Jessica Lange
En 1967, vous avez obtenu une bourse pour étudier la photographie à l'Université du Minnesota, vous souvenez-vous comment est né ce premier amour pour la photographie ?
Tout a été une question de coïncidences. Ma première intention était de m’inscrire dans la section de peinture de la Faculté des Beaux Arts, malheureusement, il n’y avait plus de place disponible, et j’ai dû, par dépit, m’inscrire en photographie. Paco Grande était alors le professeur en première année : il est devenu mon mari. C’est lui qui m’a initiée à la photographie. Très rapidement, au bout de quelques mois, début 1968, nous sommes partis en Europe. On a tout laissé tomber : les cours, la Faculté, les obligations... On est allés sur les routes, en Espagne, et puis Paris, Amsterdam. Nous avons tout d’abord fait un tournage dans le sud de l’Espagne, un documentaire sur le Flamenco. Paco s’occupait du tournage, moi, je m’initiais à ce monde, nouveau pour moi. Puis, les aléas de nos pérégrinations nous ont amenés, alors que nous avions l’intention d’aller à Amsterdam au printemps 68, de nous retrouver à Paris, en mai et de devoir en rester là. Inoubliable.
Est-ce vrai que Sam Shepard vous a donné un Leica M6 afin que vous recommenciez à prendre le monde en photo ?
C’est à un retour de tournage d’Allemagne que Sam m’a offert ce Leica M6 qui reste l’appareil que j’utilise toujours, et qui a fait que mon rapport à la photographie est devenu autre chose que simplement documenter les évènements familiaux. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à photographier en dehors de ma sphère privée, mais sans aucune autre intention que de réaliser des images pour moi-même.
© Jessica Lange
Anne et moi avons effectué cette sélection ensemble, mais sur une première « architecture » qu’elle avait élaborée au préalable. Il existe deux séries fondamentales, dans l’exposition. La première réunit des images que j’ai pu faire dans le Minnesota, région où je reviens souvent, à New York, en Finlande, en Russie, en Italie, etc. Et puis il y a une deuxième série Mexico qui contient des images que j’ai pu prendre au cours de mes nombreux séjours dans ce pays que j’affectionne particulièrement : Chiapas, Yucatan, Oaxaca, etc.
Anne a mis en relief quelque chose que je n’avais pas vu moi-même et qui consiste à dire que l’écriture photographique, le vocabulaire que j’utilise dans une série et dans l’autre diffère diamétralement, voire même l’une est l’antithèse de l’autre. Cette exposition Unseen est toujours différente puisque régulièrement, Anne et moi revoyions les nouvelles images ensemble : on en substitue, on en ajoute... Ce n’est jamais la même exposition !
Qu'est-ce que cela vous fait de revenir en Espagne ?
Je suis très heureuse ! C’est un pays que j’aime beaucoup, et j’ai de très bons souvenirs, en particulier de cette époque folle, bohème, vécue avec Paco. C’était la découverte d’un monde, qui malheureusement n’existe plus.
« Unseen » est un titre puissant et polysémique. Comment ressentez-vous justement le fait de ne pas être vue («unseen»), d'être de l'autre côté de l'objectif ?
On a choisi ce titre pour plusieurs raisons. Unseen, c’est d’abord ce que révèle la photographie, ce qui passe inaperçu, ce qui est sur le point de disparaître, ce rapport au temps dont parle la photographie. Unseen c’est aussi ce qui m’intéresse dans la photographie et qui est l’antithèse du cinéma. En tant qu’actrice, je suis vue, observée, j’ai une position d’aveugle d’une certaine manière puisque je ne vois pas le monde, c’est le monde qui me regarde. En photographie, ou lorsque je réalise mes images, je peux regarder le monde sans être vue, entrer dans la matière du monde, anonyme, seule, puisque j’entends ma pratique photographique comme un acte solitaire. Unseen aussi puisque certaines des images que l’on montre aussi à chaque exposition n’ont jamais été vues. Unseen, une allitération d’on scene.
© Jessica Lange
Le texte de Patti est superbe, simple, sans détour. Je trouve qu’il résume très bien mon travail. Le noir et blanc, une des spécificités fondamentales de mon travail. Le protagoniste principal de mes images, c’est la lumière. Je n’ai pas besoin de la couleur. Elle enlèverait plutôt que rajouter. Cette importance de la lumière procède certainement de mon rapport et de mon expérience au cinéma.
© Jessica Lange
Que photographiez-vous en ce moment ? Y a-t-il des photographes qui vous ont inspirée ?
J’ai commencé une nouvelle série récemment dont je vous parlerai plus tard, quelque chose qui a à voir avec le déroulement, le défilement, la narration, le film, la déambulation... Et puis j’ai commencé à travailler en photogravure, un procédé qui me semble très intéressant pour son rapport au temps, à la matérialité de l’image.
Quant aux photographes qui ont pu m’inspirer, Evans bien sûr, Koudelka, Cartier Bresson, et ceux à venir que je ne connais pas encore !
Propos recueillis par Emilie Lemoine, avec la collaboration de Verónica Bello González (http://www.artssantamonica.cat/default.aspx")
JESSICA LANGE, Unseen
Arts Santa Mònica, Barcelone
Du 22 avril au 28 juin 2015