Jonnie Turpie - Birmingham © Brian Griffin
Ce sont les premiers jours de sa résidence à la mi-juin. Son projet ? Une galerie de portraits des membres du conseil des Sages de Deauville. Rien de déterminé pour le moment, il en est à l'installation de son studio. Balade sur le front de mer, puis Trouville, l'occasion de parler photographie, musique, etc.
Brian Griffin par Ashley Franklin
« Appeler des photographes « artistes », quelle grosse connerie ! Il y a très peu d'artistes talentueux en photographie » : Brian Griffin ne fait pas dans la dentelle. Lui, il préfère le terme « photographe », plus terre à terre, loin de la vantardise, de la gloriole ou de l'égotisme de ceux qui aiment à clamer haut et fort « Ô je suis un artiste ! ». C'est un job, rien de plus, comme on est balayeur, laveur de vitres ou vendeur, on est photographe. A deux-trois détails près, comme l’obsession par exemple, dont il se plaît à dire que c'est la clé de la réussite photographique, voire artistique : « Il faut être obsédé. »
Laughing Businessman - London © Brian Griffin
L'homme a fait ses débuts à l'époque où l'Angleterre n'avait qu'une seule galerie photo et que la pensée même de vendre son travail ne l'effleurait pas une seconde. Les expositions étaient très basiques : « Pas du genre « quel cadre devrais-je choisir ? », mais plutôt « est-ce que vous pouvez mettre ça dans un cadre ? » ».
Cette vision pragmatique des choses, cette humilité du discours naissent au cœur d'une jeunesse ouvrière, et d'un amour premier et absolu pour la peinture : « Tous mes héros sont des peintres, comme les Français : Millet, Courbet, Manet, Renoir, etc. » Le petit Griffin est un fou d'art à l'école, mais sa vraie vie est ailleurs. Pas à la Rimbaud, à l'usine plutôt. « J'ai grandi parmi les usines, donc je ne pensais pas vraiment à ce genre de choses, j'étais un garçon de la classe ouvrière, je n'étais pas de la classe moyenne ou supérieure. Martin Parr était de la classe moyenne lui ! », lance-t-il. Ces mots n'ont rien de vindicatif, ils ont la lucidité de celui qui a subi l'inégalité sociale de plein fouet. Griffin est d'ailleurs particulièrement admiratif de son compatriote. Arrivé un an après lui dans l'université qu'il fréquente déjà, il ajoute au sujet de Parr : « Martin était un excellent ami et une formidable source d'inspiration, et j'espère l'avoir inspiré moi aussi, qui sait ? J'aime à le croire... »
One of the Water People - Iceland © Brian Griffin
Brian Griffin n'est pas allé à l'université avant l'âge de 22 ans, ce qui était déjà vieux pour l'époque. Avant cela, il a travaillé dans la mécanique dès l'âge de 16 ans. Ses parents l'ont fait quitter l'école parce qu'ils avaient besoin qu'il gagne de l'argent. Pas le choix. Il ne s’appesantit pas sur le sujet. Tout n'a pas été négatif, il a même réussi à passer un diplôme : « J'étais dans l'énergie nucléaire, j'étais plutôt doué ce qui m'a aidé plus tard dans la photographie parce que j'étais bon en maths notamment et qu'en argentique, je savais gérer les prises compliquées, les expositions multiples... » Comment sa famille a-t-elle réagi quand il a décidé d'étudier la photographie ? « Maman était plutôt contente, mais mon père était absolument horrifié », répond-il. La carrière rapidement florissante de Griffin dissipera leurs inquiétudes. Au Royaume-Uni, il s'impose rapidement comme un photographe de pub de talent, capable de concilier technique et créativité.
Il devient aussi le roi de la pochette d'album. Comme beaucoup de photographes (l'expositionhttp://www.deauville-photo.fr/" d'Arles l'a bien montré durant l'édition 2015), Brian Griffin travaillera pour plus de 200 couvertures de disques. Celle de Joe Jackson est probablement la plus célèbre : des chaussures blanches légendaires et une séance après laquelle Brian n'aura plus jamais de nouvelles du chanteur. Peut-être vexé d'avoir été réduit à une paire de shoes, au délire fétichiste d'un photographe. Il y a aussi eu Iggy Pop, Depeche Mode, Billy Idol, Elvis Costello, etc.
© Brian Griffin
http://www.deauville-photo.fr/" © Brian Griffin
© Brian Griffin
Son grand regret pourtant : « Je n'ai jamais photographié un groupe que j'aimais vraiment ! Tous ceux que j'aimais ne voulaient pas de mes services. Comme Joy Division ou n'importe quoi du Krautrock ! » Il est fan de la musique allemande des années 1970, des groupes NEU!, CAN ou HARMONIA. Il avoue, comme une groupie préadolescente, que le grand moment de sa carrière musicale a été d'être assis à côté de Conny Plank, grand producteur de Krautrock, pour la pochette de l'album Vienna d'Ultravox en 1980.
« En photographie, j'ai tout fait, sauf les natures mortes », s'amuse Griffin. A chaque fois pourtant, on le désigne comme portraitiste en chef. Et ça l'agace le Britannique, pas tout le temps humble finalement, surtout s'il s'agit d'évoquer sa pratique photographique : « Je pense que je suis un très bon portraitiste, l'un des meilleurs que notre pays a produits, mais je n'ai pas choisi de l'être ! » Il a commencé à faire des portraits parce qu'on lui en a commandé. Encore et encore. Alors même qu'il aurait rêvé d'être plutôt un photographe de mode. Pour la créativité, la liberté d'expression, le plaisir de travailler avec des modèles payés pour être au service du photographe, « mais la plupart de mes portraits sont des photographies de mode de toute façon », pirouette-t-il pour conclure un sujet qui le touche.
Arena Homme © Brian Griffin
Sa présence à Deauville, c'est à Philippe Normand qu'il la doit. Fan de ses portraits des années 1980, le directeur artistique du festival http://www.deauville-photo.fr/" a tenu à faire venir le bourru Britannique sur les planches deauvillaises. Brian Griffin a demandé à ses futurs modèles (du conseil des Sages) de venir avec leurs chaussures du dimanche, et d'avoir quelques pavés des rues de la ville. Flou artistique total au moment où nous le rencontrons : « Mais c'est ce qui est excitant dans l'exercice, c'est qu'on ne sait jamais ce que ça va donner. Le truc fantastique avec les gens, c'est qu'ils accouchent d'idées formidables auxquelles vous n'auriez jamais pensé ! C'est la magie de la photographie ! » Alors bien sûr parfois, l'alchimie ne fonctionne pas, comme lorsque Griffin avait voulu faire porter une bûche sur son épaule à Dirk Bogarde. « Pas question ! » avait répondu l'acteur britannique.
Jean Marie Lucas - Deauville - 2015 © Brian Griffin
Patrick Bartert - Deauville - 2015 © Brian Griffin
Même s'il travaille à la fois en numérique et en argentique, le photographe confie que la première option est celle qu'il choisit sans hésiter pour les portraits. Il utilise son ordinateur pour prévisualiser son travail, sans dépenser l'argent qui serait nécessaire aux aux polaroïds s'il travaillait en argentique. Cela tombe bien, les festivals, selon lui (et beaucoup d'autres), comme le monde professionnel, n'ont plus d'argent : « Le monde de la photographie est devenu incroyablement difficile. » Normalisation, copinage : « Les clients ne veulent plus d'artistes. La digitalisation de la photographie a en fait tué la photographie professionnelle comme la voiture l'a fait avec les chevaux. Et tous les forgerons se sont retrouvés au chômage ! »
Brian Griffin continue pourtant à utiliser la photographie argentique pour son propre travail. Il vient juste de terminer un projet sur l'Holocauste en Pologne, à travers ses chemins de fer : « J'ai shooté toute la couleur en numérique et tout le noir et blanc en argentique. » Le livre s'appelle « Himmelstrasse », du nom allemand qui désignait, dans une ironie cruelle et inhumaine le « chemin vers le ciel », celui qui mènait aux chambres à gaz. Un livre très sombre (http://www.deauville-photo.fr/").
Browns Editions - Brian-Griffin - Himmelstrasse
La force de vie de Brian Griffin est pourtant intacte. A 67 ans, il travaille, encore et toujours : « Je veux être comme Richard Avedon, je veux mourir derrière un appareil photo... en fait je mourrai probablement derrière un ordinateur (rires) ! »
Propos recueillis par Emilie Lemoine