© Guillaume Krick/ Benjamin Thomas, Québec - Wendake Native Reserve
Ville autonome roulante, « Installation sonore » de Guillaume Krick et Benjamin Thomas
Les photos et installations gravitent autour de plusieurs thèmes (fascination pour la technique, illusion d'une croissance infinie, aménagement du territoire), traités sur un mode poétique. Mais elle s'inscrivent également dans le cadre plus large des réflexions du collectif nantais Extra Muros auquel les deux artistes appartiennent, et qui poursuit une réflexion sur « les relations multiples entre les normes, les codes sociaux, le réel et la notion de représentation, de spectaculaire, le rapport au public, les rapports poétique/politique/esthétique » (cf. http://www.collectif-extra-muros.fr)
En construisant de véritables machines de précision, comme la monumentale sculpture mécanique baptisée « excaver l'air » qui accueille le visiteur à l'entrée, les artistes détournent la technologie de sa fonction d'usage pour en exploiter le potentiel imaginaire.
Excaver l'air, une « sculpture mécanique » de Benjamin Thomas et Guillaume Krick
Chaque œuvre est accompagnée d'une atmosphère sonore particulière. Ces « musiques concrètes » sont prélevées dans la réalité (sur un chantier, par exemple), et réarrangées ensuite par Benjamin Thomas.
Une salle avec lustre ancien, plafonds moulés et murs marquetés, l'une des mieux préservées du CCC – est-ce un hasard? – accueille la série Erosions, paysages de banlieue d'Amérique du Nord. Cette « installation sonore » présente douze gros blocs de béton (comme on en voit dans les parkings) où viennent s'encastrer douze paysages périurbains surréalistes. Les différents panoramas répondent à une composition similaire. Sur chaque ciel (photographié indépendamment du reste du paysage et juxtaposé après-coup), un orage semble se préparer, éclipsant les derniers rayons dans une atmosphère apocalyptique.
© Guillaume Krick / Benjamin Thomas, Miami - Oral Bay Park
La partie médiane des photographies est occupée par la banlieue proprement dite, avec ses pavillons standardisés ou ses amalgames architecturaux hétéroclites. Enfin, la partie inférieure (qui correspond au sol) a été soumise à un traitement par logiciel 3D afin de démultiplier en série différents volumes de synthèse. On a donc l'impression que la terre elle-même, en vertu d'un étrange processus géologique ou « viral », pour reprendre l'expression de la conservatrice Catherine Bédard, se quadrille à l'infini.
© Guillaume Krick / Benjamin Thomas, Detroit - Border of Grosse Pointe Park
Assujetties à un tel traitement mi-documentaire, mi-surréaliste, les banlieues de Montréal, Toronto, Detroit, Chicago, Miami, Houston, Guadalajara, Queretaro, Mexico s'enchaînent avec monotonie, tout en plongeant le spectateur dans un univers résolument artificiel qui devient source d'angoisse.
Viennent s'ajouter les sons qui, selon Benjamin Thomas, « prolongent ce manque de diversité et d'altérité. Les paysages sonores en particulier évoquent l'activité humaine des périphéries urbaines quasi-absente des photographies. Une musique concrète urbaine se compose entre les flux de communication (réseaux routier, aéroports...) et les flux d'activité (usines, centres commerciaux). »
© Guillaume Krick / Benjamin Thomas, Montréal - Laval
« Nous constatons que la suprématie de la technique et du profit immédiat dans le développement crée une tension avec le rythme et les réserves de la nature », s'alarme Benjamin Thomas. A quatre mois de la Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP21) qui se tiendra à Paris, le choix de cette exposition critique par le Centre Culturel Canadien n'est pas anodin. « Il ne s'agit pas, précise l'artiste, de dénoncer le progrès technique qui fait partie de l'histoire des hommes et qui fait appel à nos capacités d'invention, mais de poser cette contradiction pour ouvrir une brèche dans le flux permanent. »
Pour plus d'infos: http://www.collectif-extra-muros.fr