"C'est le premier portrait que j'ai pris l'année dernière quelques minutes après mon arrivée à Elefantentreffen. Cette photo a illustré beaucoup d'articles de magazine." © Alessandro D'Angelo
http://www.alessandrodangelo.it/" a bravé le froid bavarois pour photographier une réunion de motard mythique : l'Elefantentreffen. Entre bières, gel et vrombissement assourdissant des moteurs, il a tiré le portrait de ces "Mad Max" de la forêt. On a voulu en savoir plus sur son travail et sur cet Italien qui n'a pas froid aux yeux.
Qui êtes-vous Alessandro D'Angelo et comment êtes-vous devenu photographe ?
Je suis né dans une petite ville du centre de l'Italie, grâce à mes parents : Joan et Angelo. Après des études d'art, j'ai commencé à prendre des photos avec l'appareil de mon père. Je suis devenu un photographe, une personne attentive aux « choses qui existent » et au fil du temps, je me suis intéressé aux gens de mon pays : des héros anthropologiques d'encyclopédies inconnues. J'ai travaillé en freelance pour plusieurs magazines, sites internet et studios de publicité.
Comment avez-vous eu l'idée du projet Elefantentreffen? Etiez-vous fan de moto ? De la Bavière ?
J'étais en train de chercher une pièce pour la vieille moto de mon père et le mécanicien m'a dit, si vous voulez photographier un motard vous devez aller à Elefantentreffen. Alors, j'ai décidé d'explorer ce monde, fait de motos et de bikers, de gel et de kilomètres, de bière et de passion... un très bon sujet pour ma démarche photographique.
© Alessandro D'Angelo
L'Elephant Rally ou Elefantentreffen, c'est une réunion de motards qui a lieu tous les ans le premier week-end de février ou le dernier week-end de janvier dans une vallée entre les villes de Thurmansbang et de Solla, dans la forêt bavaroise en Allemagne, à côté de la frontière tchèque, où la neige est garantie et les températures sont souvent en dessous de zéro.
C'est extrême parce que les gens qui y participent sont extrêmes. Tous les motards qui viennent à Elefantentreffen sont heureux s'il y a beaucoup de neige et de gel pendant les trois jours ! C'est extrême parce que les seules accommodations possibles sont des tentes et des bottes de paille, pas d'électricité, pas de musique, pas d'épicerie. La plus importante des choses c'est l'interdiction totale de tous les véhicules sauf les motos, sur plusieurs kilomètres autour de l'espace du meeting. J'ai dû marcher plusieurs heures à travers la forêt pour atteindre chaque jour la zone de rally, parce que l'endroit où recharger mon matériel et gérer les fichiers était dans la ville la plus proche, à huit kilomètres !
© Alessandro D'Angelo
Dans quelle mesure ces motards appartiennent-ils à cette « comédie humaine » que vous essayez de saisir en la photographiant ?
Honoré de Balzac l'auteur de La Comédie humaine est pour moi une inspiration dans ma vie et dans mon travail. L'une de ses citations est : « Les vraies passions sont comme les jolies fleurs, les plus séduisantes sont celles qui ont poussé dans un sol stérile ». C'est pour moi une clé photographique pour beaucoup de mes projets.
« An adventure of men, motorcycles, cold and passion » : ni voiture, ni soleil, ni femme. Est-ce à dire que l'Elefantentreffen est un rassemblement macho ?
Non, en fait il y a des femmes qui participent à l'aventure. Evidemment c'est peu par rapport au nombre d'hommes, mais je pense que c'est normal. Ma copine par exemple n'aime pas du tout le froid, les tentes, les motos, etc.. Ça peut paraître un peu cliché mais c'est comme ça. Durant mon dernier reportage sur les courses italiennes et la coupe du monde de moto, j'ai découvert deux femmes qui participent à la compétition dans la réalité d'un sport masculin et j'ai décidé de travailler aussi sur ce sujet.
"C'est la dernière photo que j'ai prise : Julia est l'une des rares femmes qui participent au rally.
Je l'ai poursuivie longtemps et je l'ai finalement photographiée juste avant qu'elle rentre chez elle." I
© Alessandro D'Angelo
Oui, marcher toute la journée dans la neige et dans la boue glaciale est très dur et épuisant. Tous les motards sont là pour s'amuser après un très long voyage, mais moi je suis là pour travailler. La seule activité des motards est de tourner autour du campement avec leurs motos ou de boire de la bière et manger des cochons rôtis. Le bruit des engins et des feux d'artifice ne quittent jamais le camp. Prendre en photo un motard ivre pendant que quelqu'un peut vous heurter avec sa moto, tout en sachant que le cachet pour ce « top model » est « Maintenant tu dois boire avec nous ! , est une façon de travailler à la fois drôle et difficile.
Quand on regarde vos photos, on a parfois l'impression d'un mélange entre Game of Thrones et Sons of Anarchy, qu'en pensez-vous ?
Ha ha ha peut-être ! La plupart des hommes (et des femmes) qui participent, adorent s'habiller dans un style excentrique et très personnel. Je crois que cela fait partie de la passion et de la joie de vivre qui font ce type de manifestation. Pour moi, je pense que c'est un peu le style Mad Max !
© Alessandro D'Angelo
Comment ces motards vous ont-ils accepté parmi eux ?
Comment avez-vous travaillé ? Qu'en est-il de votre matériel (appareil photo/lumière/numérique) ?
J'adore voyager et travailler « léger ». Un appareil, un objectif, un flash. Contrairement à ce que l'on peut penser au sujet de l'équipement, ce que je trouve particulièrement important dans ce type de travail, ce sont les chaussures ! Koudelka a dit dans une interview où on lui demandait ses conseils à un jeune photographe : « Achetez des bonnes chaussures ! » C'est vrai, ça veut dire que l'on doit marcher beaucoup pour bien voir le monde, l'espace ou les gens, et pour choisir un bon point de vue, pour découvrir quelque chose de caché. Avoir des bonnes chaussures, ça veut dire pouvoir bien travailler et pendant longtemps, tout particulièrement dans des endroits difficiles.
Avez-vous une petite routine photographique ?
Sur ma manière de travailler, j'essaie d'imaginer d'abord une esthétique et une construction, mais tout peut changer et je me laisse libre de changer de direction si la situation l'exige.
© Alessandro D'Angelo
Qu'en est-il du futur de ce travail sur Elefantentreffen ? Et quels sont vos autres projets ?
J'ai décidé de compléter ce projet et d'en faire un livre, d'améliorer un reportage qui célébrera la 60ème édition de Elefantentreffen en 2016. En plus d'un événement de moto, c'est aussi un défilé de costumes.Me concernant, je travaillerai en 2015 sur un projet autour des plus importants ports de pêche d'Italie. Je compléterai aussi mes séries photographiques sur "Femmes seules dans une réalité masculine". Ces derniers temps, j'ai décidé de travailler seulement sur des projets à moyen et long terme.
Est-ce que vous auriez un conseil photo à nous donner (expositions, ouvrage, etc.) ?
Côté livres, je conseillerais Ignacio Maria Coccia pour Verde Cortina (2014), un voyage à travers l'ex rideau de fer vingt-cinq ans plus tard ; Lorenzo Castore pour Paradiso (2005), une vision de Cuba, libérée récemment du blocus américain, et Abbas pour Allah O Akbar, a journey through militant Islam (1994), une forte et magnifique vision de ce monde. Un livre que j'aime aussi beaucoup, c'est Subway de Bruce Davidson (1981).
En savoir plus sur le travail d'Alessandro D'Angelo : http://www.alessandrodangelo.it/"
Propos recueillis par Emilie Lemoine