© José Medeiros, Courtoisie de l’artiste et de l’Instituto Moreira Salles
Fondation Calouste Gulbenkian 39 Bd de la Tour-Maubourg 75 007 Paris France
Quatre maîtres de la photographies, quatre personnalités et quatre styles pour un même amour du Brésil. Chacun à leur manière, les artistes exposés à la Fondation Calouste Gulbenkian sont les témoins de la création du Brésil moderne. A partir des années 1940, le Brésil ouvre le bal de la modernité et se jette à corps perdu dans la création d'une nouvelle identité architecturale, économique et culturelle.
Trois commissaires, Antonio Pinto Ribeiro, Ludger Derenthal et Samuel Titan Jr, sont à l'origine de l'exposition qui a démarré en 2013 à Berlin avant de poursuivre sa tournée européenne à Lisbonne, Paris, puis Madrid. C'est bien sûr à Rio au Brésil qu'elle finira sa course courant 2016. L'exposition est elle-même un voyage : partant de Rio pour Sao Paulo et enfin Brasilia. Un parcours entre les trois villes principales du Brésil qui en dit long sur le fonctionnement interne du pays, puisque le parcours symbolise le trajet emprunté par les innovations techniques et industrielles.
© José Medeiros, Homme assis dans un café, probablement dans le Nordeste, sans date
Tirage contemporain gélatino-argentique
Courtoisie de l’artiste et de l’Instituto Moreira Salles
Rio l'intrépide
Rio est un peu le Los Angeles brésilien : centre culturel et politique, la ville grouille de vie entre paillettes et intrigues. José Medeiros est sûrement l'un des quatre photographes à mieux rendre compte de sa beauté urbaine. Il grave l'image des starlettes brésiliennes des années 1940, les carnavals, les danseurs... Dans l'exposition, on perçoit cependant toute la complexité de l'artiste, qui s'extrait de cet univers glamour assez tôt dans sa carrière. Les clichés du photojournaliste dévoilent un attachement au peuple et aux traditions. Sa célèbre photo de 1949 de l'Indien Yawalapiti tournant autour de l'hélice d'un avion donne à réfléchir sur la cassure qui s'opère dans ce Brésil en voie de modernisation, à une époque où l'Etat encourageait la marche vers l'Ouest - une marche dont on connaît aujourd'hui les dégâts humains et environnementaux provoqués par la destruction programmée de la forêt.
© José Medeiros, Oscar Niemeyer, Vinicius de Moraes, son épouse Lila Bôscoli et Tom Jobim (au fond),
dans les coulisses de la première représentation de Orfeu da Conceição , Rio de Janeiro, 1956.
Tirage contemporain gélatino-argentique
Courtoisie de l’artiste et de l’Instituto Moreira Salles
© José Medeiros, Carnaval dans la boîte Au Bon Gourmet, Rio de Janeiro, 1952.
Tirage contemporain gélatino-argentique
Courtoisie de l’artiste et de l’Instituto Moreira Salles
© José Medeiros, Novice peinte de points blancs qui font référence à Oxalá, dieu de la création,
elle porte la plume rouge (ekodidé) du rituel d'initiation, Salavador 1951.
Tirage contemporain gélatino-argentique
Courtoisie de l’artiste et de l’Instituto Moreira Salles
Le style de José Medeiros prend du gallon, en même temps qu'il se tourne vers des sujets plus sensibles et moins dictés par le discours politique officiel. Il parvient à un travail carré et pictural, à en croire ses portraits et les clichés qu'il prend des plages de Copacabana, d'Ipanema et du Lebon à Rio de Janeiro. Une transition esthétique toute trouvée pour aborder Thomaz Farkas, le second photographe mis en lumière dans cette exposition. Son œil avant-gardiste contraste avec la photographie traditionnelle. Par exemple, lorsqu'il cadre le bâtiment du ministère de l'Education et de la Santé à Rio en 1947, il choisit de montrer un lampadaire au premier plan. Pour Samuel Titan Jr, l'artiste fait « une espèce de street photography » avant l'heure. Et quelle claque ! Il maîtrise comme personne la pureté des lignes et les jeux de lumière.
© José Medeiros, Femme à vélo traversant les rails du tramway, Rio de Janeiro, 1942.
Tirage contemporain, impression numérique
Courtoisie de l’artiste et de l’Instituto Moreira Salles
© Thomaz Farkas, Plage de Copacabana, Rio de Janeiro, 1947.
Tirage contemporain gélatino-argentique
Courtoisie de l’artiste et de l’Instituto Moreira Salles
© Thomaz Farkas, Escalier monumental de la Galerie Prestes Maia, São Paulo, 1946
Tirage contemporain gélatino-argentique
Courtoisie de l’artiste et de l’Instituto Moreira Salles
Brasilia la moderne
Ses clichés de Brasilia sortent du lot dans cette exposition : la nouvelle capitale brésilienne symbolise à elle seule l'élan de modernité initié au milieu du XXe siècle. Thomaz Farkas est présent le 21 avril 1960 pour l'inauguration officielle de la ville. Il photographie les promeneurs qui visitent les immeubles neufs. L'architecture moderne des constructions neuves lui offre l'occasion d'exercer ses talents et de travailler sur ce qu'il aime : les formes géométriques, les courbes et les lignes.
© Thomaz Farkas, Façade intérieure du bâtiment São Borja, Rio de Janeiro, vers 1945.
Tirage contemporain gélatino-argentique
Courtoisie de l’artiste et de l’Instituto Moreira Salles
Marcel Gautherot est lui aussi admiratif de la splendeur moderne de Brasilia. Quoi de plus normal pour ce photographe d'origine française qui a démarré sa carrière en 1935 comme architecte d'intérieur ? Les commissaires de l'exposition ont d'ailleurs sélectionné des séries du photographe en rapport avec ce qu'il avait déclaré un jour : « La photo, c'est pour les architectes. » La nouvelle ville qui sort de terre semble venue du futur : en noir et blanc, les clichés de Marcel Gautherot laissent planer une aura de mystère, faisant apparaître le Palais du Congrès national sous un nuage de poussière ou encore les détails de la structure métallique d'un immeuble des ministères. Tout n'est finalement que structure et équilibre entre le ciel et la terre, les hommes et le béton, la lumière et les ombres.
© Marcel Gautherot, Palais du Congrès National, Brasília vers 1960.
Tirage contemporain gélatino-argentique
Courtoisie de l’artiste et de l’Instituto Moreira Salles
© Marcel Gautherot, Palais du Congrès National, Brasília vers 1960.
Tirage contemporain gélatino-argentique
Courtoisie de l’artiste et de l’Instituto Moreira Salles
Le Brésil industriel
Toute cette folie des grandeurs ferait presque perdre la tête. À côté de tant de magnificence architecturale, on est heureux de retomber les pieds sur terre. L'exposition ne perd pas de vue l'identité culturelle brésilienne. Marcel Gautherot dévoile une série consacrée aux coutumes amérindiennes, notamment avec ses clichés dédiés à la fête du Guerrier de 1943 à Alagoas. La modernité brésilienne pose aussi cette question de la tradition : que faire des coutumes dans un pays qui tente de diminuer sa ruralité au profit d'une économie secondaire ?
© Marcel Gautherot, Jangadeiro, Aquiraz Etat du Ceará, vers 1950.
Tirage contemporain gélatino-argentique
Courtoisie de l’artiste et de l’Instituto Moreira Salles
La modernité visible du Brésil passe enfin, et surtout, par son industrialisation. La dernière partie de l'exposition dévoile les œuvres d'Hans Gunter Flieg. Lui qui ne se considère pas comme un artiste, mais comme un technicien de l'image, endosse le rôle de témoin du Brésil des années 1950 en voie d'industrialisation. Metropolis, Les temps modernes... tous ces grands films traitant de l'ère industrielle auraient pu être les siens ! Obsédé par les machines, les lignes de montage, les bâtiments d'usine, ses photos dégagent une beauté très sobre. Parcourus par des jeux de lumière, les tuyaux ainsi photographiés en deviennent presque organiques. Une utopie industrielle façon brésilienne.
© Hans Gunter Fileg, Industrie Electrique Brown Boveri S/A Osasco, São Paulo, vers1960.
Tirage contemporain gélatino-argentique
Courtoisie de l’artiste et de l’Instituto Moreira Salles
© Hans Gunter Flieg, Magasin Eletroradiobras (projet architectural de Majer Botkowski),
São Paulo, vers 1956. Tirage contemporain, impression numérique.
Courtoisie de l’artiste et de l’Instituto Moreira Salles
© Hans Gunter Flieg, Stand de Mercedes Benz lors de l'Exposition internationale d'industrie
et de commerce de São Cristovão (projet de Henri Maluf),
Rio de Janeiro, 1960. Tirage contemporain gélatino-argentique.
Courtoisie de l’artiste et de l’Instituto Moreira Salles
« Industrie » est presque le mot que l'on retiendrait de cette exposition s'il n'y avait pas toute cette diversité de styles et de sujets. On regrette cependant que la galerie française ne puisse pas accueillir autant d'oeuvres que le musée allemand en 2013. Mais le charme du Brésil opère quand même : face à des artistes modestes (l'un se dit architecte, l'autre s'imagine technicien ou journaliste...), les apparences sont trompeuses. Leur modestie cache un talent à l'état brut.