Contraband de Taryn Simon © Hantje Cantz
Pour sa 6ème monographie, Taryn Simon continue d’inventorier notre monde en s’invitant dans les lieux interdits d’accès au commun des mortels ; exercice auquel elle s’est déjà prêtée pour An American Index of the Hidden and Unfamiliar (2007). Une des photos de la série constitue d’ailleurs le point de départ de Contraband. Pris à l’aéroport John F. Kennedy à New York, le cliché représente une table chargée de fruits, plantes, sacs, surmontés d’une tête de porc. Des objets transportés en toute illégalité saisis par la douane. Simon réalise que ce lieu recèle d’un potentiel à explorer. Ce qu’elle fera en 2009, au cours d’un second shooting sur place, aux allures de marathon. Jour et nuit, au rythme des confiscations, Taryn photographie les prises, rassemblant des clichés qu’elle compile dans le recueil Contraband, dans un exercice plus intensif qu’exhaustif.
An American Index of the Hidden and Unfamiliar - 2007
© Taryn Simon
Un challenge physique et mental
Pour la photographe et son équipe, c’est un travail éprouvant qui commence, lorsque, le 26 novembre 2009, elles investissent le service du courrier international et des douanes de l’aéroport JFK, où l’on inspecte minutieusement les colis et bagages entrant aux USA. ”Aucun de nous n’était vraiment préparé pour les privations de sommeil auxquelles nous sommes finalement parvenus, c’est certain”, explique Simon. Pendant cinq jours et quatre nuits, elles photographieront les objets confisqués, vivant au rythme de leurs va-et-vient. Un matelas installé dans un coin, ses assistants et elle l’occupent à tour de rôle, grappillant quelques heures de sommeil entre les arrivées de biens. Une hygiène douteuse (elle n’a pris qu’une seule douche), un grand déficit de sommeil et 1.075 clichés sont le bilan de cette performance photographique qui laisse à tous un souvenir impérissable. “Le dernier jour, j’étais assise avec le déclencheur de l’appareil photo dans la main et mon assistant a dû littéralement me frapper pour que je me réveille et que j’appuie sur le bouton” se remémore Simon.
Sacs, Louise Vuitton (contrefaits)
Contraband
Image issue de l'exposition du Jeu de Paume "Vue arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure"
© Taryn Simon
L’ordre et le chaos
Sang de cerf, khat, CDs, gâteaux, gemmes, fruits, parfums, armes, bijoux, poupées russes, cigarettes, squelettes d’animaux... Ces articles sont illicites, interdits, faux, piratés ou non-déclarés et figurent dans la longue liste des objets saisis puis photographiés par Simon. La forme choisie pour ces clichés est celle déployée dans A Polite Fiction : des items centrés, capturés sur un fond blanc uniforme. Pour un résultat semblable à des photos d’identité, formelles et neutres. Ici, l’ordre de l’administratif rencontre le hasard des confiscations. La rigidité de la mise en forme contraste de ce fait avec la diversité et l’originalité de certains objets, comme cet oiseau de proie indonésien, déclaré comme “décor d’intérieur”, ces équipements de golf ou encore ce tam-tam décoré. Un capharnaüm, que l’auteure discipline en classant les objets par ordre alphabétique.
Cochons d'Inde, prohibés
Contraband
© Taryn Simon
L’uniformisation des biens et des désirs
Plus qu’une simple accumulation, Contraband dresse un portrait de notre monde et des échanges incessants qui y sont opérés, dont une grande partie nous est invisible. Simon nous révèle la part illégale de ce trafic. Mais si sa diversité nous marque à la vue des langues de canards et autres produits farfelus, la photographe a quant à elle plutôt été choquée par la redondance des articles, notamment la drogue, les CD piratés, les bijoux et la maroquinerie contrefaite. “Tout le monde semble courir après la même marque, les mêmes bijoux, les mêmes parures et excès… C’était un portrait plutôt plat du monde”, conclut Taryn Simon.
Pris individuellement, les objets photographiés par Simon nous en apprennent un peu sur le pays d’où ils viennent et sur leur destinataire ou leur expéditeur. Mais, rassemblés en une oeuvre, ils deviennent une représentation du monde actuel, de ses besoins et de ses rêves. C’est là la double force de Contraband. La monographie nous invite dans un premier temps à nous étonner, à rire et à découvrir des échanges insolites et illicites, puis nous laisse face au constat des menaces écologiques et de la banalisation des envies, des dérives et des excès. Ludique, certes, mais qui interroge et donne matière à réflexion.
Contraband de Taryn Simon
Editions Hatje Cantz
Langue : anglais
479 pages
24.5 x 16.5 cm
ISBN 978-3-86930-134-1
€ 98.00
Citations issues d'http://fr.actuphoto.com/31171-taryn-simon-s-expose-au-jeu-de-paume.html"
Taryn Simon a exposé au Jeu de Paume. Retrouvezhttp://fr.actuphoto.com/31171-taryn-simon-s-expose-au-jeu-de-paume.html"...