Mercredi 30 Septembre 2015 13:00:33 par Emilie Lemoine dans Livres Chroniques

Il pourrait presque sentir le café, le dernier recueil de Sebastião Salgado. Epais, grand, rugueux quand on caresse le relief des lettres qui dessinent le nom du maître et de son ouvrage Terres de Café. Noir et blanc évidemment. Le profil d'une jeune fille noire et d'un sourire esquissé : trois petites dents blanches en couverture. Un bel objet comme on dit. Pour une thématique pas si jolie que cela, celle de la production mondiale de café vue à travers celles et ceux qui le récoltent.

« Il peut sembler bizarre qu'un Brésilien admette ne jamais boire de café. C'est pourtant mon cas, bien que ce liquide coule littéralement dans mes veines », écrit Salgado dans sa préface. Pour un homme qui a par ailleurs travaillé pour l'Organisation internationale du café dans les années 1970, l'anecdote ne manque effectivement pas d'ironie. Ce qui ne manque pas d'ironie non plus, c'est le texte qui suit, celui d'Andrea Illy, le patron du café Illy*. Alors oui, le chef d’entreprise italien est connu pour ses actions favorables à un commerce plus équitable et à une production durable, mais le mélange des genres - photographie/business - gêne aux entournures. Il gêne d'autant plus qu'il met en avant le fait que les grands (le grand photographe, le grand patron) parlent des petits (les petits producteurs, les petits récoltants). Mais ici les petits se taisent. Ils n'ont que leur image à offrir.

Zone caféière de Llano Bonito de Sarcero, région centrale, Costa Rica, 2013.
Publication originale Editions Contrasto.
Sebastiaõ SALGADO© Agence Amazonas Images


 

Il faut dire que les images sont d'une réelle beauté. Salgado et ses tirages devenus légendaires savent magnifier le monde qui nous entoure. Il faut les voir ces plants de café en étages, comme de la vigne, plantés sur les collines d'Amérique du sud, ces visages et ces mains marqués de cueilleurs africains ou de cueilleuses asiatiques, ces scènes monumentales du tri des grains. Contrairement à ce que la couverture pourrait laisser croire, il n'y a pas autant de sourires à l'intérieur de l'ouvrage. Le photographe montre le dénuement, la difficulté, la douleur et l'ingratitude du travail du café. Il en faut des litres de sueurs pour les quelques gouttes de notre petit café matinal !

Village de Mengnai, district de Baoshan, province du Yunnan, Chine, 2012
Publication originale Editions Contrasto.
Sebastiaõ SALGADO© Agence Amazonas Images

Mais l'esthétisme de ces images lisse aussi beaucoup son sujet. Le magnifique noir et blanc de Salgado trahirait presque ceux qu'il photographie. Rendre belle la misère, si belle qu'on en ferait bien un cadre pour notre salon. Susan Sontag avait d'ailleurs pointé chez lui les limites et les dangers de l'exercice (Devant la douleur des autres (2003). A ceci, s'ajoute selon nous un détail : le problème des légendes confinées dans les dernières pages, et pas à côté du cliché. Alors même que les conditions de production de café, très opaques, mériteraient d'être non seulement mises en lumières, comme ici, mais immédiatement distinguées, localisées et identifiables, nous restons dans un flou (très) artistique. Dommage.




(*Le photoreportage de Sebastião Salgado s'expose au pavillon du café de l'exposition universelle de Milan, en partenariat avec les cafés Illy.)


Terres de café
Voyage au pays de l'arôme
Sebastiao Salgado
Editions de La Martinière
59 euros