Un garçon au premier rang de la manifestation du vendredi levant les yeux vers le porte-parole, sautant et chantant des chansons révolutionnaires. Février 2013 © Jan-Niklas Kniewel
Quand on a voulu mieux connaître le parcours de Jan-Niklas Kniewel, il a préféré esquiver : « Les sujets de mon travail sont plus importants que ma personne (...) » Il n'y aurait donc pas d’anecdotes sur son premier appareil photo ou sur son enfance en Allemagne dans notre article. On irait droit au but : à son travail de photoreporter freelance, spécialiste du monde islamique. Son champ d'investigation est vaste et complexe, tout autant que ses sujets de prédilection : droits de l'homme, conflits et problèmes sociaux.
Agitation au centre de distribution de nourriture du World Food Programme des Nations Unies :
la demande est trop forte face au ressources disponilbles.
Février 2013 © Jan-Niklas Kniewel
Un membre des premiers secours de la Civil Defense Force au point d'impact d'une "barrel bomb".
Octobre 2014 © Jan-Niklas Kniewel
Kniewel prend le travail de journaliste très au sérieux, le sien bien sûr, mais aussi celui des autres. Chez lui, la photographie ne va pas sans l'écriture qui vient compléter, expliquer, légender l'image. Photos et mots deviennent inséparables et donnent une force incomparable au sujet. S'il a choisi ce métier d'ailleurs, explique-t-il avec clarté, c'est pour présenter un point de vue détaillé et critique des évènements, là où d'autres confondent lâcheté et objectivité.
La Syrie, la mort et l'oubli
Son histoire avec la Syrie a commencé en février 2013. Il y retournera deux fois avant octobre 2014. Il couvre la guerre pour l'édition du week-end d'un journal berlinois engagé, le « Taz » (http://www.taz.de/). Car Jan-Niklas Kniewel n'est pas neutre sur le sujet. Loin de là.
« Dans la guerre de Syrie, on observe une nouvelle fois la trahison absolue de l'Occident face à ces gens qui se lèvent et combattent pour un tout petit peu plus de liberté. Une nouvelle fois, on voit la victoire des « intérêts » contre les principes universels. Une trahison qui a lieu à travers tout le monde arabe. »
Hommes de la Civil Defense Force tôt le matin, attendant leur prochaine mission.
Octobre 2014 © Jan-Niklas Kniewel
Un civil en train de mourrir après avoir été blessé par une attaque aérienne de l'armée syrienne.
Février 2013 © Jan-Niklas Kniewel
Un combattant au milieu d'un quartier presque entièrement détruit.
Février 2013 © Jan-Niklas Kniewel
Pour lui, le pays n'est qu'un jeu d'échec géostratégique afin de rendre possible un accord éventuel sur le nucléaire iranien. Au prix du sacrifice de la société civile syrienne. Entre les djihadistes d'un côté et Assad et ses alliés de l'autre, il ne reste plus beaucoup d'espace pour celles et ceux qui se battent pour une Syrie meilleure. Ses clichés de la "Civil Defense Force" illustrent la précarité totale de ceux qui veulent aider. Le sentiment de désespoir et d'abandon paraît incommensurable, alors même que le dictateur syrien continue à larguer des « barrel bombs », ces barils de TNT chargés de morceaux de métal.
Pourtant, contre l'indifférence générale, il n'y a qu'une solution pour le photographe : « (…) on a besoin de montrer et de montrer encore, que derrière le nombre des victimes, il y a des gens comme vous et moi. »
« Ma propre mort est complètement en arrière-plan »
Y aurait-il une nécessaire part de folie ou d'inconscience pour faire ce métier ? Cela reviendrait à signer son arrêt de mort, répond le photoreporter, avant de répéter ses maîtres mots : « Raison, prudence et patience. » Il faut aussi bien connaître la culture, la société et la population locale, savoir à qui faire confiance et comprendre les enjeux du conflit.
Kniewel évoque l'indispensable empathie, celle-là même avec laquelle l'on souhaiterait tous être traités. Pourtant rapidement, le côté inconscient du danger envahit son discours. La meilleure façon de se protéger des risques, c'est encore de ne pas y penser, précise-t-il : « (…) quand je travaille sur une histoire, ma propre mort est complètement en arrière-plan. Je n'y pense pas. » Le jeune homme se fiche aussi d'avoir un équipement dernier cri et confie que son appareil du moment a 10 ans. Solide, il a une résolution assez élevée pour imprimer les images dans n'importe quel média. Rien d'autre n'a d'importance.
Hommes de la Civil Defense Force scrutant le ciel à la recherche des hélicoptères qui portent les meurtrières "barrel bombs".
Waal, l'ambulancier à gauche, a été tué par une bombe le lendemain de cette photo.
October 2014 © Jan-Niklas Kniewel
Un homme récupère ses dernières affaires dans sa maison détruite.
Septembre 2014 © Jan-Niklas Kniewel
Ses projets du moment tournent autour des droits de l'homme en Égypte. Mais la Syrie est toujours dans un coin de sa tête, et il espère y retourner dès que possible, bien que de plus en plus de médias refusent de publier le travail des freelance en Syrie en raison des problèmes de sécurité et parce que l'intérêt du lectorat diminue de plus en plus.
On l'a compris, Jan-Niklas Kniewel est un enfant du photojournalisme. Il admire le travail des photographes Paolo Pellegrin, Stanley Greene, James Nachtwey et bien plus encore, celui de Marie Colvin, Paul Salopek et bien d'autres :
« Comme je l'ai dit : je n'aime pas séparer le journalisme photographique et écrit, les meilleurs morceaux de journalisme sont vraiment ceux-là, ceux qui sont une symbiose entre l'écriture et la photographie. »
Emilie Lemoine