Hoboes © Tamina Zuch et Claudius Schulze
« Pour chacun de nous, c'est la curiosité qui nous a rendus photographes ! Sortir tous les jours et apprendre quelque chose sur le monde, voir comment les choses fonctionnent, ce que font les gens et pourquoi » : nos deux photographes allemands ont en commun la soif de l'autre, mais se distinguent pourtant dans le traitement photographique qu'ils en font. Claudius s'intéressera à la sphère politique tandis que Tamina se concentrera plus particulièrement sur les gens, leurs émotions et leurs valeurs. L'idée, commune elle aussi, c'est de sortir de leur zone de confort, et d'expérimenter, grâce à la photographie, ce qui serait inaccessible en tant normal.
Hoboes © Tamina Zuch et Claudius Schulze
Voilà longtemps qu'ils y pensaient à ce projet commun sur les « hoboes » américains. Claudius est le premier à les avoir photographiés. Il y a quelques années déjà. Son travail avait d'ailleurs été publié par le magazine GQ. Mais l'impression du travail inachevé, ou de l'histoire qu'on n'a pas fini de raconter, demeurait. Il manquait quelque chose à ce travail photographique. Il lui fallait y retourner. Et ce serait avec Tamina. Deux visions, deux appareils et un récit commun.
Mais dans ce sujet commun, il y a des histoires différentes. Il y a d'abord celle de la longue tradition populaire du voyage à travers les États-Unis. Il y a aussi, bien sûr, celle de la pauvreté.
Hoboes © Tamina Zuch et Claudius Schulze
Hoboes © Tamina Zuch et Claudius Schulze
Le projet Hoboes traite d'une vraie aventure, d'une envie de voyager qui colle au corps comme des chaussettes de trois jours. Car il y a de la grâce chez ces gens qui vivent la vie qu'ils veulent vivre. Dehors. En ne prêtant attention qu'à leur rêve. Et c'est là justement que les visions deviennent plus personnelles. Tamina saisit cette course à l'idéal, ce chemin emprunté qui dévie de tous les autres, ce souci de rester vrai. Claudius de son côté est plus intéressé par la politique : « L'une des choses les plus horribles du capitalisme, c'est la façon dont il va jusqu'à absorber dans le marché ceux qui le critiquent. Achetez un sous-vêtement Che Guevara ! Mais ce n'est pas vrai au sujet des hoboes – ils décident de sortir de la chaîne de valeur ajoutée capitaliste, ils fonctionnent en dehors du système d'une certaine manière. »
Hoboes © Tamina Zuch et Claudius Schulze
Les deux photographes ont travaillé pour ce projet avec un M Type 240 que Leica leur a donné. Normalement, avouent-ils, ils sont plus chargés côté matériel, et Claudius adore son appareil en bois grand format. C'est dire. Pour la méthode, là encore les styles diffèrent. Claudius est très analytique et rapide dans son travail. Il a l'idée avant même de prendre la photo. Tamina elle, travaille plus lentement, prend le temps d'observer avant de photographier. Son travail a un rendu plus émotionnel, presque plus intime. Leurs différences se ressentent à travers leurs influences réciproques : Joakim Eskildsen et Sally Mann pour Tamina, et Luc Delahaye et Simon Roberts pour Claudius.
Hoboes © Tamina Zuch et Claudius Schulze
Sur ce projet, les conditions de travail étaient un peu particulières : « Le travail n'est pas toujours facile, en particulier quand l'espace est si limité. On est tous entassés dans un wagon, il y a très peu d'espace et on doit s'assurer de ne pas être sur la photographie de l'autre. » Et c'est encore plus compliqué quand un journaliste les rejoint afin de faire un sujet pour un magazine. On imagine ! « En fait nous étions hoboes nous-mêmes pendant un mois et nous étions « chiens de route » l'un pour l'autre, comme les hoboes le disent – c'est à dire voyager ensemble à un niveau très intense », ajoutent-ils, en précisant qu'ils sont devenus amis avec quasiment tous les gens qu'ils ont photographiés pour le projet. C'est ce qui arrive sur la route. Le partage de tout, du bien comme du mauvais. La solitude rendue impossible, même dans la situation la plus intime : ça crée un lien sacrément fort.
Pensent-ils les revoir un jour ? « On espère, mais tu ne sais jamais si ce sera possible. Cela fait partie du fait d'être un hobo. Aujourd’hui ici, demain là-bas... »
Emilie Lemoine
*Cf. Larousse : Nom d'une région des Grandes Plaines aux États-Unis où sévissaient, dans les années 30, de redoutables tempêtes de poussière provoquées par la sécheresse et l'érosion. Le changement de climat, ajouté à la dépression des années trente, poussa des milliers de paysans à émigrer vers la Californie. C'est ce thème qu'on retrouve dans le roman de J. Steinbeck « les Raisins de la colère ».