ALEXP PRAGER PORTRAIT By Sally Peterson ©
Née en 1979 à Los Angeles, Alex Prager a décidé de commencer la photographie en voyant des œuvres de William Eggleston, grand maître de la couleur dans les années 70. Après avoir exposé au Foam en 2012, à la Corcoran Gallery of Art de Washington, en 2013, et à la National Gallery of Victoria à Melbourne en 2014, l'artiste autodidacte voit maintenant ses œuvres exposées dans les collections de plusieurs grands musées, et notamment le Moma. Pour la première fois, les œuvres de la photographe font l'objet d'une exposition en France, et cela juste au-dessus des rayons parfumeries des galeries Lafayette.
ALEX PRAGER PORTRAIT
By Sally Peterson ©
L'errance des individus
Les clichés d'Alex Prager présentent des figurants dans des décors qui reconstituent l'atmosphère que l'on trouve dans les grandes villes. Le but de l'artiste est de montrer l'étrangeté de la vie individuelle. Les personnages sont souvent très nombreux sur les photographies, et pourtant aucun d'eux ne fait attention à son voisin. Dans le cliché "See's Candies, Payless Supercut, I", chaque personnage s'attache à son propre rôle. Un homme en costume bleu lit son journal à l'arrière plan, tandis que sa voisine vêtue de vert regarde dans son sac. A droite, quelqu'un se préoccupe du ciel. Et au premier plan, une certaine femme en robe bleue chancelle, prise d'un vertige soudain.
"LENSCRAFTERS, ACE AMERICAN INSURANCE", 2015
Courtesy the artist and Lehmann Maupin, New York and Hong Kong
Le monde semble s'être figé pour ralentir la course d'une vie bruyante et trop rapide. Cette photographie fonctionne en triptyque avec deux autres clichés exposés dans la même pièce, où l'on retrouve d'autres figurants. Eux aussi miment ces vies qui défilent encore et encore, sur le même fond en briques rouge-orangées. Les clichés de ce triptyque pourraient nous faire penser à la photo de Jeff Wall, "Milk". Prise en 1984, cette photographie montre un homme tenant une brique de lait en train d' exploser. Dans ce cliché, le temps est comme suspendu. On s'interroge aussi sur le personnage, qui semble pris d'une intense réflexion intérieure.
Ces mises en scènes, qui représentent à merveille la non-communication entre les êtres, sont très esthétiques dans le monde de Prager. Elles captivent le spectateur grâce à leurs couleurs très intenses. Alex Prager sait marier les motifs et les coloris avec subtilité. Dans ses clichés, les femmes portent des robes rose-Barbie et des vêtements fashy qui ressortent très bien, sur des fonds bleus ou orange. Les couleurs sont très étudiées et ne sont pas sans évoquer les femmes d' Hitchcock ou de David Lynch en regardant les clichés. Dans ses photographies précédentes (série Face in the crowd , 2013) il n'est pas rare de voir une femme se démarquer de la foule, avec son roux flamboyant.
"LA GRANDE SORTIE", Film still, 2015. Courtesy the artist and Lehmann Maupin, New York and Hong Kong
Un cadrage déroutant
Si les images d'Alex Prager sont aussi séduisantes, c'est parce qu'elles possèdent quelque chose de troublant. L'artiste a utilisé des cadrages atypiques dans ses nouvelles photographies. Sur les huit clichés exposés, trois sont des contre-plongées. "Glendale" et "Burbank" fonctionnent ensemble. On se retrouve alors en-dessous des personnages, comme si l'on était sous une plaque de verre. De la même façon, "Culver city" montre trois hommes intrigants, vus du bas. Très charismatiques, ils pourraient ressembler aux personnages d'un polar. Encore une fois, on ne peut s'empêcher de penser à Hitchcock. Un chapeau, un journal, un costume, et nous voilà plongés dans un univers de film noir.
Les deux tirages "Shopping plaza I" et "Shopping plaza II" sont eux aussi construits de manière totalement déroutante. Sur la première des deux photographies, la foule, qui ressort sur le fond noir, occupe une place très minime sur la photographie (moins d'un quart) et pourtant, le cliché reste très puissant. Sur la seconde image, les trois quarts sont occupés par un sol gris fissuré. Des pieds de figurants sont répartis sur les bords de la photographie, et l'attention du spectateur se focalise sur les traits du sol, qui structurent soigneusement l'image et lui donnent un aspect étrange.
"LA GRANDE SORTIE", Film still, 2015.Courtesy the artist and Lehmann Maupin, New York and Hong Kong
Le film rejoint la photo dans un univers onirique et surréaliste
Le plus savoureux chez Alex Prager, c'est cet aspect étrangement inquiétant, créé par toutes ces compositions, ces couleurs et les attitudes des acteurs. Si ses photographies sont un brin inquiétantes, ses films sont encore plus dérangeants. Le court métrage présenté dans la salle sombre de la Galerie des Galeries remporte la première place sur le podium des œuvres exposées jusqu'au 23 janvier. En présentant les danseurs étoiles Cozette et Karl Paquette, le but de l'artiste était de faire vivre l'intérieur de l'opéra de Paris. Pendant près de 10 minutes, plongés dans le noir, nous nous sommes laissés envoûtés par un univers délicieusement onirique mais aussi déroutant.
La grande Sortie, réalisé en 2015, a été commandé par l'Opéra national de Paris. Il montre l'évolution d'une danse, d'un couple. Au fur et à mesure, cela devient dérangeante, la musique s'intensifie et l'aspect physique de la danseuse est aussi modifié. Peu à peu, elle semble se transformer en horrible pantin, jeté de mains en mains. Son double, qui se trouve dans le public, semble lui avoir jeté un sort, et la danseuse prend peu à peu un air horrifié, figé. Son visage devient rouge et le spectateur ne sait plus très bien ce qui se passe. Le court-métrage prend une dimension inquiétante qui rappellent les fantastiques de Dino Buzzati. Alex Prager a été très influencée par le cinéma du surréaliste Luis Bunuel et par celui de Powell et Presslinger, dans ses court-métrages.
"LA GRANDE SORTIE", Film still, 2015. Courtesy the artist and Lehmann Maupin, New York and Hong Kong
Dans le film, on retrouve des figurants similaires à ceux qui se trouvent dans les photographies. Le travelling du début, qui montre les personnages un par un, laisse apercevoir des figurants occupés à leur propre histoire, et des femmes habillées et maquillées avec des couleurs qui séduisent encore et encore notre rétine. C'est un enchantement perpétuel.
On est un peu déçus de voir si peu de photographies dans cette exposition, on espère une grande rétrospective bientôt pour Alex Prager, qui, à seulement 36 ans, est considérée comme l'une des artistes les plus brillantes de sa génération.
Vous pourrez trouver plus d'oeuvres de l'artiste sur : http://www.alexprager.com/"