© Sarah Preston/Neutral Grey
Vue de l'exposition Ever Young à la Galerie Clémentine de la Ferronière
Loin de l'Afrique et au cœur de l'île Saint-Louis se tient en ce moment l'exposition Ever Young, à la galerie Clémentine de la Ferronière. James Barnor y expose ses clichés préférés, comme il l'a fait précédemment à l'Université Harvard (Boston), à la National Gallery du Cap en Afrique du Sud, ou plus récemment à la galerie Rivington Place de Londres. Barnor s'est associé à Autograph ABP, un organisme de bienfaisance international qui s'intéresse à la photographie comme moyen de faire dialoguer les différentes identités culturelles en faisant valoir les droits humains. De cette collaboration est née la première monographie de l'artiste, également appelée Ever Young.
Ever Young. C'est le nom du studio ouvert par l'artiste à Accra en 1950, dans le quartier de Jamestown, après quelques années d'apprentissage aux côtés de son cousin photographe J.P. Dodoo. Sur la façade, le nom « Ever Young » s'écrit dans la calligraphie empruntée à un magazine britannique auquel il était abonné étant petit. Le photographe explique que le nom de son studio était une référence au poème d'une déesse dont les pommes magiques possédaient le pouvoir de la jeunesse éternelle. Actif pendant un peu moins de 10 ans, le studio à la statuette emblématique*, ouvert jour et nuit, était une vraie auberge espagnole. Les clients, mis à l'aise par un James décontracté et une musique populaire, payaient pour se faire tirer le portrait.
© James Barnor, Selina Opong, policière n° 10, Accra, studio Ever Young, vers 1954. Courtesy Autograph ABP
En 1957, le Ghana est l'un des premiers pays subsahariens a obtenir son indépendance. Barnor photographie la cérémonie sous toutes ses coutures, et réalise notamment de nombreux clichés du président victorieux Kwame Nkrumah, militant pour l'union panafricaine. Il se fait repérer par le magazine sud-africain Drum, engagé dans la lutte anti-apartheid, et réalise quelques commandes ponctuelles.
Deux ans plus tard, en 1959, Barnor va tenter sa chance outre-atlantique. Malgré son expérience de dix ans en tant que photographe studio, il admet qu'« en arrivant en Europe, on doit s'incliner, s'écraser ». Doué pour provoquer le destin ou simplement très chanceux, le photographe avoue ne pas avoir été confronté au racisme : « Je ne peux pas comparer mes chances à celles des autres Noirs. On m'a fait venir en Angleterre, et même si j'étais le seul Noir à l'université, on a créé un emploi pour moi après mon diplôme, que j'avais eu grâce à une bourse du Ghana ».
Il commence à faire des couvertures régulières pour le magazine Drum, prenant toujours le soin de choisir des femmes noires, pour changer des stéréotypes à la Antonioni. Alors que Londres est en pleine ébullition culturelle, entre modernité et post-colonialisme, James explique que « les Noirs commençaient à réaliser qu'ils pouvaient se battre pour leurs droits et se sentir humains. Ils avaient plus de chances qu'auparavant : ils ne prenaient plus seulement les sales boulots. Les gens étaient heureux, ils pouvaient se payer des habits à la mode, dormir tranquillement et non plus à plusieurs dans une même chambre ». Quand on évoque avec lui son expérience de photographe de mode, on comprend qu'elle a été d'autant plus importante qu'il a pu l'utiliser pour mettre en avant les modèles noires. A cette époque, diplôme en poche, James savait manier la couleur, et avoue en avoir joué : « Mon approche était différente de celles des autres, car je savais ce qui se trouvait à l'intérieur de la couleur ».
© James Barnor, Erlin Ibreck, modèle decouverture de Drum, Londres, 1966. Courtesy Autograph ABP
© James Barnor, Marie Hallowi, modèlede couverture de Drum, Rochester (Kent), 1966. Courtesy Autograph ABP
Une nouvelle rencontre fortuite, celle de Dennis Kemp, lui permettra de débuter une collaboration fructueuse. Alors que Kemp travaille comme enseignant pour Kodak, il propose à James de le prendre sous son aile. Le photographe avoue que « sa vie a changé » grâce à lui.
Etant devenu un spécialiste de la couleur, James rentre au Ghana. Grâce à ses expériences passées, il arrive à se faire embaucher par Agfa-Gevaert et ouvre le premier laboratoire couleur du pays. Regrette-t-il de ne pas avoir formé d'apprenti lors de cette nouvelle aventure ? Il répond avec lucidité : « J'en ai formé, au laboratoire, mais ils sont décédés depuis. J'ai enseigné ma technique à mon fils, il est meilleur que moi, mais à l'époque où l'on vit, il faut être d'autant plus passionné pour réussir. Il lui manque ce petit truc qui fait que le succès arrive ». Une pointe de nostalgie ponctue son discours. Même s'il est en phase avec son temps, James regrette certaines valeurs de l'époque Ever Young : patience, volonté, travail acharné. « Les avancées technologiques sont incroyables et favorables au développement de la photographie, mais cela efface tout le savoir-faire que l'on transmet. Quand nous travaillions, à l'époque, on imprimait avec nos mains et notre sueur, pas avec des machines », conclut-il.
© James Barnor, Sans titre no 4, une assistante de la boutique Sick-Hagemeyer, Accra, 1971. Courtesy Autograph ABP
Alors que son témoignage vaut plus que les meilleurs livres d'Histoire, James revient sur l'évolution de son pays. « De l'indépendance à nos jours, les choses sont allées à reculons, surtout à cause de l'argent, explique Barnor. Les gens me demandent toujours pourquoi je vis en Angleterre dans une petite maison alors que je pourrais vivre comme un prince au Ghana. Ce n'est pas ma manière de voir les choses : si vous venez chez moi, vous ne verrez aucun signe de richesse ». Malgré cela, le photographe avoue ne pas vouloir baisser les bras. Il nous parle d'une association, http://futureofghana.com/", composée de jeunes quasiment tous nés à l'étranger après la diaspora. Leur but est de mettre en valeur et mobiliser le talent des jeunes pour le développement de l'ex Côte de l'or. Il espère « qu'un jour, ils auront la chance de remettre le Ghana sur le droit chemin ». Barnor est remonté contre les politiciens assoiffés de pouvoir qui ne pensent « qu'à leurs grosses voitures et grandes maisons, souffle-t-il, dépassé. J'essaye de trouver des solutions pour les choses changent, vous voyez, ce n'est pas normal. Je suis un photographe, et pourtant je pense politique à la place des politiciens ! ».
Et pourtant, il les a côtoyés ces hommes politiques. Kwame Nkrumah, Dr. Danqua, Yasser Arafat... mais aussi des célébrités comme Mohamed Ali ou Mike Eghan. Malgré cela, James admet avoir rêvé de photographier Kennedy : « J'ai toujours pensé que le destin nous unirait, jusqu'à ce que j'apprenne son décès lorsque j'étais à Londres. Vous savez, je déteste donner mon appareil photo à quelqu'un et pourtant, pour Kennedy, je l'aurais fait et aurait eu ma photo souvenir avec lui ! Sinon j'aurais aimé photographier Nelson Mandela, car il était un symbole. Et également Marilyn Monroe... elle donnait tellement à l'objectif. J'aime tellement les femmes, on ne peut pas me blâmer pour cela ! » lâche James, toujours plus taquin.
© James Barnor, Mike Eghan à Piccadilly Circus, Londres, 1967. Courtesy Autograph ABP
© James Barnor, Petit déjeuner avec Roy Ankrah, boxeur également connu sous le nom de « the Black Flash », Accra, vers 1952-1953. Courtesy Autograph ABP
Avec la vie pleine de rebondissements que James Barnor a menée, on l'interroge sur la pérennité de son œuvre, et sa notoriété, qu'il le veuille ou non. Il admet qu'on lui a souvent glissé l'idée de rédiger des mémoires, sans aller plus loin. C'est sa monographie qui lui a donné le courage de les entreprendre, car de 1949 à 1959, un nombre considérable de ses photos sur plaques de verre ont été jetées car trop encombrantes. « Je veux écrire pour qu'on se souvienne de ces gens et de leurs histoires » nous glisse-t-il. L'homme altruiste qu'est Barnor a également comme projet la création d'une fondation pour l'éducation des enfants, qui fonctionnerait grâce aux revenus des ventes de ses photos : « Je me donne encore cinq ans pour finaliser mes projets, avant d'avoir 91 ans, et avant que le Ghana me rappelle pour de bon ! ».
*une statuette d'une petite fille tenant une ombrelle.