© Anthony De Rueda
Que recherchez-vous dans une photographie ?
Pour qu'une photo ait de l'intérêt, elle ne doit pas être ancrée dans un temps ni dans un lieu trop important. La photo doit se suffire à elle-même. D'ailleurs normalement, il n'y a pas de cartel ni de description des photos dans mes expositions. Ce qui est intéressant, c'est la narration de l'image, qui est propre à chaque spectateur. Il faut que l'image soit suffisamment détachée de tout contexte pour pouvoir parler à la personne qui la regarde, pour qu'elle puisse se l'approprier.
Vous photographiez plutôt pour vous ou pour les autres ?
Je pense que je suis égoïste quand je photographie, car je ne le fais pas pour les autres mais pour répondre à un besoin personnel. Pour photographier, je suis obligé d'aller quelque part où je peux me recentrer sur moi-même. Ce n'est que comme cela que je peux créer et ainsi offrir quelque chose au spectateur. C'est un peu comme mon travail de metteur en scène au théâtre, j'ai une responsabilité vis-à-vis du public et de l'auteur. Mais finalement je ne pense jamais à ça au moment où je crée. Quand je photographie, je me balade, et j'essaye de me vider la tête au maximum.
© John R. Pepper
© John R. Pepper
A l'heure du numérique et des innovations photographiques incessantes, qu'est-ce que cela signifie pour vous de travailler à l'argentique aujourd'hui ?
Je pense que l'essence de la photographie est argentique, et que le numérique est une autre pratique, un peu comme la sérigraphie et la gravure. Je ne dénigre pas le numérique, je l'utilise aussi, mais beaucoup moins. Ce sont deux choses différentes à mes yeux. Dans mon travail, il n'y a pas de retouches, et quand je prend la photo, c'est une fin en soit. Même s'il y a le travail en chambre noire, il n'y a pas de manipulations de l'image. D'autant plus que dans la série « Evaporations », je voulais qu'on retrouve la dimension du toucher, du tactile, d'où l'utilisation de l'argentique qui offre plus de matière que le numérique.
Comment votre travail dans le cinéma et le théâtre a-t-il influencé celui de photographe ?
Premièrement dans le format de mes photos, qui ont adopté un format d'écran, plus long que large. Après, je pense qu'il y a un dénominateur commun dans tout mon travail : c'est l'être humain, et plus précisément ses failles. Nous avons tous un talon d'Achille, et que ce soit dans la photo ou le cinéma, c'est ça qui m'intéresse.
© John R. Pepper
© John R. Pepper
Vous avez été initié à la photographie par Ugo Mulas, si vous n'aviez qu'une leçon à retenir de cet enseignement, quelle serait-elle ?
J'ai d'abord été initié par mon père (NDLR, son père, Curtis Bill Pepper était directeur du bureau de Rome du magazine Newsweek), qui m'a donné mon premier appareil photo à 12 ans. Il m'emmenait à ses interviews, où je l'accompagnais avec mon appareil. J'ai ensuite été l'assistant d'Ugo Mulas pendant plusieurs mois lorsque j'avais 14 ans. Je vivais chez lui, et le soir après la journée de travail, on sortait ensemble dans les rues pour se balader. Si je ne devais retenir qu'une seule leçon, ça serait celle-là : « Balade toi ! ». J'ai appris à être discret, les gens me voient rarement prendre la photo, ou alors, le temps qu'ils s'en rendent compte je suis déjà parti. Je suis un peu comme un voleur, je suis obligé de voler un moment de vie, avec l'espoir de le redonner plus tard sous une autre forme.
Que dit la photo que ne dit pas le cinéma ou le théâtre ? Et inversement ?
Je pense qu'ils répondent à des besoins différents chez moi. Aujourd'hui je fais beaucoup plus de photo que de cinéma ou de théâtre, car la photographie me permet d'être seul. Je n'ai personne à qui parler, contrairement à la position de metteur en scène où je suis en relation avec une équipe entière. Je pense que la photographie répond à un besoin de solitude pour moi. Le théâtre est un processus de création complètement différent, on prend des personnages sur papier et on leur donne vie. C'est un processus collectif, on réfléchit tous ensemble.
© John R. Pepper
Quels sont vos prochains projets photographiques ?
La série « Evaporations » s'inscrit dans un projet plus global. Ici, l'évaporation est autant celle de l'eau que celle de l'humain, qui disparait de mes clichés. Dans ma prochaine série, l'être humain a complètement disparu. Cette évolution dans mon travail provient d'une découverte que j'ai faite, en voyant une exposition d'Ansel Adams, qui montrait des photos de son voyage avec sa femme Georgia Hopkins et les Rockefeller, dans le parc de Yosemite. En voyant ces photos (essentiellement des paysages) j'ai eu comme une révélation : elles m'ont donné une permission personnelle dans mon travail, celle de pouvoir photographier la nature différemment. Je crois que pour la première fois, j'ai compris Ansel Adams, j'ai compris comment d'une nature sauvage et parfois abstraite on pouvait créer du figuratif.