©Shelly Mosman
Ils ont l'air de venir d'une autre époque et d'un autre monde les enfants de Shelly Mosman. Sa série Animal Child a vraiment quelque chose d'intriguant. « Le beau est toujours bizarre » disait Beaudelaire. Le travail de cette artiste américaine en est la preuve vivante. Elle méritait bien d'être la Carte Blanche du mois de novembre.
Shelly Mosman n'a jamais été du genre à rester assise dans un coin, à lire ou à travailler avec des chiffres. Ce qui lui plaît, confie-t-elle, c'est d'avoir les mains prises et d'interagir avec ses sujets. Diplômée du Minneapolis Collage of Art & Design, la photographe a travaillé pour des clients pendant dix-huit ans avant de commencer à photographier pour elle-même en 2012. Elle se demande encore chaque jour où elle va, mais elle a découvert que de ne pas connaître la direction de son travail est pour elle la meilleure des choses.
« Mes influences impliquent l'histoire du portrait, aussi bien en peinture de 1500 à 1800 que les travaux des studios photos vers le milieu du 19ème (...). Les attentes étaient très différentes et la perfection avait une autre signification ». Mosman se serait-elle trompée d'époque ? L'artiste nous avoue avoir toujours été fascinée par l'imagerie atemporelle. A voir sa série Animal Child, on veut bien la croire !
©Shelly Mosman
Le choix de ses modèles n'a rien d'innocent : « Je choisis des sujets qui ont déjà quelque chose que je peux utiliser dans leur style personnel et dans leur façon d'être au naturel. Les habits vintage de la série Animal Child sont usés. Normalement je dois clipser des vêtements taille adulte pour les enfants ! ». Shelly Mosman a voulu placer l'enfance au cœur d'Animal Child. Elle a voulu capturer ce moment où l'on veut « être grand » alors même qu'on est encore si petit. Elle ajoute : « 9-11 ans, c'est l'âge parfait pour cette série parce que l'âge adulte commence à pointer mais ils ressemblent encore tellement à des enfants ».
©Shelly Mosman
Alors la femme adulte cherche des images et des souvenirs de sa jeunesse pour mieux rendre compte de sa thématique . Elle se souvient par exemple d'un immense parking devant un mall et de ce qu'elle pouvait représenter pour elle à l'époque. Des images d'enfants sur des vélos aussi... « Je recrée les idées du souvenir. Un environnement peut m'inspirer, aussi bien qu'un visage un tee shirt ou une chaussure, tout peu m'inspirer en fait ! ».
©Shelly Mosman
Quant au choix des animaux, elle l'explique par la multitude de significations qu'ils peuvent avoir : les gardiens, les compagnons, l'amour, la haine, la manipulation ou le pouvoir : « Ensemble, mes sujets sont forts et montrent un compagnonnage inconditionnel ».
©Shelly Mosman
Les portraits de Mosman dégagent une atmosphère sombre et étrange, de laquelle émergent les pupilles de ces enfants obstinément sérieux. « Comme pour le reste de mon travail, j'ai un engouement pour les ténèbres et l'inconnu ». La photographe aime les coins sombres, les fenêtres ou les arrière-plans obscurs. Les ténèbres sont pour elle comme un espace libre pour l'imagination et lui permettent de proposer une narration. « Je suis très inspirée par la peinture classique, comment la lumière fonctionne à l'intérieur des images tout comme les couches d'ombres et la position des mains. Je me concentre sur les yeux et les mains qui sont les choses les plus expressives ».
©Shelly Mosman
L'Américaine est une travailleuse solitaire et efficace dans l'organisation de sa journée. « J'aime ma tasse de café le matin, avoir mon ordinateur et passer du temps seule avant de parler à qui que ce soit. Je photographie presque tous les jours et je travaille avec très peu de moyens et très vite. La post-production vient directement après avoir photographié et est finie à la fin de la journée. Je ne suis pas un oiseau de nuit ! ». La post-production constitue en effet une part importante de son travail et crée le style si particulier de ses images. Mosman n'hésite d'ailleurs pas à nous dire qu'elle utilise Photoshop et que toutes ses photos sont numériques. Son but est de mettre en avant le détail, les tâches de rousseurs, les bleus ou même les éruptions cutanées. Toute la série Animal Chid est faite en studio et la moitié des images sont retouchées avec Photoshop.
©Shelly Mosman
La photographe reste néanmoins secrète sur les détails précis d'une technique qu'elle a mise des années à parfaire. Car Shelly Mosman a le sens du secret et n'aime finalement pas trop en dire : « Je n'aime pas trop parler de mon travail parce que je sens qu'il est important de laisser les images ouvertes à l'interprétation. Cela permet aux spectateurs de convoquer leur propres histoires ou souvenirs ».
©Shelly Mosman
Emilie Lemoine