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Jean-Christian Bourcart : « La perversité est inhérente à la création artistique »

Jeudi 11 Décembre 2014 10:47:53 par actuphoto dans Interviews

Jean-Christian Bourcart
Alors que le débat public sur la prostitution est loin d'être clos, Jean-Christian Bourcart publie un ouvrage sulfureux, All about love, dans lequel il réunit des clichés un peu particuliers. La série de 1992 prend pour décor un bordel de Francfort ; celle de 1996, des clubs échangistes et sado-masochistes new-yorkais. Dans le plus grand secret, le photographe a capturé ces moments d'intimité, de vulnérabilité, de violence et de tendresse parfois. Retour sur une démarche sujette à controverse.

Quelle est la première photo dont vous vous souvenez ? Pourquoi ?

Je me souviens d'une photo où mon père nous photographie, ma mère, mon frère et mes sœurs, avec son ombre se projetant au premier plan de l'image de façon un peu menaçante. Mais je mélange cette photo avec une autre très similaire que j'avais trouvée dans les archives de Libération de Georges Bataille photographiant sa femme et sa fille.

Vous avez commencé votre carrière par de la photo de mariage. Est-ce que cela vous a influencé dans la suite de votre travail ? Si oui, comment ?

Etre photographe de mariage est une très bonne école de reportage. Il faut être là au bon moment, bien placé, il faut savoir négocier avec les gens, les charmer, produire des photographies où ils se plaisent, et aussi, à l'époque, toutes les photographies prises étaient tirées en 18x24 et présentées aux mariés, donc chaque photo devait être exploitable.

Vous avez intitulé votre dernier ouvrage All about love, ce qui semble paradoxal quand on sait qu'il s'agit de bordels et de clubs échangistes. Pourquoi ce titre ?

Oui, c'est un peu ironique. Mais à la fois, je me suis aperçu qu'il y a bien plus que le sexe en jeu dans ces endroits. Les gens sont seuls, ils cherchent du contact, de la chaleur humaine, de l'échange. Qui a dit que seules les prostituées savent aimer ?




© Jean-Christian Bourcart



Nan Goldin a écrit un texte qui clôt votre livre, qu'elle axe autour de la question de la femme. Qui sont ces femmes que vous avez photographiées ?

Le premier texte de Nan (il y en a deux dans le livre) a été écrit spécifiquement sur la série des bordels de Francfort. Donc elle parle de la condition - parfois quasiment carcérales - des prostituées et de leur rapport avec les clients. C'est un sujet qui lui tient à coeur.

La couleur rouge est omniprésente dans votre ouvrage et rappelle la lumière du photographe. Le bordel ou le club échangiste seraient-ils comparables à la chambre noire dans laquelle on retrouve cette lumière rouge ?

C'est une idée intéressante à laquelle je n'avais jamais pensé. Mais je n'ai pas choisi cette couleur. C'est celle que j'ai trouvée dans ces endroits. On peut se demander pourquoi on ne trouve pas de boîtes échangistes éclairées en bleu. C'est sans doute juste moins excitant. Quelque part, les humains sont tellement prévisibles...

 
© Jean-Christian Bourcart
 

De manière générale, le photographe est souvent comparé à un voyeur. Vous l'admettez volontiers dans votre introduction. Le type de voyeurisme que vous pratiquez est-il pervers, selon vous ? Quel voyeur êtes-vous ?

Il est certainement pervers d'aller photographier en cachette des gens en train de copuler. Mais je ne le fais pas "pour mon propre plaisir" puisque je partage le résultat avec vous. La perversité est inhérente à beaucoup de créations artistiques. Pensez aux films de Hitchcock, de Haneke. Ce qui m’intéresse particulièrement, c'est de placer le spectateur en face de son propre voyeurisme. Où est-il interpelé, excité, choqué? En fait, en montrant le travail, je suis autant du côté de l’exhibitionnisme que du voyeurisme. J'exhibe les autres, mais je le fais pour montrer qu'il est possible de s'éclater librement, de satisfaire ses envies, ses phantasmes.

Comment conserver la juste distance avec ce qu'on photographie lorsqu'on est soi-même pris dans le rituel sexuel ?

Je n'étais pas dans le rituel sexuel lorsque je faisais ce genre de photo. C'est au-delà de mes capacité de faire les deux à la fois. Faire de bonnes photos en très basse lumière, sans viser, et sans se faire remarquer relève de la haute voltige, et c'est en plus assez flippant. C'est aussi parce que je n'étais pas actif que je photographiais, jouant sans doute sur un certain sentiment de frustration. Au moment où je suis "intervenu", j'ai arrêté les photos.

Les visages sont soit flous soit absents de vos photos, ce qui déshumanise les pratiques sexuelles – parfois marginales – que vous montrez. Quel regard posez-vous sur ces comportements que certains qualifient de "déviants" ?

Pour moi, il n'y a pas de comportements déviants. Il y a des gens qui ont des sexualités différentes, qui ont besoin d'un certain contexte pour prendre leur pied, mais je ne juge jamais. Je suis plutôt fasciné, et je trouve triste qu'ils aient besoin de se cacher. C'est pourquoi il est important de montrer ce qui se passe dans ces endroits. Il y a aussi, autant que possible la volonté de protéger l'anonymat des personnes.

Le flou est présent sur presque toutes vos photos, notamment pour des raisons techniques. Toutefois, le flou peut aussi évoquer la perte d'identité, le mélange des corps, l'absence de jugement. Quelle est la part de "voulu" et de hasard dans cet effet ?

Il n'y a rien de voulu dans les flous, mais j'accepte complètement ce que le flou amène comme dramatisation et comme suggestion. On est plus près du fantasme, du rêve, de l'image inconsciente.






© Jean-Christian Bourcart


Dans la préface de votre ouvrage, vous évoquez la tendresse des rencontres qui se font dans le bordel ou le club échangiste. Diriez-vous que ces lieux ont une utilité sociale ? Avez-vous un avis sur la réhabilitation des maisons closes en France ?

Oui, ces lieux devraient être reconnus d’intérêt public. Il y aurait moins de pervers qui violent leurs enfants et tabassent leurs femmes. La question de la réhabilitation des maisons closes se situe dans le débat plus général sur la prostitution. Est-elle éthiquement envisageable ? Dans l'absolu, l'idée qu'on puisse échanger un acte sexuel contre de l'argent me parait acceptable, chacun, chacune étant libre de faire ce qu'il ou elle veut de son corps. Le problème est que dans la majorité des cas, cela se produit entre quelqu'un qui possède et quelqu'un qui manque, ce qui fait que l'on finit par jouir du pouvoir qu'on a sur un autre, et ça c'est franchement dégueulasse.

Quelle différence y a t-il à photographier l'intérieur d'une maison close et celui d'un club échangiste ?

Dans une maison close, l'''action'' se passe derrière porte close, alors que dans les clubs, tout est là, devant vos yeux.

Vous écrivez dans l'introduction : "en tant que créateur d'illusions, je suis concerné par la vérité". Quelles illusions créez-vous ?

La perception d'une photographie est ontologiquement basée sur une illusion. Ce n'est qu'un morceau de papier avec quelques traces de métal oxydé qui "rappelle" la scène enregistrée mais ce n'est vraiment qu'un morceau de papier (ou un écran...), et rien d'autre. On est toujours sous le pouvoir magique des images, comme l'étaient les hommes préhistoriques, ou les croyants devant les icônes moyenâgeuses (voir le pouvoir de la publicité). Donc, ce n'est pas limité à moi, tous les photographes sont, à mon sens, des créateurs d'illusion.






© Jean-Christian Bourcart


FICHE TECHNIQUE
Auteur : Jean-Christian Bourcart
Parution le 13 octobre 2014
Éditeur : Loco
ISBN : 9782919507344
25,5 x 1,5 x 19 cm
Prix : 39€
http://www.amazon.fr/All-About-Love-Jean-Christian-Bourcart/dp/2919507346/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1418894254&sr=8-1&keywords=all+about+love+bourcart">Lien


Propos recueillis par Marie Beckrich




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© Actuphoto.com Actualité photographique

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