© William Daniels
A l'occasion de la nuit blanche, qui aura lieu ce samedi 4 octobre à partir de 19h30 sur le Bord de Seine du Quai Saint Michel (Paris 4e face à Notre Dame), William Daniels exposera avec Action contre la Faim une fresque grand format de ses images de Centrafrique. Elles seront accompagnées d'une projection d'images sur une musique du DJ MR NÔ.
Un bel hommage à la Centrafrique, qu'il ne faut pas oublier.
Entretien avec le photographe.
Pouvez-vous nous raconter comment vous êtes venu à la photographie ?
Je faisais des études scientifiques qui m'ennuyaient. A ce moment-là, je m'inquiétais un peu de ce que j'allais faire, mes cours étaient loin de mes rêves de voyage. Je me suis mis à faire de la photo car mon père faisait lui-même de la photo longtemps avant, il y avait toujours un vieux reflex qui trainait. C'est arrivé comme un besoin de faire des choses un peu plus créatives, et moins scientifiques. J'ai terminé ces études, je suis parti voyager aux Antilles, pour faire un stage dans le cadre de mes études, et j'ai été embauché dans un magasin photo pour vendre des appareils et des pellicules.
J'avais une seule idée en tête, c'est de partir voyager, faire un très grand voyage. Ce que j'ai fait en Amérique latine pendant cinq mois, je suis descendu en bateau-stop dans plusieurs îles, j'avais 21 ans, c'était une sorte de voyage initiatique. Ca a été une révélation, j'ai fait beaucoup de photos.
J'ai réussi à financer un voyage aux Philippines, j'étais bénévole dans une ONG pour donner des cours photo à des petites filles qui ont des histoires très dures. J'ai fait plein d'images dans ce foyer, et j'ai commencé à m'apercevoir que l’adéquation entre photographie et image humaine est forte. En rentrant en France, j'ai fait une petite école, le centre Iris, et lors de ce cursus, j'ai gagné une bourse, le « défi jeune », qui m'a permis de retourner aux Philippines. Cette fois, j'ai travaillé sur les enfants des rues de Manille, qui sera mon premier reportage. Il va être primé, un peu exposé, publié, et il m'ouvrira les portes des magazines.
Vous présentez, pour la nuit blanche à Paris, un projet avec Action contre la Faim. Aviez-vous déjà travaillé avec une ONG ?
Je travaille essentiellement sur des sujets qui ont une importante part d'humain, souvent liés à des causes humanitaires ou des conflits, donc naturellement je suis en contact avec des ONG. Quand j'ai commencé il y a 10 ans, ce n'était pas simple de se faire financer des reportages à l'étranger, car il n'y avait plus beaucoup de commandes déjà à l'époque, et j'étais jeune photographe. L'association avec l'ONG permet parfois de financer des sujets.
© William Daniels
Pouvez-vous nous expliquer « Nuit Noire Centrafrique » que vous présentez avec Action contre la Faim le soir de la nuit blanche samedi 4 octobre ?
Je travaille sur la Centrafrique depuis novembre 2013, je reviens tout juste de mon 5e séjour. Je ne travaille pas pour les ONG là bas, mais essentiellement pour Time Magazine avec qui j'ai eu un world press cette année. J'ai également travaillé avec L'Express, avec Al Jazeera America, excellent site qui a beaucoup de fonds, beaucoup de moyens, et j'ai pu réaliser mon dernier séjour grâce à la bourse Getty. C'est un travail documentaire, non pas dans un but de promotion d'ONG.
Un jour, Action contre la faim est venu me voir, en m'expliquant leur envie de faire un événement important avec mes images de la Centrafrique. Ils aiment faire des évènements qui touchent, qui font du bruit. J'étais très content, en 2008, j'avais fait un très gros événement sur le pont des arts, nous avions exposé 40 très grands tirages pendant un mois. J'ai aimé confronter dans la rue un sujet lourd de sens aux passants, j'ai l'impression que ça a du sens.
J'ai été très content de cette proposition d'ACF, et nous avons avancé jusqu'à ce qu'ils se retrouvent dans le programme officiel des nuits blanches, et que la mairie de Paris nous donne deux quais immenses à exploiter.
Donc nous présentons une fresque de 15 photos en grand format, d'une sélection de mes images de la Centrafrique. Sur le quai d'à côté, nous allons projeter des images toute la nuit, une soixantaine d'images accompagnées d'une musique qui a été composée par un DJ, MR NÔ.
Quel est le but de cet évènement ?
Il ne s'agit pas d'images qui montrent les actions d'ACF, c'est vraiment dans le but de parler de la Centrafrique. ACF met des liens sur son site, il est possible de voir des images dont certaines que j'ai faites, mais c'est avant tout une opération pour rappeler la Centrafrique.
Le but de « Nuit Noire Centrafrique » est de montrer que la situation est toujours compliquée. L'actualité internationale est extrêmement riche en ce moment, avec, par exemple, ce qu'il se passe avec l'Etat islamique, l'Ukraine, ect, donc ce qu'il se passe en Centrafrique est un peu mis de côté. Cela fait un an qu'on en parle, donc les médias s'en laissent peut être aussi. Il y a comme un rejet de la situation là-bas.
Donc avec l'opération de la nuit blanche, nous souhaitons toucher un autre public, c'est à dire pas celui qui va aller acheter Time Magazine, Le Monde Magazine ou le New York Times, et nous faisons cela d'une manière différente, peut-être plus « artistique », donc nous espérons que le message passera.
© William Daniels
Vous revenez de Centrafrique, que pouvez-vous nous dire de la situation ?
Ca évolue beaucoup, c'est à dire que dans Bangui ça va beaucoup mieux, on peut se promener, travailler, la vie économique a repris en grande majorité. Il y a un ou deux quartiers où il y a toujours des soucis, mais ça va mieux. Des échanges économiques se refont, des chrétiens reviennent dans le quartier musulman, il y a une véritable évolution.
Le problème, c'est que les soucis se sont déplacés en brousse, c'est à dire en province, dans les endroits plus reculés. On ne sait donc pas trop ce qu'il se passe, il y a toujours des massacres. Il faut voir comment ça va évoluer ces prochaines semaines. Il y a toujours ces forces anti-balaka, milices chrétiennes extrêmement nuisibles, même pour les chrétiens eux-mêmes par endroits, et qui sont incontrôlables, pas unifiées. Je pensais qu'au bout de quelques mois ils se lasseraient, mais non, ils continuent. De l'autre côté, il y a des groupes seleka qui sont très divisés, certains essaient d'aller vers la paix, et la plupart veulent tirer leur épingle du jeu, montrer qu'ils peuvent être nuisibles aussi... Les choses risquent de changer très prochainement, car il y a une importante assemblée générale à Bambari des séléka du nord, il faut voir quelles décisions vont êtes prises à ce moment là.
Pour la situation humanitaire, c'est désespérant. Sans aide extérieure, le pays basculerait dans l'horreur. Il y a des camps de déplacés à beaucoup d'endroits. La ville de Bambari est une ville très importante, dans laquelle la plupart des chrétiens sont déplacés, c'est à dire mis dans des tentes, qui ne sont parfois que des bâches avec de la paille, c'est la pleine saison des pluies donc les camps sont inondés, il y a énormément de paludisme, de malnutrition. D'où l'action d'ACF qui fait un travail remarquable là bas. C'est aussi pour cette raison que j'ai accepté de travailler sur ce projet avec ACF, je sais ce qu'ils font là-bas, c'est vraiment une excellente ONG.
Ce qui me désole, c'est que c'est un pays tellement sous-développé, où le taux d'éducation est tellement bas, qu'il y a une partie de la population qui est manipulable à souhait. On est dans la conséquence de décennies d'abandon. Même à l'époque coloniale, le pays était laissé à l'abandon. L'administration est tellement inexistante, l'Etat n'a pas de pouvoir et les gens qui ont le pouvoir essaient de s'enrichir rapidement avant de partir eux et leurs familles, c'est un pays qui peut exploser à tout moment, comme on l'a vu dernièrement. C'est très dur de revenir en arrière. Le développement est quelque chose primordial.
La Centrafrique est le stéréotype de la situation où le sous-développement tue.
Propos recueillis par Claire Mayer