Erik Poppe
Dans son film L’épreuve, Erik Poppe partage son expérience de photojournaliste. A travers Rebecca, interprétée par Juliette Binoche, il expose la difficulté d’exercer un métier si passionné et engagé tout en menant une vie de famille normale. Face aux horreurs du terrain, le retour au quotidien occidental est parfois impossible. Inspiré de son histoire, L’épreuve s’intéresse au côté sombre du photojournalisme.
Vous avez réalisé ce film pour parler de ce que vous considérez être le plus difficile dans votre travail : le retour à la maison. Est-ce que les photojournalistes sont un genre de soldats ?
Non, je ne crois pas. Dans un conflit, ils sont la voix des victimes. La seule voix que ces gens ont. Il n’y a pas de raison d’étiqueter un photojournaliste de « héros », parce que lors d’une guerre, les héros ce sont ceux qui survivent avec leur famille.
Sur le terrain, Rebecca photographie des populations mais ne leur parle pas. Prendre des photos, est-ce suffisant pour comprendre le monde ?
Nous devons apprendre à connaître les autres et leurs cultures. Nous avons besoin d’une vision complète du monde. Parfois une seule image, ou une série, peut nous dire plus que des heures d’interviews ou que des livres. Dans le film, dans la réalité, des liens personnels sont établis. Ils permettent de documenter des affaires aussi violentes que celle d’une femme se préparant pour un attentat suicide. Arrivé sur place on peut parler aux gens ou commencer à prendre des photos pour ne pas interférer.
La scène entre Rebecca et sa fille au Kenya est dure et presque perverse parce que Rebecca rentre dans une sorte de transe. Est-ce que le photojournalisme est forcément une drogue ?
Je dirai qu’une sorte d’adrénaline peut nous envahir en faisant ce que nous faisons. Il y a effectivement certains photojournalistes qui se considèrent comme drogués à cette adrénaline. Il y a plein de raisons de penser que votre photo va vraiment faire la différence. Mais, jour après jour, l’expérience commune prouve que les gens ne comprennent pas ce que vous essayez de dire avec vos photos et vos histoires. Comme si le monde ne pouvait pas se concentrer sur plus d’un conflit à la fois. C’est frustrant donc on retourne sur le terrain pour redoubler d’effort avec des photos toujours plus puissantes et honnêtes. Parfois on prend des photos plus « spectaculaires » pour réveiller les consciences. Pour que les gens réalisent ce qui se passe dans la République Démocratique du Congo, au Nord-Ouest du Pakistan ou encore en Somalie.
Comment continuer à faire du photojournalisme quand on sait que ses clichés n’ont pas d’impact sur les Occidentaux ?
C’est une bonne question à laquelle il est dur de répondre. Soit on continue à croire dans l’impact qu’une seule image peut avoir, ou on abandonne. Je continue d’y croire.
Rebecca commence le photojournalisme parce qu’elle est en « colère ». Etes-vous toujours en colère Erik Poppe ?
Les mots de Rebecca, dans le film, sont les miens. Oui, je suis toujours en colère. Je suis toujours animé par cette passion et la partage pour faire la différence dans le monde. Mais désormais, je sais mieux contrôler cette colère.
Propos recueillis et traduits par Paulina Gautier-Mons