ! Il n'y a pas de secret. Si on est sympa avec les gens, ils le seront en retour.
Vous avez commencé votre carrière en couvrant les conflits du Moyen-Orient. Qu'est-ce que le photojournalisme en temps de guerre vous a enseigné dans votre pratique de la photographie ?
Je ne crois pas que la photographie en temps de guerre soit différente de celle en temps de paix. Il faut dans tous les cas traiter les gens avec respect et dignité. Dans le cas d'une guerre, on essaie de documenter ce qu'il est en train de se passer. Mais c'est en réalité le même principe dans toutes les autres circonstances. La différence est que l'on présente notre travail comme une actualité journalistique, et pas seulement comme une œuvre d'art.
Faire de la photographie en temps de guerre demande bien sûr d'être plus alerte. On ne va pas traîner les pieds dans un conflit en étant à moitié endormi ! On est dans des situations où il est question de vie ou de mort. Mais au fond, ce sont les histoires que l'on raconte qui importent, et en tant que photographe, peut-être pouvons-nous avoir un impact signifiant. Je n'ai jamais été intéressé par le combat, je ne voulais même pas être un photographe de guerre. Ce qui m'intéresse, ce sont les effets de la guerre sur les populations civiles.
Mumbai © Steve McCurry
Quel rôle doit, selon vous, jouer la photographie de reportage aujourd'hui ?
Encore une fois, il s'agit de raconter des histoires et de rendre compte des événements qui importent réellement. Nous avons besoin d'écrivains, de journalistes et de photographes. Autrement, nous vivrions dans l'ombre, ignorant ce qui se profile vraiment.
Dans le cas de la Syrie par exemple, il est crucial d'avoir des journalistes indépendants sur le terrain afin de ne pas dépendre uniquement des grands médias dirigés par les gouvernements. Ceux-ci défendent leurs propres positions et c'est très effrayant.
Au fil de votre carrière, y a t-il eu une rencontre qui vous a particulièrement marqué ?
J'ai photographié une vieille dame qui devait avoir quatre-vingt-dix ans. Elle était très malade, complètement voutée. Veuve depuis qu'elle avait douze ans, c'était une « intouchable » (hors caste, bannie du reste de la population, NDLR). Généreuse et douée d'un réel sens de l'hospitalité, elle avait un humour remarquable. Je la trouvais belle malgré les difficultés de son existence. C'était une rencontre émouvante, une véritable leçon de vie.
Votre travail a été énormément consacré aux régions du Moyen-Orient et de l'Asie. Qu'est-ce qui vous attire dans cet endroit du monde ?
On veut simplement aller voir ailleurs, sortir de son pays et voir le monde d'un nouvel œil. On veut vivre de nouvelles expériences. Nous sommes des animaux curieux, des explorateurs à la recherche d'aventure. C'est pour cela que je voyage, que ce soit en Afrique ou en Asie. On y va pour voir de la beauté, c'est formidable !
INDE par Steve McCurry
– Phaidon –
27,5 x 38 cm, 208 pages,
96 photographies couleur
49,95 €
Le livre est disponible ici : http://fr.phaidon.com/store/photography/inde-9780714870762/"