© Jonathan Leder
Selfies underboobs & Belfies
Regarder sans être vu. Quoi de plus érotique ? Mais si seulement le voyeurisme n’était que ça. A la télévision, sur nos portables, sur internet, il est partout et sous toutes les formes. On se regarde, on regarde l'autre, on voit les autres nous regarder… La télé-réalité lance le début des fes(sses)tivités, avec la fameuse scène de la piscine du Loft. Depuis, le phénomène ne fait que s’amplifier. Il y a d'abord eu les selfies, plus ou moins décoltés, puis les « selfies underboobs », décolté inversé, et il y a quelques mois, les « belfies » : des selfies de vos fesses ! Dès sa sortie, l'application Snapchat était utilisée par des millions d'adolescents s'envoyant des photos d'eux à moitié nus... Rien de grave, la photo ne reste qu'une seconde sur l’écran avant de disparaître. Sauf qu'un jour, on se retrouve nez à nez avec l'une d'entre elles sur Google. Et l'on ne veut plus être vu.
© Evan Baden
© Hester Scheurwater
L'ouvrage Desire New Erotic Society n’oublie pas d’aborder la question du voyeurisme moderne dans une société qui se regarde le nombril et celui des autres. C’est littéralement ce que prennent en photo les sexy girls de Nick Sethie. Photos prises depuis leur bas-ventre, en pleine séance de bronzage dans leur cabine à UV, ces filles nous montrent leur ventre plat (serti d’un piercing), leurs longues et fines jambes et leur petit string rose. Avec Evan Baden, on se retrouve à la place du voyeur, au milieu de la chambre d’individus se prenant en photo nus avec leur smartphone. L’intimité, enfermée dans le sanctuaire de la chambre, se voit propulsée sur la place publique du tout-internet. Son nombril, la société le regarde tellement qu’elle en fait complexer les jeunes femmes, de plus en plus nombreuses à vouloir se conformer au cadre édifié par la société. Malheureusement, ce n’est pas ce livre qui les aidera à accepter leurs petits défauts.
© Nick Sethi
Portrait-robot de l’érotisme
Car que voyons-nous dans New Erotic Photography ? Exclusivement des femmes, pour commencer. Et beaucoup photographiées par des hommes (la femme libérée en prend un coup). En y regardant de plus près, ce ne sont pas des femmes que l’on voit, mais une femme déclinée en 300 photos. Au fil des pages, il se dresse comme un portrait-robot du corps idéal, selon les standards de beauté en vigueur, cantonnant l’érotisme à ce corps-là, et à aucun autre. A quoi ressemble donc le corps parfait aujourd’hui ? Il a des petits seins, un ventre dodu juste ce qu'il faut, un petit tatouage en dessous du sein, il n’est pas trop vieux (entre 18 et 35 ans) et a très peu de poils. Un corps lisse en somme, dans tous les sens du terme. Il faut dire que beaucoup de sujets photographiés ici sont des tops model. Mais pas n’importe quel top model. Pas d’Ashley Graham, Candice Huffine, Tara Lynn, et toutes ces mannequins « grande taille », pas non plus de Har Nef ou Andreja Prejic, mannequins transgenres. La nouveauté aurait peut-être été d’aller voir de ce côté, et de bousculer l’image préfabriquée que l’on se fait de l’érotisme. Ou même, sans aller si loin, de mettre quelques kilos en plus et un peu de diversité, ne serait-ce que pour les lecteurs et lectrices qui finissent par se lasser d’autant d’homogénéité.
© Quentin de Briey
Les objets de l’érotisme
Porte-jarretelle, rouge à lèvre, talons, velours, boa, tous ces éléments sont autant d'objets qu'on peut rattacher à cette idée préfabriquée de l'érotisme. Chiko Ohayon lui se moque bien de ces objets. Il les réutilise, et les ridiculise par un éventail ou quelques fleurs plantées là où il faut. Pourtant, les courbes féminines, dessinées par un jeu d’ombres et de lumière, suscitent davantage de désir que celles de Thomas Hauser, photographiant exclusivement des entre-jambes en contre-plongée. Ohayon n'est pas le seul à utiliser les objets dits érotiques : sucette, moto, guitare, pneus tunés, chantilly. On les retrouve à peu près tous, raillés ou mis en scène comme les symboles qu’ils sont supposés être.
© David Bellemere
L’érotisme évocateur
A côté de cela, il y a aussi l’érotisme évocateur. Car oui, le pouvoir de l’imaginaire, stimulé par une image évocatrice (et non forcément provocatrice), peut se révéler bien plus efficace pour appeler l’amour sensuel ou les plaisirs sexuels que la vision d’une femme en sous-vêtements, talons, et guitare à la main. Et heureusement, certains photographes le font. Gareth McConnel, en nous montrant un lit défait et vide. Withney Hubbs, qui transforme le corps féminin en un élément abstrait, fondu dans son environnement dans de subtils clairs obscurs. Ou bien encore Lina Scheynius qui, à la manière d’un Lucien Clergue, transforme l’eau en une matière presque solide venant se glisser dans les interstices du corps féminin avec sensualité. On trouve donc certains photographes, au fil de ces pages, qui réussissent à parler de l’érotisme à travers des ambiances brumeuses, des flous et des pièces assombries qui ne dévoilent pas tout. Mais ils restent minoritaires, à côté de la veine « érotisme provocateur » que le livre explore avec grand appétit. « Ce n'est pas une compilation de filles charmantes – en fait, il y en a peu. », nous prévient Patrick Rémy dans son introduction. L'érotisme n'est donc qu'une affaire de mauvaise fille ? C’est ce que semble vouloir nous faire croire Jonathan Leder, photographiant la top model Emily Ratajkowski, topless et le doigt dans la bouche.
© Chiko Ohayon
Après cette traversée ballotée entre corps lascifs étendus sur le sable et grosses cylindrées, on se dit qu'il y avait certainement d'autres manières de parler d'érotisme, d'autres corps à montrer et d'autres façons de « capturer le désir ». Sans viser l’exhaustivité, c’est la diversité que l’on aurait aimé voir, et avec elle, la nouveauté qu’elle aurait apportée.