La France du Tour © Gilles Leimdorfer
La France du Tour
© Gilles Leimdorfer
Comment est née l’idée de la série la France du Tour ?
L’idée de la série est née du résultat des élections présidentielles avec Le Pen au deuxième tour, en 2002. Ça a renforcé mon envie de travailler sur la France. Je venais de terminer mon travail sur la nationale 7 et je cherchais un autre sujet sur la France.
Cette série représente-t-elle bien la France, sur cette carte routière qui lui est consacrée ?
Oui, une certaine France, très rurale. Le Tour de France, c’est quand même plus une histoire de France traditionnelle, je dirais “gauloise”. J’ai quand même très peu vu de jeunes, parce que cet événement parle moins à l’imaginaire collectif.
Vous accompagnez le Tour de France, mais on ne voit pas un seul coureur. Pourquoi ?
J’adore faire du vélo, je trouve que c’est un moyen de transport absolument génial et un sport très agréable. Mais regarder des mecs pédaler, franchement, je n’ai jamais compris. Pourtant, je savais qu’il se passait quelque chose au bord de la route. J’ai tout de suite été fasciné par ces gens qui attendent au milieu de nulle part. Pour moi l’ambition, c’était de profiter du tour de France pour faire un portrait de la France, continuer mon exploration. En vérité, c’est un hold-up. D’ailleurs, la série je ne l’ai jamais appelée le Tour de France, mais la France du Tour. Je dois être honnête, c’est un titre qui a été trouvé pour ce travail par Geo, en 2003, quand ils ont publié la première série que j’ai faite sur le sujet. Je le leur ai piqué de manière éhontée, je leur rend hommage aujourd’hui.
La France du Tour
© Gilles Leimdorfer
Quel visage de la France vouliez-vous montrer, à travers cette série ?
Je n’avais pas de message particulier à faire passer, ni l’envie de regarder certaines personnes plutôt que d’autres. Ce qui me fascinait, c’était le côté surréaliste des scènes. Parce que quand on isole chaque image du contexte, on peut se demander ce qui se passe. Je voulais à tout prix éviter un regard à la Martin Parr, type “beauf-land” au bord de la route.
Comment procédez-vous pour photographier les gens ?
Je les rencontre très rapidement, parce que le temps est compté. Je suis devant la caravane publicitaire et il ne faut pas que je me fasse dépasser. Si le peloton me dépasse, ma journée est finie. Donc quand je vois quelque chose, si je trouve la place pour m’arrêter je descends de voiture. Je reviens sur mes pas, je vais voir les gens et je fais des photos, mais en leur demandant. De toute façon, faire des photos sans demander en France aujourd’hui, ce n’est plus possible et je n’ai pas envie de le faire. Il faut établir le contact, parler avec les gens. Parce que la photo est très souvent vécue comme une agression.
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Comment est née votre collaboration avec Rémi Noël, concepteur des cartes This is not a map ?
Totalement par hasard. Nous nous sommes croisés à un événement de l’agence Havas, dans une librairie. Rémi venait juste de sortir sa carte Texas. Quand je l’ai vue, je lui ai dit : “C’est génial, je veux en faire une.” J’ai eu le coup de foudre. C’est une idée venue de nulle part que seul Rémi pouvait avoir. A l’époque, il ne savait pas du tout s’il en ferait une seule ou d’autres. Je lui ai proposé une série que j’avais faite sur la nationale 7. J’étais resté sur l’idée de route, je pensais que c’est ça qui l’intéressait. Mais quand il a vu la série sur le Tour de France, il a dit “Moi je veux la France du Tour”. Parce que Rémi ne commande pas un travail, il voit un travail existant et on le fait. Voilà, c’est comme ça que ça a commencé.
Le format carte routière apporte-t-il un regard différent sur vos clichés ?
Je trouve que ça amène un autre éclairage de présenter les photos en mosaïque. L’idée d’avoir tout un travail sous les yeux, c’est intéressant. Mais en même temps, ce qu’il y a de bien avec la carte, c’est qu’on peut effectivement regarder l’ensemble et on peut aussi la découper photo par photo. La maquette de la carte joue avec les pliures. C’est vraiment bien pensé !
Comment avez-vous élaboré la maquette ?
C’est l’impact visuel qui a mené à la maquette générale de la carte. On l’a faite à trois : Rémi, Olivier Verdon et moi. J’ai décidé de faire une sélection assez ramassée, avec les 40-50 images qui me plaisent vraiment. Il ne faut pas hésiter à couper, on met toujours trop de photos.
Est-ce un défi technique d’imprimer des photos sur un papier de carte Michelin ?
Finalement, non, même si ce n’est pas évident d’imprimer des photos sur un papier qui au départ est fait pour des cartes Michelin. Rémi était bien calé. Ce qui est intéressant, c’est que les cartes Michelin sont imprimées sur ce papier, par cet imprimeur, dans cette imprimerie IME.
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Ce sont les 21 tournants de la montée de l’Alpe d’Huez. Rémi m’a demandé si j’avais un chiffre. Les deux seuls qui me sont venus à l’esprit sont 75, parce que je suis un indécrottable Parisien, et 69, parce que j’ai un très mauvais esprit. Rémi m’a dit “Bon, tes deux idées sont nazes. Je te propose 21.” Je lui ai demandé pourquoi et il m’a expliqué que c’était les 21 tournants de la montée de l’Alpe d’Huez. Donc on a opté pour ça. Quand on entreprend une collaboration, il faut aussi se laisser porter par le regard qu’ont les autres sur le travail.
Concernant le traitement de la série, quel matériel avez-vous utilisé ? Avez-vous fait beaucoup de post-production ?
La première série de 2002 a été faite en argentique. J’étais avec mes deux LEICA de l’époque, un M6 et un M4 et mes objectifs : un 50 et un 35. J’ai beaucoup hésité quand j’ai repris le travail, sur la technique que j’allais employer et si je partais avec ma chambre ou non. Je suis finalement parti avec un numérique, un 5D Mark II au début, un 5D Mark III ensuite, et toujours un 50 et un 35. Je voulais garder une unité technique et de traitement. J’avais fait numériser mes négatifs donc j’ai travaillé les couleurs, la chromie, des choses comme ça, de façon à trouver une vraie cohérence. J’avais toujours sur l’ordinateur et dans l’oeil les photos précédentes. J’ai vraiment cherché à retrouver un même esprit.
Quel bilan tirez-vous de cette aventure ?
Ç’a été un vrai plaisir de travailler avec Rémi. C’est une belle aventure ! J’espère surtout qu’il va pouvoir continuer et étoffer la production avec plein de regards différents, plein de voyages. Plus il y en aura, plus ça donnera une cohérence à l’objet de départ.
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