Le photoreporter a largement couvert le continent africain : entre autres le Congo, le Darfour, l'Angola, le Rwanda...
Actuphoto l'a interrogé sur son projet « Femmes en Résistance », exposition itinérante qui se déplace cette année en Afrique.
Sortant d'une « représentation stéréotypée qui pose « la » femme en victime perpétuelle », Femmes en Résistance regroupe 25 reportages, dans autant de pays différents. On y trouve notamment deux séries effectuées au Congo, la Marche Mondiale des Femmes et les femmes du Kivu pour les victimes des violences sexuelles.
Pierres-Yves Ginet est également membre du membre du Collectif Essenci'Elles.
Rencontre avec un photojournaliste engagé et engageant.
Comment êtes-vous arrivé à la photographie ?
Ce qui m'a amené à la photographie, c'est le voyage. Mes proches voulaient voir des images de mes voyages, on m'a acheté un appareil photo pour ramener ces souvenirs et les partager.
En 1991, j'ai fait ce qui est pour moi le voyage ultime : le Tibet. Je suis parti en tant que touriste et j'en suis revenu photojournaliste. Une fois sur place, impossible pour moi d'aller photographier les jolies montagnes. La claque était trop forte. J'ai définitivement quitté mon métier en 1998, et depuis je suis à 100% photojournaliste. Je travaille sur le thème des femmes en résistance dans le monde contemporain.
Votre voyage au Tibet vous a-t-il poussé à la fois à la photographie et à l'engagement féministe ?
Oui et non. Il m'a poussé à l'engagement c'est sûr, au photojournalisme. Auparavant, mes voyages étaient très touristiques, je photographiais beaucoup, mais en tant que touriste. Le voyage au Tibet m'a apporté les bases du photojournalisme.
L'engagement féministe est venu également au Tibet, mais plus tard, en 1998. Toutes mes premières années au Tibet ont été consacrées à l'occupation chinoise, aux violations des droits humains, à la destruction de l'environnement, à la sinisation de la culture, et aux réfugiés et prisonniers politiques.
Il n'y a pas alors de place pour les femmes. Je faisais comme mes confrères, je voyais les femmes en tant que victimes et les hommes résistants.
En 1998, j'ai rencontré des religieuses tibétaines, qui étaient emprisonnées ou qui venaient d'en sortir. Je me suis dis : quelles femmes formidables ! Pourquoi les médias ne parlent pas de ces femmes là ? Je me suis rendu compte que les femmes agissantes étaient invisibles dans l'information.
Comment est né le projet « Femmes en Résistance » ?
Des rencontres. Je suis le journaliste moyen, quand je vais sur des terrains compliqués, au Darfour, en Libye, les femmes et les hommes journalistes photographient la même chose sur le terrain. La grosse différence c'est que les femmes journalistes vont comprendre plus vite, et vont accepter la remise en cause des stéréotypes.
En Libye, quand deux hommes se tirent dessus, quand une bombe tombe sur une maison et que dix femmes sont tuées, on y va tous et toutes, sans chercher à regarder les femmes qui se battent.
Concernant l'Afrique, comment vous y êtes-vous intéressé ?
Je suis allé au Darfour, au Congo, au Maghreb, en Angola, au Rwanda, au Burindi, en Tanzanie.
Je me sens bien en Afrique Noire. C'est le regard des autres qui me rappelle que je suis blanc. J'ai vraiment une affinité particulière avec ce continent, et avec les femmes de ce contient, car je travaille sur cette question depuis seize ans maintenant. En ce moment Femmes en résistance circule en Afrique et c'est un grand bonheur pour moi.
Rwanda © Pierre-Yves Ginet
Rwanda © Pierre-Yves Ginet
Pouvez-vous nous présenter « Femmes en résistance » ?
Femmes en résistance est une matière vivante composé de 25 reportages dans 25 pays. Mon objectif est centré sur des femmes en mouvement, en lutte, qu'on présente trop souvent comme victimes. Je veux montrer ce qu'elles subissent, mais aussi ce qu'elles ont réussi à faire et à quel point elles changent le cours des choses dans leur pays.
Pour l'expo itinérante en Afrique, on a trouvé un système de bâches, 25 bâches avec 25 pays différents, qui se promènent d'un pays à un autre, on a déjà trois étapes et il en reste quinze.
Comment avez-vous choisi vos sujets ? Par exemple pour les femmes du Kivu, comment les avez-vous rencontré ?
J'essaie de travailler sur un projet international, il y a une volonté universaliste dans ce que je fais, c'est très présomptueux mais je l'assume. Quand je dis universaliste, je ne veux pas aller partout, mais c'est plutôt l'idée d'équilibre entre les continents, les thématiques, les religions et les couleurs de peau.
J'avance selon les sujets. L'actualité fait qu'il y a à un moment des sujets évidents, que je n'ai pas pu faire par manque d'argent ou de temps. Par exemple, je me rappelle de la première manifestation des Femen en Ukraine où elles n'étaient pas nues, je trouvais que quelque chose se dégageait. Il y a beaucoup de sujets que j'ai raté.
Concernant le Kivu (ndlr : région frontalière entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda), c'est une évidence, une obligation de parler du Congo quand on parle des violences faites aux femmes.
Je les ai rencontré là bas. J'étais parti pour la Marche Mondiale des Femmes, et je suis resté sur place deux mois pour couvrir cette formidable « Synergie des femmes pour les victimes de violences sexuelles ».
Marche Mondiale des Femmes © Pierre-Yves Ginet
Marche Mondiale des Femmes © Pierre-Yves Ginet
A-t-il été difficile voir dangereux d'effectuer ces reportages ? Car vous expliquez dans votre reportage que Justine Masika Bihamba, fondatrice de la Synergie des femmes pour les victimes de violences sexuelles, a été plusieurs fois menacée par des militaires des FARDC (Forces armées de la RDC), qui se sont attaqués aussi à ses enfants.
Avez-vous été menacé ?
Justine est une très grande défenseuse des droits humains sur terre. C'est un personnage magistral.
C'est assez bizarre de travailler là bas, car lorsque l'on travaille dans un pays en guerre, le danger est là, on le sait. On a l'habitude de naviguer dedans. Mais au Congo, vous n'êtes pas confronté directement au danger, sauf si vous allez au cœur du conflit pour photographier les rebelles et les forces armées de RDC qui se tirent dessus, mais ce n'est pas mon cas.
Les rebelles peuvent vous tomber dessus à tout moment, Justine avait très peur, plus que moi, je ne me rendais pas compte. Je n'ai pas ressenti de peur, ce n'est pas par inconscience mais c'est qu'on ne sent rien... J'ai eu de la chance.
Les affrontements ont repris la semaine dernière entre la RDC et le Rwanda... Quel est votre point de vue sur la situation ?
C'est d'une complexité incroyable. A l'origine du conflit, il y a le génocide rwandais et l'exode de 1994. Le conflit au Congo a démarré deux ans plus tard. Mais ce n'est pas la seule raison. Il y a un pays qui est en déliquescence, le Congo, où la corruption est généralisée, la justice anéantie... Le Rwanda est au contraire tenu par une main de fer, et préfère exporter le problème en dehors de ses frontières.
Les puissances internationales, nos pays, toutes les entreprises multinationales d'extraction des minerais de l'est de la RDC, jouent sur le conflit . Le coltan, qu'on trouve dans nos portables, y est exporté tranquillement. Il faut prendre en compte toutes ces dimensions, en plus d'une géopolitique à géométrie variable : les ennemis d'un jour se retrouvent alliés le lendemain, il n'y a pas deux blocs.
La situation est extrêmement complexe. Ce qui est sûr, c'est une démission totale de la politique internationale. C'est pathétique, il n'y a que des victimes congolaises dans cette histoire. Les millions de dollars dépensés pour aider les pseudos ONG internationales de développement, je ne parle pas de Médecins sans frontières ou de la Croix Rouge, s'évanouissent chaque année. Il faudrait mieux donner 10% de cette somme à des organisations http://synergiedesfemmes.org/", on verrait beaucoup plus de changements.
Donc pour résumer : une faillite internationale, une incompétence pour orienter l'argent sur place, et un écoeurement total.
République Démocratique du Congo © Pierre-Yves Ginet
République Démocratique du Congo © Pierre-Yves Ginet
Quel est le rôle de la photo de reportage selon vous ?
Informer, c'est tout. J’insiste toujours, je ne suis pas photographe mais photojournaliste, ce n'est pas le même métier. Je reproche aujourd'hui, cette chasse à la belle photo. Certaines personnes ont un talent incroyable, et d'autres, comme moi, ont un talent moyen et le mettent au profit de l'esthétique de l'image : nous ne sommes pas photographes mais photojournalistes. On prendra en compte une mauvaise photo, qui raconte quelque chose.
Notre rôle est d'informer, d'avoir des choses à dire.
Quelle est pour vous la figure de la photographie africaine ?
Je vais être à l'inverse de ce que je viens de dire, mais je dirais Malick Sidibé, cela n'a rien à voir avec ce que je fais.
Mais qu'est ce que la photographie africaine ? Est-ce qu'on parlerait d'une photographie européenne ? Il y a des photographes très différents dans des domaines variés.
Pour le photojournalisme, j'ai davantage d'images en tête que des noms. Je repense par exemple à un photographe algérien pendant les années noires, correspondant à l'AFP.
J'aime beaucoup le travail de Zanele Muholi, qui a photographié la condition des femmes lesbiennes en Afrique, et celui d'une photographe sud africaine blanche qui a beaucoup photographié l'apartheid. Je pense aussi aux photographes africains, comme l'équipe du Bang-Bang Club dans les années 90 en Afrique du Sud.
Que pensez-vous de la nouvelle génération de photographes ? Par exemple Omar Victor Diop, Kiripi Katembo ?
Je ne les connais pas spécialement, je ne suis pas un fou de photographes mais un fou de photographies et d'informations photographiques.
Soudan © Pierre-Yves Ginet
Soudan © Pierre-Yves Ginet
Quelles ont été les réactions par rapport à votre exposition « Femmes en résistance » ?
Cette exposition circule dans sa version complète en France depuis 2007. Pour l'Afrique, c'est une version résumée. Je ne savais pas comment elle allait être reçue sur place, j'avais un peu peur.
Finalement, elle a été très bien reçue, voir mieux qu'en France.
Pour la première expo à Dar es Salam en Tanzanie, on m'avait dit : « tu ne parles pas d'homosexualité, d'avortement... ». J'ai accompagné des groupes de jeunes et de femmes qui en dix minutes ont tout fait voler en éclats. Nous avons beaucoup discuté, par exemple de la situation en Espagne quant à l'avortement. Les réactions étaient plus percutantes sur place, parce qu'il y a moins d'enfants gâtés. Ce n'est pas péjoratif pour les personnes en Europe, mais ces thématiques qui parlent de différentes formes de violence touchaient chaque enfant ou adolescent dans la pièce.
Cette exposition m'a montré l'universalité de ces thèmes, cela a bien fonctionné, il y a déjà 8 pays qui ont commandé l'exposition.
Pour finir, quels sont vos projets actuels et à venir ?
Cette exposition en Afrique me touche, j'essaie d'y aller 3/4 fois par an et de passer du temps avec les gens. C'est déjà un joli projet.
D'autre part, j'espère continuer à exposer en France, à faire un ou deux reportages par an si j'obtiens assez de financements.
Et puis, l'autre projet qui me tient vraiment à cœur, c'est notre magazine, que nous avons lancé il y a un an, Femmes en résistance. C'est un magazine d'information sur les femmes qui n'est pas un féminin.
Nous voyons nos idées avancer, nous espérons que cela va continuer .
Dates de l'exposition itinérante « Femmes en Résistance » :
Septembre 2014 : Kampala (Ouganda)
Octobre 2014 : Kigali (Rwanda)
15 novembre-15 décembre 2014 : Nairobi (Kenya)
Janvier 2015 : Asmara (Erythrée)
Fin février / Mars 2015 : Addis-Abeba (Ethiopie)
Site de http://synergiedesfemmes.org/"
« Femmes en résistance » a aussi fait l'objet d'une publication du même nom aux éditions Verlhac, parue en 2009 et préfacée par Taslima Nasreen, écrivaine bangladaise, symbole international de la résistance aux intégrismes religieux.
Propos recueillis par Juliette Chartier