Stéphane Gizard
Stéphane Gizard, cette exposition présente des photographies de Like me, votre nouveau travail mais aussi de Modern lovers, œuvre qui a vu le jour en 2013. Pourquoi avoir présenté des photographies des deux séries ?
Dans mon travail Modern Lovers, j'avais fait beaucoup de photos où l'on ne voyait pas l'identité des gens. Je trouvais donc cela intéressant de mettre en opposition ces photos tirées de ma série de 2013 et celles de la nouvelle série, où l'identité est vraiment très présente. Cela permettait aussi de promouvoir un peu le livre.
Modern Lovers, ce titre de série est-il une allusion à la chanson de David Bowie, Modern love (1983) ?
J'aime beaucoup cette chanson, mais ce n'est pas pour cette raison. Il y avait un livre de Bettina Rheims, en 1990, qui s'appelait Modern lovers. C'était un travail sur des filles qui ressemblaient un peu à des garçons et, à l'inverse, sur des garçons qui étaient très féminins. Je me suis dit que cela serait un hommage à Bettina Rheims.
Série Modern Lovers, 2015
© Stéphane Gizard
En regardant les photographies de la série Like me, on pense tout de suite à Facebook...
Bien sûr ! c'est un travail sur la photo de profil, mais cela reste du portrait quand même. Le titre « like me » ne se traduit pas par « aime-moi », mais par « comme moi ». Je trouvais cela drôle d'intégrer le like de ce site dans ce titre. C'est un travail qui parle des réseaux sociaux donc ce sujet est complètement contemporain.
Dans une interview accordée au magazine GQ en 2013, à propos de Modern Lovers, vous expliquez que vos castings se passaient sur Facebook. Comment procédez-vous maintenant ?
La plupart des gens qui ont posé sont des gens que j'ai rencontrés sur Facebook en cherchant dans les amis d'amis. Avant, j'étais un grand spécialiste du casting de rue, mais c'est très fatiguant. Je me suis dit qu'il était plus facile d'utiliser Facebook. Quand tu photographies quelqu'un, cela en incite d'autres à te contacter. Les réseaux sociaux sont géniaux pour ce genre de bouche à oreille.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé à cette période de l'adolescence?
Pour moi, cette période est extraordinaire ! La personne n'est pas « terminée », c'est vraiment l'âge de tous les possibles. Certains jeunes de 17 ans ne sont plus du tout insouciants, malheureusement. Mais a priori, quand on n'a pas eu trop de problèmes dans sa vie, on est dans l'insouciance totale. C'est une période où l'on veut se prouver que l'on plaît et souvent, une grande assurance cache beaucoup de fragilité. Je trouve cela intéressant de figer ce qui n'est pas figé, ce côté en mutation où les corps sont magnifiques. Les visages sont beaux, sans rides. Il y a toute une recherche de soi, une fragilité, une certaine ambiguité aussi, une recherche du genre. Il y a plein de choses comme cela à cet âge-là. C'est une période qui me touche énormément.
Les jeunes que vous prenez en photo sont vraiment beaux...
Je photographie avant tout des gens qui me plaisent, surtout dans le casting sauvage. Mon choix est vraiment instinctif, ces gens me plaisent, voilà. Je ne sais pas expliquer pourquoi. J'ai choisi ces adolescents parce qu'ils représentent ce que je n'ai pas été. J' ai grandi trop vite et j'étais complexé parce que je me trouvais trop grand, trop maigre, alors que maintenant j'aime bien les gens minces. J'ai envie de vendre du rêve, je n'ai pas envie d'être dans la réalité. J'aimerais le faire, mais je suis trop fragile pour cela. Je n'ai pas le courage d'aller dans un asile pour en faire des photos, comme l'ont fait de grands photographes, comme Depardon. Je ne suis pas assez fort pour pouvoir supporter des choses qui m'agressent. Je cherche avant tout à faire un travail qui me plaît et qui sera beau à regarder.
LIKE ME, 2015
© Stéphane Gizard
LIKE ME, 2015
© Stéphane Gizard
Vous pensez en termes d'esthétisme ?
Oui voilà, c'est l'esthétisme qui m'importe. Je pense que les gens que je photographie sont vraiment des gens contemporains, dans leur physique, leur attitude. C'est pour ça qu'ils s'appellent Modern Lovers, d'ailleurs. Je pense que dans une vingtaine d'années, ils représenteront un peu des figures types de notre époque.
Modern Lovers sera donc une sorte de témoignage ?
Oui je pense. Il y a des témoignages assez forts dans ce livre. Par exemple, la photographie du bras scarifié présente quelqu'un qui a essayé de se suicider plusieurs fois. Et en même temps, je trouve cela très esthétique parce qu'on ne voit rien de plus que ce bras scarifié.
On penserait à une sorte de Larry Clark en moins « trash »...
Je ne suis pas du tout comme Larry Clark. J'ai vu quelques-uns de ses films et je les trouve intéressants, mais tout ce qu'il a fait en photographie ne m'évoque rien. Je trouve cela trop «trash», comme vous dites. Je n'aime qu'une seule de ses photos : celle d'un garçon avec un flingue dans la bouche. Il porte un caleçon noir et nous pouvons voir son sexe à l''entrejambe.
Série Modern Lovers, 2013
© Stéphane Gizard
Like me présente des diptyques. L'image de gauche est un autoportrait effectué à l'aide d'un appareil photo et d'un iPad par l'adolescent. L'image qui se trouve à droite a été réalisée par vos soins. Comment avez-vous procédé pour la construire ? Quelle image des adolescents vouliez-vous montrer ?
Le but de ces diptyques est vraiment de montrer deux regards différents. Quand tu fais un selfie, quand tu mets une photo de toi sur Facebook, c'est une photo que tu valides parce que tu te trouves bien dessus, tu veux faire passer quelque chose. La question que l'on pourrait se poser est celle-ci : est-ce que la vison qu'on a de cette photo est la même que celle que les gens vont avoir quand ils la verront ? Je pense qu'ils n'auront pas du tout la même impression que nous. Parce qu'il nous est très difficile de prendre du recul sur nous-même et de savoir ce que l'on dégage.
C'est pour cette raison que je trouvais cela intéressant de les laisser seuls dans le studio, face à un iPad, en mode autoportrait. Il y avait quand même des contraintes : ils devaient être torse-nu et poser avec un fond pâle. Mis à part cela, ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient, ils pouvaient faire une grimace, se mettre de profil, fermer les yeux, faire un grand sourire. Et après, ils validaient leur image. Et de mon côté, j'essayais de sentir quelque chose chez eux, comme je l'ai fait pour Modern Lovers. Je voulais aussi que ces portraits soient sensuels. Pendant l'adolescence, les gens ne sont souvent pas à l'aise avec leur corps. Ces photographies leur ont permis de prendre conscience de leur corps et de leur côté sexy.
LIKE ME, 2015
© Stéphane Gizard
LIKE ME, 2015
© Stéphane Gizard
Les couleurs sont vraiment très douces aussi. Est-ce pour marquer une sorte de pureté ?
Je suis quelqu'un de très calme, j'aime les choses très zen, très épurées. Chez moi, tout est blanc et mes images me correspondent. Il n'y a pas de retouches. La lumière était belle parce qu'elle était très très douce et très puissante. La chromie est importante, j'utilise la saturation, des choses comme cela. Dans Modern Lovers, aucun corps n'a été retouché. Sauf si je voyais une grosse cicatrice ou un bouton.
Est-ce que ces jeunes que vous avez photographiés se sont intéressés à la photographie par la suite ?
Il y en a surtout qui sont rentrés en agence de mannequins. Certains de mes modèles sont inscrits dans de grosses agences à Paris. Souvent, je me rends compte que je ne me suis pas trompé, les personnes que j'ai remarquées sont très intéressantes. Les photos leur donnent de l'assurance. J'aime beaucoup être dans l'intimité avec les gens. Dans son texte à propos de l'exposition, Jean-Luc Soret a écrit que j'étais bienveillant. J'aime beaucoup ce mot, « bienveillant ».
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