Monia © Giovanni Cocco
Pourquoi avez-vous choisi de travailler sur un sujet aussi sensible et personnel, votre sœur Monia ?
J'ai commencé à photographier ma sœur pour passer du temps avec elle. C'était une façon de la comprendre, de me demander ce à quoi elle pensait et ce qu'elle voulait. De la vie, et de moi. Pour essayer de hurler ma peur et de réaliser ce qui me terrorisait le plus au sujet de son avenir.
Monia © Giovanni Cocco
« Je fais cela depuis que nous sommes enfants. J'observe ma sœur quand elle est immobile, que le temps s'arrête » : comment êtes-vous passé de l'observation à la photographie ?
Le processus photographique a commencé bien avant le moment du shooting, au moment de la première rencontre et de la première écoute. C'est le genre d'expérience qui commence dans mon corps et dans mon âme, et qui dans le même temps atteint mes yeux. Pour Monia, le cheminement a été comme cela : inconscient. Tout ce que je photographie aujourd'hui vient d'une observation instinctive et viscérale développée à travers les années.
Pouvez-vous nous expliquer comment réagit Monia face à vos photographies ? Qu'en est-il de votre famille ?
Je crois qu'en fait Monia ne comprend pas ce que je fais avec la photographie – elle ne comprend pas les choses comme nous. Elle sait que je prends des photos d'elle, mais elle se fiche vraiment de savoir pourquoi j'en ai besoin. Je crois que la seule chose à laquelle elle s'intéresse est que ce moment est notre temps de dialogue, d'échange et de rencontre. Même ma famille ne s'intéresse pas vraiment à ce que je fais parce que j'ai toujours pris des photographies depuis que je suis enfant. Cela leur paraît simplement normal.
« Monia est venue au monde. Ils l'ont jetée dehors, la tête serrée entre deux mâchoires, lui causant des dommages cérébraux irréversibles. » : la première phrase du projet est aussi simple que terrible, comme vos photographies finalement ?
Mon but est d'essayer de raconter l'histoire de Monia sans oublier pourquoi elle a la vie qu'elle a. Je veux que l'observateur ne considère pas comme allant de soi le fait que d'une tragédie naisse nécessairement une autre tragédie.
Monia © Giovanni Cocco
Même si l'usage du noir et blanc dans vos autres séries est particulièrement réussi, on apprécie vraiment ici la couleur, alors même que la maladie mentale est souvent cantonnée au noir et blanc. Est-ce un choix délibéré ?
Ces photographies ne sont absolument pas un rapport sur le handicap de Monia ou sur la peine de notre famille. Elles offrent plutôt un voyage à travers les forces et les liens émotionnels qui se jouent hors d'elle. Alors oui, la couleur était un choix délibéré et stylistique lié à l'histoire que je voulais raconter.
Il y a aussi une utilisation délicate de la lumière dans vos images, tout particulièrement quand il s'agit de montrer, et presque de caresser, le visage de votre sœur. Pouvez-vous nous dire comment vous parvenez à ce résultat ?
Quand je travaille avec la lumière, je recherche des fils invisibles, qui gardent Monia dans le même espace visuel, avec ses pensées et le cadre qui l'entoure.
Les mots, les couleurs, les lumières, etc. tout concorde à donner une vraie poésie à vos photos. Êtes-vous conscient de cela ? La photographie documentaire peut-elle être aussi poétique ?
Je veux explorer les sentiments de Monia, sa voix individuelle. Je cherche des images évocatrices et oniriques pour représenter le monde dans lequel elle vit. C'est le genre de photographie qui m'intéresse le plus, personnel et intime. Le photo documentaire peut également être poétique – quand elle dépasse les limites du réalisme et s'exprime à travers un langage universel.
Monia © Giovanni Cocco
Comme votre travail sur les migrants ou sur la Tunisie, on ressent, derrière la portée sociale de chacun de vos projets, une quête de beauté. Est-ce également le cas pour Monia ?
Oui, mais ce n'est pas une quête, c'est une nécessité. Celle de communiquer ma vision à travers ma propre beauté.
Que peut-on vous souhaiter quant à l'avenir de la série photographique Monia ?
Je veux que mes photos amènent Monia dans tous les endroits où elle ne peut pas aller. J'aimerais aussi que mon travail invite les spectateurs à partager la vie de Monia pendant un instant. Mon rêve est de faire de ces clichés un livre et une exposition qui seraient montrés autour du monde.
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