Bretonnes © Charles Fréger
Une dédicace, seule trace du photographe, en ce début d’ouvrage. Car dès les premières pages, c’est une Bretonne qui vient à nous. Marie Darrieussecq, par sa nouvelle introductive Nous autres, nous plonge dans le quotidien de femmes costumées, nous enveloppe dans ces vêtements encombrants, impossible à boutonner sans l’aide d’autrui. Le jupon, le contre-jupon, la chemise, la sur-robe… Ainsi vêtus, le temps semble n’avoir plus d’emprise sur les choses ou les gens. La sensation nous rappellerait presque celle éprouvée à la lecture de Pêcheur d'Islande de Pierre Loti, avec ses Bretonnes massées sur les flancs escarpés d'une colline, guettant le bateau qui, peut-être, leur rendra leur mari, leur fils ou leur frère... Bercés par le vent, l'air salé, le cri des goélands, la terre quasi nue à perte de vue, nous découvrons alors les premières photographies de la série de Charles Fréger.
Au fil des pages, les costumes d'époque défilent, ainsi que des coiffes plus ou moins couvrantes, légères ou fantasques, portées par des femmes de tout âge. Car la coiffe bretonne, contrairement à ce que l'on pense (et à ce que véhiculent certaines publicités) ne se résume pas à la haute bigoudène. Fréger, dans une démarche photographique teintée d'anthropologie, d’ethnographie et d’histoire de la mode nous le prouve en 50 coiffes (et autant de nuances de blanc).
Coiffe bigoudène, ensemble de cérémonie.
Pays Bigouden (région de Pont-l’Abbé), 1945-1950
© Charles Fréger
Historiquement, on dénombre plus de 700 de ces catioles, poupettes, sparls, borledenns, véritables nuages de tulle, de drap et de dentelles, de velours et de soie. Destinées à protéger la tête des dames des intempéries comme de préserver du regard des hommes la chevelure, la coiffe se fait, avec le temps, moins puritaine. Elle se raccourcit, devient plus excentrique et s’orne de rubans et autres coquetteries. Elle varie selon l’âge de celle qui la porte, son métier, la région (voire la paroisse) et la circonstance, les coiffes de tous les jours différant de celles des jours de fêtes. Mais dans les années 1930, s’entame un recul du port de ce bonnet, presque disparu dans les année 90.
Les Bretons n’ont cependant pas dit leur dernier mot ! Des travaux de redécouverte de leur patrimoine s’engagent, avec la collecte de costumes et de documents. Ceux-ci, conjugués aux reliquats de savoir-faire de quelques couturières, permettront de créer des répliques de ces habits du passé. Les cercles celtiques fleurissent et sauvent cette culture vestimentaire au bord de l’oubli. Manifestations, bals et défilés deviennent l’occasion de se parer de costumes d’époque. Une tradition à laquelle Fréger prête sa voix, en voisin normand.
Coiffe de Plaintel, ensemble quotidien.
Région de Plaintel, 1850-1870
© Charles Fréger
D'un point de vue purement esthétique, le photographe ne nous a pas perdu ni dépaysé : il reprend le traitement de http://www.charlesfreger.com/" tout en tentant quelques innovations. En commun : des poses figées, une prise de vue très “studio”, un cadre resserré sur un sujet posant le plus souvent seul. Mais contrairement à ses pratiques habituelles, Fréger a adopté un arrière-plan riche. Des Bretonnes en costumes figurent dans les champs ou les marais salants à l’arrière-plan, séparé du sujet photographié par un écran de soie. Un procédé qui permet au photographe d’obtenir cet effet si particulier de distance et de flou.
Si le thème de l'ouvrage ne nous emballait pas vraiment, le propos historique, développé par Yann Guesdon dans la dernière partie du livre et servi par les photos de Fréger, a progressivement gagné notre intérêt. Le fond et la forme se complètent et se répondent avec brio, pour rendre le sujet captivant. Charles Fréger, qui dédie ce livre “aux femmes de tête”, dresse une fresque historique colorée et créé un livre-document empreint de la volonté de sauver un patrimoine à la richesse insoupçonnée.
Bretonnes, Charles Fréger, Actes Sud, 264 pages,153 photographies couleurs, 22,5 x 19 cm, 35 €