Denys Arcand/Adad Hannah, Les Bourgeois de Vancouver Courtesy of Pierre-François Ouellette art contemporain, Montreal and Equinox Gallery, Vancouver
Adad Hannah
Denys Arcand
Denys Arcand et Adad Hannah : comment vous êtes-vous rencontrés ?
Denys Arcand : Je me suis d'abord intéressé à ce que Adad faisait parce que j'étais un visiteur régulier de la galerie où il exposait. Je trouvais son traitement de la photographie nouveau et intéressant. Puis un jour, il était là et nous avons commencé à parler de tonnes de choses... Le musée des Beaux-arts de Montréal nous a ensuite demandé de faire quelque chose, ils avaient une exposition qui arrivait. Nous avons suggéré l'idée de travailler ensemble et on a fait une pièce. Ça a été facile et amusant ! Notre travail a été bien reçu et l'on s'est dit que l'on travaillerait de nouveau ensemble, et nous voilà !
Adad Hannah : C'est drôle parce que je réalise que l'histoire de notre rencontre est toujours différente ! J'ai invité Denys à voir un de mes show en 2005 je pense, il m'a envoyé un e-mail et je lui ai demandé s'il voulait faire une collaboration, mais pas un film : (s'adressant à Denys) je ne voulais pas que tu penses que je voulais un rôle ! (rires)
D.A. : Dieu merci ! Je t'aurais dit non immédiatement ! (rires)
A.H. : Très vite, Denys a dit qu'il adorerait ! On a travaillé ensemble deux ans plus tard, quand le musée nous a donné cette opportunité, et comme il l'a dit : c'était drôle et facile !
Pour ces « Bourgeois de Vancouver », votre collaboration a-t-elle été aussi fluide ?
A.H. : On travaille quasiment ensemble sur tout ! Donc à la fin, quand on voit l'oeuvre, je ne sais même pas quels sont mes mots et quels sont les siens. C'est plutôt sympa je trouve !
D.A. : En fait, on discute d'abord l'idée générale. Là, Adad voulait faire quelque chose sur les Bourgeois de Calais. J'avais quelques idées que je lui ai proposées et il en avait aussi. On a échangé constamment, mais sans urgence, sur une longue période, de six mois à un an... puis il a écrit les six personnages et me les a envoyés, j'ai changé le script par endroit et lui ai renvoyé. Ce jeu d'allers-retours a continué jusqu'à ce que nous soyons satisfaits du résultat.
Denys Arcand/Adad Hannah, Les Bourgeois de Vancouver
Courtesy of Pierre-François Ouellette art contemporain,
Montreal and Equinox Gallery, Vancouver
Adad, d'où vient donc cette obsession pour Rodin ?
A.H. : C’est une bonne question ! Tout a commencé en Corée du sud je crois. La première version des « Bourgeois de Calais » sur laquelle j'ai travaillée est celle qui est à Séoul. J'ai commencé à penser ces sculptures comme un réseau car on les trouve, avec exactement la même forme, dans douze villes du monde (Calais, Paris, London…). La dernière a été achetée par Samsung et ramenée en Corée. L'idée initiale était de les voir comme un trophée de l'art occidental, mais j'ai réalisé que c'était trop simple et que l'on pouvait recontextualiser la sculpture et la façon de la regarder. Les sculptures ayant la même forme, cela vous fait regarder la ville qui est autour.
Et vous Denys, aviez-vous un intérêt particulier pour Rodin ?
D.A. : Non, pas du tout ! Je suis allé plusieurs fois au musée Rodin mais c’est tout. Mon seul intérêt était de travailler avec Adad !
Les six personnages de votre installation sont les suivants : un poète anonyme, une vieille dame asiatique ne parlant que sa langue d’origine, un fraudeur, un sportif, un ouvrier licencié et une ex-junkie. Si vous deviez être l'un d'eux, quel serait-il ?
D.A. : Le skieur, parce que j'ai rédigé la plupart de son texte, et puis le criminel au bracelet électronique aussi, parce que je travaille en ce moment sur l'évasion fiscale. Ces deux personnages sont les plus proches de moi !
A.H. : La vieille femme coréenne ! Parce que ma femme est coréenne et que cette femme ressemble à ma belle-mère... et aussi l'ex junkie, mais je ne sais pas pourquoi...
Adad Hannah, Unwrapping Rodin (Blue) 4, 2010
Adad Hannah, Unwrapping Rodin (Blue) 7, 2010
Adad Hannah, Unwrapping Rodin (Blue) 6, 2010
Denys, pourquoi le travail photographique d’Adad vous a-t-il séduit ?
Adad, au sujet de la série Unwrapping Rodin (exposée également au Centre culturel canadien), on a parlé d'une influence de Muybridge. Que représente la photographie pour vous ?
A.H. : Cette série a fini par ressembler à une séquence de Muybridge, alors que ce n’était pas l’intention première. Mais je suis très intéressé par Muybridge parce que je suis venu à la photographie par la vidéo, et par des vidéos de personnes immobiles : j’essayais de faire des sortes de «photographies-vidéo».
L'histoire de Unwrapping Rodin vient d'une femme de Montréal qui possède cette sculpture et qui voulait me montrer quelques photographies prises pendant le déballage de l'oeuvre. Mon idée a été de reshooter sa série à la façon d'un ouvrage artistique, en enlevant le contexte, comme dans un studio. J'ai toujours été intéressé par l'art mais aussi par son processus de création, par le fait de montrer des choses que normalement l'on ne voit pas.
Propos recueillis par Emilie Lemoine