© Lydia Flem
Une loupe, un miroir de poche, une paire de jumelles ou encore de ciseaux. La première composition photographique de Lydia Flem semble expérimentale et vide de sens. Les objets sont disposés sur un fond blanc et la lumière est épurée, comme s'il s'agissait de la promotion d'articles pour un magazine de déco. Or, ces compositions aux allures insignifiantes et conceptuelles signifient énormément pour l'artiste. Mais ça, il est impossible de le savoir si vous n'avez pas lu sa biographie ou Les Photographies de Lydia Flem, ouvrage né de rencontres autour des photographies de l'artiste, qui critique et complète le catalogue de l'exposition. Même les textes qui font office de préface des cinq séries qui composent Journal Implicite sont autant un rébus que les images elles-mêmes.
© Lydia Flem
Transformation de la réalité
Des cartes à jouer, des élastiques, des clefs... qui n'a pas ça chez lui ? Ludiques et insolites, les objets de ce « journal » sont inscrits dans le quotidien. Au premier abord, Lydia Flem composerait presque avec immaturité. Une figurine tient un cerceau, elle est disposée sur une règle. A côté d'elle se trouvent des élastiques de toutes les couleurs. Un assemblage digne d'un enfant qui s'ennuie, faisant de sa règle et de son stylo Bic un petit avion.
Or, Lydia Flem compose. Ces images ne sont que pures inventions. Elles sont loin de la représentation du réel. L'artiste réunit les choses les plus improbables a priori sans intérêt. La lecture a besoin d'être complétée par un travail a posteriori. Soit le lecteur lit les livres de Lydia Flem, soit il a des références culturelles pour comprendre les indices laissés dans ces macrophotographies, comme le lapin d'Alice aux pays des merveilles ou bien les phrases découpées, placées entre deux objets, qui font référence à ce même conte et à un autre ouvrage de Lewis Caroll : De l'autre côté du miroir.
« Il me faut composer », « Ca m'aide à vivre » lit-on d'elle dans Les Photographies de Lydia Flem. Pourquoi ce désir insatiable de fabriquer des images ? Celles-ci sont redondantes, comme ces règles métalliques prises en long, en large et en travers dans la série Le temps froissé. Photographie-t-elle sans réfléchir ou défie-t-elle les codes et la qualité artistique ? Certaines photos floues et pixelisées portent à confusion quant à l'intention de l'auteur.
© Lydia Flem
Dimension autobiographique
En fait, pour vous simplifier la tâche et apprécier les photographies sans vous retourner la matière grise, Journal Implicite expose des épisodes de la vie de Lydia Flem. Ses images sont le prolongement de tous ses mots et de ses maux. La photographe fait un inventaire de sa vie. Alice aux pays des merveilles représente sa lutte contre la maladie ; Pitchipoi & Cousumain le deuil de ses parents et leurs souvenirs de déportés ; Clefs sur l'échiquier est dédié à sa mère, tatouée sur le bras comme ces clefs numérotées qui ne bataillent pas pour un « échec et mat » mais contre le traumatisme du fascisme.
Lydia Flem maîtrise l'espace, elle organise et écrit de manière visuelle. Les images cadrées en macro ressemblent à des petites sculptures. Comme ces brins de plastiques rouges et noirs, pris eux aussi sous toutes les coutures, dans la série Opéra. Cette minutie, et tout ce temps accordé au détail, accompagnent les deuils que représentent chacune de ses séries. La psychanalyste fait sa propre psychanalyse à travers la photographie.
Journal Implicite devient un Journal Intime que seul le propriétaire lui-même peut déchiffrer. Ou bien une ordonnance dont les images pourraient être les médicaments. En espérant que Lydia Flem ait réussie sa thérapie visuelle.
Juliette Sellin
© Lydia Flem
© Lydia Flem
Journal Implicite - Lydia Flem
Editions : La Martinière
144 pages
29euros