Viviane Esders ©Michel Lunardelli
Il faut la voir aux enchères chez Drouot, Vivianne Esders ! Commenter avec une familiarité drôle et naturelle la mouche de Doisneau, « Extraordinaire texte de Robert ! », ou un cliché de Basquiat pris par Pierre Houles (Jean-Michel Basquiat assis, 1982), sur lequel le peintre pose avec un chapeau presque aussi petit que sa chaise : « Trop drôle ! » glisse-t-elle malicieusement. Son accent français est irrésistible, surtout quand elle prononce le mot bondage au sujet d'Araki : « bondaillege ». Au milieu du ballet des œuvres et de leurs porteurs en tablier noir, Vivianne mène la danse.
Peter Beard, « Zebra Carpet, Lariak Estate, Laikysia, For the End of the Game Last Word from Paradise, Septembre 1960,
Vendue le 28 mai 2015 à 25 000 euros
Ses premiers pas dans le milieu furent américains. Comme toutes les success stories, ou presque, tout a commencé aux Etats-Unis. A New York plus précisément. Of course!
Après des études à HEC, la jeune femme part faire des stages aux Etats-Unis. Vers 1976-1977, elle voit et visite pour la première fois, des galeries de photos. Entendez des galeries exclusivement consacrées à la photographie et pour l'époque c'est un sacré choc ! « Witkin, Robert Miller, Light Gallery » : les noms sont depuis devenus mythiques.
« La photographie, c'était une découverte. Je ne connaissais pas du tout », explique-t-elle. Elle connaissait quand même Warhol, ça aide un peu. Il avait habité chez ses parents quand il tournait des films à Paris. « Je me suis pointée à la Factory et j'ai dit « Je voudrais voir Monsieur Warhol ». Ça a commencé comme ça, j'avais 18 ans » : le réseau – l'entre-soi ?-, c'est important, n'est-ce pas ? Miss Esders se prend de passion pour l'art contemporain, alors en pleine ébullition aux Etats-Unis. En 1976, elle travaille d'ailleurs dans une entreprise américaine qui prépare le portfolio du bicentenaire et croise ses idoles : Tom Wesselmann, Rauschenberg, Jim Dine... « J'ai rencontré tous les artistes importants américains », lâche-t-elle, non sans fierté. Mais la vraie rencontre, ce sera Mapplethorpe, qu'elle approche par le biais d'Andy Warhol. Avec Patty Smith dans le coin évidemment : « On se retrouvait pour manger dans des petits bistrots du Lower East Side et après on allait danser ! Petit à petit, on se voyait dans les vernissages des copains. Il y avait aussi Laurie Anderson qui commençait à faire ses premières performances. On était tous assis par terre dans les galeries, ça se passait comme une petite réunion de copains. »
A son retour en France, portée par ses rencontres et son nouvel amour de la photographie, Vivianne Esders ouvre sa galerie : « Il n'y avait rien à Paris, il n'y avait pas de marché, ça n'existait pas. Il y a 30 ans, les gens ne pensaient même pas qu'on pouvait acheter une photo ! J'ai donc ouvert un très bel espace de 300 m2 en face de Beaubourg, c'était incroyable ! Je montrais des photos et les gens rentraient en disant « C'est vous qui faites ces belle photos ? » »
Bien sûr que non. Vivianne n'y est pour rien, mais Mapplethorpe oui. Et puis d'autres Américains, et d'autres étrangers aussi. Ici, pas de clichés noir et blanc humanistes franco-français, mais de la photo en couleur, made in USA, comme ces Polaroid de William Wegman qu'elle vendait 3000 francs à l'époque. « Les Mapplethorpe, ça valait 900 dollars et la même photo aujourd'hui en vaut 150 000... », lâche-t-elle. Parce qu'il est aussi question de « money ». L'art pour l'art, c'est bien gentil, mais ça ne nourrit pas les galeries. Et quand on s'offusque un peu, et qu'on lui demande si la photographie, sale gosse rebelle, ne s'est finalement pas fourvoyée en s'embourgeoisant de la sorte, Vivianne répond, presque offensée : « Bah non, pas du tout ! » Elle a au contraire gagné ses lettres de noblesses en devenant un véritable objet de collection qui a fini par intéresser les gens, les musées... Petit à petit, des départements de photographie contemporaine ont été ouverts. Le premier mois de la photo a vu le jour en 1980. Même s'il y avait Arles bien sûr depuis 1970, et quelques foires aux Etats-Unis.
Mais Rome et New York ne se sont pas faites en un jour et les débuts photographiques parisiens sont un peu difficiles : « Les dix premières années, on ne vendait pas tellement. Nous défrichions complètement le marché. Les gens ne comprenaient pas comment on achetait les photos, alors je faisais des séminaires et des conférences dans ma galerie. Petit à petit, on a fondé une sorte d'association avec plusieurs galeristes, à la tête de laquelle était Pierre Cornette de Saint Cyr. Un passionné de photographie ! » C'est avec lui que Vivianne Esders commence ses premières ventes aux enchères, au début des années 1990.
Elle finira par fermer sa galerie, qui n'était pas vraiment rentable, pour se tourner complètement vers la vente. Là encore, tout est à faire : « Il y avait des collectionneurs de photos anciennes ou traditionnelles, mais les grands formats affolaient parce que les gens ne savaient pas où les mettre et avaient peur que les couleurs passent. »
Sa première vente ? Elle s'en souvient comme si c'était hier : « On avait un Weston en couverture qui était absolument extraordinaire qu'on vendait 20 000 francs en 1990 et qui maintenant vaut 150 000 dollars, ça a vite pris de la valeur ! »
Richard Avedon, « Suzy Parker and Robin Tattersall Evening Dress by Griffe, Folies Bergères », Paris, Août 1957,
Vendue le 28 mai 2015 à 22 500 euros
Quarante ventes plus tard, http://www.viviane-esders.com/". Car une année de vente ne s'organise pas au hasard. Elle est le fruit d'un travail, de choix quasi éditoriaux.
Chaque année par exemple, elle organise une vente autour du voyage du XIXème siècle : « On a des collectionneurs du monde entier, de Turquie, des îles Samoa, du Chili etc. qui achètent des photos anciennes, souvent pour leur patrimoine. » Il faut aller chercher les photographies, ou estimer celles qu'on lui apporte : des albums de famille, d'anciens ingénieurs, officiers de marine, géographes ou ethnologues : « Parfois, les gens pensent que cela ne vaut rien et on en tire 15000 euros, et parfois cela ne vaut vraiment rien, alors ils les gardent en souvenir ! » La vente de février 2016 est déjà en préparation.
EUGENE ATGET 1857-1927« St Etienne du Mont – La Montagne Ste Geneviève », 1898.
Tirage albuminé monté sur papier, légendé et numéroté « 355 » au crayon au dos du tirage, tampon « YVAN CHRIST 5, Rue Léopold Robert, Paris – XIVe » au dos du montage.
Image : 21,5 x 18 cm ; montage : 32,5 x 24,8 cm
Bibliographie « Le Paris d’Atget », p.68, légendé « Le clocher de St Etienne du Mont et la rue de la Montagne Ste Geneviève » ; "Paris du temps perdu - Proust", p.47 ; "Atget Paris", p.360, légendé « Angle de la rue Laplace et de la Montagne-Sainte-Geneviève, 1898 » ; "Eugène Atget, Une rétrospective", p.26, légendé « Rue de la Montagne-Saint-Geneviève » ; « The Work of Atget, Vol 2. The Art of Old Paris », fig 48 p.180.
2 500-3 500 €
VENTE Me LE MOUEL – Mme ESDERS 10 NOVEMBRE 2015
Vivianne Esders nous parle de Moriyama, très en vogue et donc très cher : « Quand en plus c'est une icône - un tirage qui était la couverture d'un catalogue ou d'un livre par exemple - qui est recherchée, que le tirage est limité et que les gens savent qu'il n'y en a plus sur le marché, ça fait monter les prix ! D'ailleurs dans les galeries, les prix augmentent au fur et à mesure que le tirage s'épuise, à peu près de 15%, c'est à dire que la personne achète le N°1 à 3000, et que le N°2 vaut déjà 3500. »
A côté des Japonais, les photographes stars du moment sont surtout les Américains : David LaChapelle, William Eggleston, les photographes de mode comme Richard Avedon, Irving Penn ou Weston. Ces trois là sont d'ailleurs parmi ses préférés. Avec Mappelthorpe évidemment. Et Luigi Ghirri et Paolo Reversi aussi. Larry Clark en revanche, elle trouvait cela un peu trop cru, elle n'a jamais montré de nu, à part Sally Mann, mais c'est une autre histoire...
Il y a des photos qui se vendent à un million de dollars. Que dit l'experte face à ces sommes exorbitantes ? Pas grand chose en fait. Elle trouve, à juste titre, que par rapport à des peintures, on est encore dans un milieu raisonnable. Va-t-il le rester ? On en doute. L'experte elle-même confie : « La photo, c'est un créneau porteur, qui va s'amplifier de plus en plus. »
A la vente du 28 mai dernier, entre 250 et 300 pièces ont été présentées en 14h et 18h. Non stop. Après deux jours de présentation à Drouot, au cours desquels plusieurs milliers de visiteurs ont pu admirer les œuvres. Plus en amont encore, certains, dans l'impossibilité de se rendre à la vente, ont pu venir voir des photos en privée, dans son cabinet d'expertise. Il y a de toute façon moins en moins de gens présents, en chair et en os. Le téléphone et le web ont pris le relais. Mais Vivianne Esders, elle, entre ses voyages en Asie ou à New York, est en place : « Je travaille tout le temps, même quand je ne travaille pas ! Ça fait 30 ans que ça dure et j'espère encore jusqu'à la fin de mes jours »