Michel Houellebecq - auditorium Pavillon Carré de Baudoin - 05/11/14
Un petit déjeuner avec Michel Houellebecq, ça ne se refuse pas. Quand bien même la dizaine de journalistes, les attachées de presse fébriles, et les professionnels du Pavillon Carré de Baudoin aux aguets alors que l'écrivain est un peu en retard. Il arrive enfin, et le monde se remet bizarrement à tourner. « Michel est là ! Michel est là ! ». On le remarque à peine pourtant, le frêle Michel, coincé dans une chemise en jean et un pantalon trop grand, maintenu par une ceinture de cuir serrée au dernier cran. Un sac à dos élimé pour être prêt à repartir, au plus vite. Et des cheveux épars griffant son crâne luisant par endroit comme du papier photo. A l'occasion de son exposition photographique Before Landing, et en compagnie de Marc Lathuillière (commissaire de l'exposition) et Valérie Fougeirol (déléguée artistique de la thématique « Anonymes& amateurs célèbres » du Mois de la photo 2014), l'homme a pris le temps de nous expliquer son rapport à la photo, au camembert, au TGV et au monde végétal...
Pourquoi ce titre anglais Before Landing ? Que vous évoque-t-il ?
Michel Houellebecq : J'ai pris « Before Landing » parce que j'aime bien la sonorité, c'est joli et ça évoque quelque chose. Même s'il n'y a que deux photos à proprement parler qui sont prise « before landing » (« avant l’atterrissage » ndlr). Mais j'aime bien aussi ces moments où l'on sort de l'autoroute, ce n'est pas que je les aime bien en fait, c'est que je ne les aime pas justement ! Parce que sur l'autoroute on est bien, tout se passe correctement et au moment de sortir, en sachant que l'on va aller dans le pays réel, on ne sait pas bien ce que l'on va trouver et c'est toujours un peu angoissant je trouve. Même chose pour le TGV, c'est un espace assez normé, pas de grosses surprises, par contre quand on va dans le pays... J'avais exprimé ça brièvement dans un poème : "On descend de voiture et les ennuis commencent"*, c'est pour exprimer cette légère angoisse au moment de quitter un espace standardisé, entrer dans un espace qui risque de l'être un peu moins...
Before Landing (Le produit France/1) est votre première exposition personnelle et fait écho à celle de Marc Lathuillière (Le produit France/2). Quelle démarche commune entre vous deux ?
M.H. : Je ne suis pas très bon oralement mais par ailleurs j'ai préfacé le livre des photos de Marc Lathuillière où je m'explique mieux que ne le fais maintenant. En gros ce sont deux approches des transformations récentes de la France : lui s'attachant aux métiers et moi plutôt aux paysages en général.
On devine le regard de deux personnes ayant vécu à l'étranger (l'Espagne et l'Irlande pour Houellebecq et l'Asie pour Lathuillière) ?
M.H. : Oui c'est vrai ! Cette exposition est un prolongement de La carte et le territoire, il n'y a pas de doute. Je me suis rendu compte de pas mal de choses en revenant et entre autres que le pays a pas mal changé ! C'est un sujet des deux expositions en effet. Quand on vit sur place tout le temps, on ne se rend pas compte de la situation mais après une longue période d'absence on se rend compte des changements. Surtout, et c'est là que je rejoins Marc Lathuillière, il n'y a pas de nouveaux musées en réalité, c'est le même territoire qui se mosaïfie, il y a un gigantesque travail en oeuvre de pose de cartels, de panneaux pédagogiques, pour transformer la France en un gigantesque musée à ciel ouvert.
Comment avez vous choisi ce « surtitre » des deux expositions « Le produit France » ?
M.H. : C'est une bonne question je en m'en souviens plus....
Marc Lathuillière : C'est toi qui l'a trouvé à quatre heure et demie du matin !
M.H. : Quatre heure et demie du matin ! C'est bon ça ! C'est mon heure ! On peut le prendre dans le sens premier, la France est devenue un produit : "On a un produit à vous proposer qui marche bien en ce moment, c'est la France !".
Quelle a été votre démarche créative pour ces photographies et la mise en place de cette exposition ?
M.H. : Pour les photos, il faudrait que je réfléchisse beaucoup car pour une grande part elles préexistent à l'exposition et il y en a pas mal où j'ai oublié ce qu'elles représentaient. Par contre, l'exposition je m'en souviens mieux, c'est plus récent. Finalement je n'ai pas trente-six manières de procéder, c'est un peu comme écrire un livre. Je prends une première salle et je décide ce que je vais mettre dedans, après je change de partie, ça fait une deuxième salle donc je mets autre chose. Il y a une espèce de semi narrativité. Au départ c'est surtout l'idée de remplir une salle puis l'autre, dans un certain ordre, que j'imaginais le plus probable pour une visite.
Quel est le lien entre écriture et photographie dans cette exposition ?
M.H. : Si on rentre dans le détail des photos, j'essaie de faire en sorte qu'il se passe quelque chose en superposant un texte et de la photo. Bon, là je vais devenir théorique.... mais ma seule véritable influence intellectuelle sur le plan de l'écriture c'est Jean Cohen qui défend, contre tous les théoriciens du langage, l'idée que la poésicité n'est pas liée à la littérarité, en d'autres termes une image peut être poétique. Ça a un sens de parler d'une image poétique, d'une situation poétique voire une personnalité poétique. D'où l'idée qu'une photo peut être poétique et qu'elle peut d'autre part résonner d'une manière poétique avec un texte qui l'est.
©Michel Houellebecq
Depuis quand la photographie est présente dans votre vie ?
M.H. : J'ai commencé à 16 ans, j'ai acheté un appareil photo. J'ai remarqué que ça aide à être attentif au monde, le fait de cadrer. Je ne me souviens pas de ce que je faisais à l'époque. Pas des portraits en tout cas, je ne me suis jamais intéressé aux gens, ça ne m'intéresse pas les photos de gens ! Je préfère les lieux, les trucs plus indistincts, les textures végétales... à un moment donné j'avais une obsession pierre/caillou qui m'a un peu passé... accessoirement l'eau... mais j'ai une prédilection pour le végétal.
Et concernant les aspects plus techniques de la pratique de la photographie ?
M.H. : Je n'aime pas trop les zoom donc pendant longtemps j'avais un gros Fuji à objectif unique, argentique et puis finalement je suis passé au numérique, sans vraie joie...
Par rapport à l'écriture, la photographie devient-elle un moyen d'expression supplémentaire ?
M.H. : Oui la photographie permet d'exprimer autre chose. Mes descriptions de paysage dans mes livres sont assez rudimentaires : par rapport à un paysage un peu complexe, il vaut mieux prendre une photo qu'essayer de le décrire. Je n'envisage pourtant pas la photo dans une narration, mais plus dans un ouvrage plus poétique. Plutôt un livre de photographie avec du texte.
Expliquez-nous ce fameux angle de vue à 30° qui semble vous caractériser ?
M.H. : Effectivement l'axe de prise de vue est important. L'angle de vue à 30° c'est un axe moyen, pas tout à fait dans le monde mais pas totalement au dessus non plus ! Enfin c'est une variante, de temps en temps il y a une position de satellite plutôt, en observation de la terre, et parfois au ras du sol...
La grande fresque située à l'étage de l'exposition évoque la religion, d'où vous est venue l'idée ?
M.H. : Je trouve ça assez fatigant de vivre à Paris, en particulier quand on doit se déplacer pour aller d'un endroit à un autre... Et il y a un endroit que j'aime depuis toujours à Paris, ce sont les églises. Parce que les églises c'est ouvert dans la journée, il n'y a pas de contrôle des sacs à l'entrée, et l'on peut se poser... dès qu'on est à l'intérieur le bruit de la rue est assourdi et l'on peut rester rêvasser, ou méditer pour certain, moi c'est plutôt rêvasser, avec souvent des images qui peuvent servir de support à la rêverie. Là c'est un peu comme ça que j'ai conçu la chose, un espace de rêverie, au milieu de la ville... Mais si vous y voyez une interprétation religieuse vous avez forcément raison. Celui qui voit une interprétation a toujours raison, je dis cela sans plaisanter du tout, le regardeur fait beaucoup !
Comment expliquer la section sur le camembert ?
M.H. : Le camembert est plus ancien que la sidérurgie et se porte mieux, et je trouve que c'est troublant comme constatation ! Ce sont des photos prises au musée du Camembert dans le village de Camembert, très riche visuellement, avec une très belle exposition de camemberts au fil des âges... Il est étrange que le camembert soit devenu symbolique à ce point et ça il me semble que c'est expliqué dans le musée.
Et que dire des espaces photographiés vides de monde ?
M.H. : Le vide, ça j'avoue que j'ai un vrai don pour arriver à prendre une photo au moment où il n'y a personne ! Et dans un centre qui marche aussi bien que le centre commercial Europe de Calais, c'est une performance de trouver un moment où il n'y a personne !
*extrait du poème Nature, La poursuite du bonheur, Michel Houellebecq, Editions Flammarion, 2005.
(Propos recueillis par Emilie Lemoine le 5/11/14)