Affiche de l’exposition Lucien Clergue. Les premiers albums © Rmn-Grand Palais, Paris 2015
Grand Palais Galeries nationales du Grand Palais Champs-Elysées 75008 Paris France
Il y a la légende Clergue, celle du jeune bravache qui va montrer ses photographies à Pablo Picasso. Il n'a pas vingt ans. Le peintre lui présentera Cocteau. Nous sommes à Arles évidemment, en 1953. Il y a l'homme des rencontres internationales de la photographie qu'il monte en 1970 avec Michel Tournier et Jean-Maurice Rouquette. Il y a les rondeurs nues et sublimes bien sûr, dans les courants d'une onde impure. Voilà ce que l'on retient le plus souvent de Clergue. L'exposition Lucien Clergue Les premiers albums évoque d'ailleurs comme il se doit Picasso, Cocteau, Saint John Perse et les autres, tout autant qu'elle nous permet de voir ses premiers nus, aréoles et toisons pubiennes à fleur d'eau. Magnifique.
Lucien Clergue
Picasso, président de la corrida
Fréjus, 1962
tirage moderne argentique 30,7 x 50,2 cm
© Atelier Lucien Clergue
© Succession Picasso 2015
Lucien Clergue
Nu de la mer
Camargue, 1956
tirage moderne argentique 40 x 30 cm
© Atelier Lucien Clergue
Mais il y a le reste, moins connu, laissé à l'ombre de la légende sans doute. Ce que les commissaires Christian Lacroix et François Hébel ont bien compris et ce en quoi cette exposition est à ne pas rater. Elle offre une plongée riche, inhabituelle et passionnante au cœur d'une vie photographique.
D'abord, on reste ébahi face aux premiers albums de planches-contacts, oubliés puis retrouvés dans son atelier après sa mort, et qui sont la mise en bouche funèbre de l'exposition. Clergue n'était donc pas qu'un Arlésien obsédé par les seins des femmes !
Ses œuvres de jeunesse prennent la noirceur de la guerre et du deuil de sa mère, morte après une longue maladie alors qu'il n'a que dix-huit ans. S'ensuit une petite balade photographique entre charognes, ruines, concessions, et jeunes enfants fardés et déguisés au beau milieu des vestiges d'une ville bombardée.
Lucien Clergue
Acrobate
Arles, 1955
tirage vintage
30,1 x 24,3 cm
© Atelier Lucien Clergue
Lucien Clergue
La Concession désaffectée (tombe) Arles, 1958
tirage vintage
30 x 24 cm
© Atelier Lucien Clergue
Lucien Clergue
L’Ensablement
Camargue, 1956
tirage vintage
30 x 23,9 cm
© Atelier Lucien Clergue
Et puis les gitans s'imposent. D'Arles et des Saintes Maries, ils redonnent du souffle aux images. On entendrait presque Manitas de Plata gratter sa guitare. Elles ont ici « une ampleur que l’artiste ne leur avait pas donné de son vivant ne voulant pas être pris pour un reporter à une époque où la photographie était très clivée », nous explique-t-on.
Lucien Clergue
La Danse du mariage gitan
Les Saintes-Maries-de-la-Mer, 1963 tirage moderne argentique
58,3 cm x 49,3 cm
© Atelier Lucien Clergue
Clergue reviendrait-il à la vie ? Rien n'est moins sûr. Les « toros » pointent le bout de leur tête sanguinolente. Ou l'agonie de l'animal photographiée à hauteur du sol et de la poussière. Il saisit comme personne le carnage chorégraphié de la corrida. Il le fera toute sa vie, d'Arles à Nîmes en passant par Béziers, Séville ou Madrid.
Lucien Clergue
Taureau mourant
Nîmes, 1970
tirage moderne argentique 49,7 x 40,3 cm
© Atelier Lucien Clergue
Et curieusement, c'est à travers son langage abstrait, presque psychédélique, que la vie et la la mort se conjuguent chez Clergue, dans l'harmonie graphique des noir et blanc. On se perd volontiers dans les 198 grands tirages d'une longue « Fresque cinétique ». On s'échouera aussi, non sans plaisir, sur le « Langage des sables », images d'une thèse soutenue uniquement à l’aide de photographies devant Roland Barthes. Des dessins de sable, saisis avant que le vent ne les emporte... dans la nuit froide de l'oubli ? Certainement pas ! La photographie de Lucien Clergue ne s'oublie pas, et elle se redécouvre au Grand Palais, filez-y !
Francis Selier
A l’homme du sable et du langage de la lumière
Angoulême, 11 avril 2014
tirage moderne argentique ; 170 x 150 cm © Francis Selier