© A. Tempé
Né à Paris, il travaille entre la France et l'Afrique. Après des études en sciences politiques à Montréal, il devient journaliste et photographe. Son travail a été exposé à de nombreuses reprises en Europe, au Canada et en Afrique.
Entretien avec le photographe.
Tout d'abord pouvez-vous vous présenter ? Qu'est ce qui vous a mené à la photographie ?
J'ai un parcours un peu atypique. J'ai commencé la photographie quand j'étais au lycée. J'étais à l'internat, et j'allais tous les mercredi après-midi au club photo. À l'époque, j'étais à Melun, puis j'ai fait des études de sciences politiques au Québec. Par la suite, je suis devenu journaliste, et j'ai commencé à écrire des articles. Un jour, on m'a envoyé faire un reportage écrit, mais je n'avais pas de photographe. Je me suis souvenu de ce que j'avais fait quand j'étais jeune.
C'est comme cela que j'ai commencé à faire de la photographie, en pratiquant sur le terrain. Puis, comme j'ai beaucoup d'amis photographes, j'ai demandé des conseils par rapport au cadrage, à la lumière... J'ai vendu ma première photo en 1998. Voilà pour mon parcours, un peu chaotique (rires).
Vous sentez-vous plus photographe que journaliste, ou l'inverse ?
Je continue aujourd'hui à écrire pour certains magazines, mais je fais plus de photo. Je ne sais pas trop comment me situer, cela dépend du moment. Je consacre la photographie à mes projets personnels, et, de temps en temps, je rédige des articles pour des magazines.
Donc, photographe pour moi et journaliste pour les autres, en quelque sorte.
Est-ce que vous trouvez des passerelles entre votre formation de diplomate et votre métier de photographe ?
La rigueur. Pendant mes études de sciences politiques, j'ai beaucoup écrit, donc le lien se situerait entre l'écrit et la photographie. Avant de faire un reportage, j'écris, avant de faire un portrait, je parle avec le sujet. Le lien est la structuration du sujet avant de commencer à travailler.
Avez-vous été influencé par certains photographes ?
J'achète beaucoup de livres de photographes, comme Gordon Parks, Françoise Huguier, Diane Arbus... Je m'améliore en regardant ce que font les autres. Je n'essaie pas de copier, mais de trouver mon style, en apprenant à travers ce que les autres ont fait. Car nous n'avons rien inventé.
Je me rends aussi souvent à des expositions, dernièrement Martin Parr à la MEP, David Bailey à Londres...
Y a-t-il pour vous une figure de la photographie camerounaise ? Et Africaine ?
Tout d'abord, pour le Cameroun, l'un de mes ancêtres, Georges Goethe d'origine sierra léonaise. C'est lui qui a amené la photographie au Cameroun dans les années 1930-40. (insérer lien vers africultures)
Concernant les photographes africains, j'apprécie le travail de Ricardo Rangel, de Seydou Keita et d'Alf Kumalo.
Est-ce que Malick Sidibé est important pour vous ?
Oui, c'est une époque. On connaît tous ces gens grâce à Françoise Huguier, ce sont des photographes qui, au départ, n'étaient pas voués à faire de la photographie artistique ou commerciale. Ils travaillaient pour manger. J'ai rencontré et photographié Malick Sidibé lorsque je suis allé au Mali pour les Rencontres Photo.
Et parmi les photographes contemporains ?
Il y a mon ami François-Xavier Gbré, Nyaba Ouédraogo et Angèle Etoundi-Essamba. Et d'autres photographes femmes comme Fatoumata Diiabaté, Elise Fitte-Duval ou Hien Macline.
Concernant votre travail personnel, j'ai lu que vous aviez choisi de travailler seulement à l'argentique ?
J'ai commencé par l'argentique, je tirais mes photos. Quand j'ai vraiment commencé à faire de la photographie, il n'y avait pas d'appareil numérique. Depuis deux ans, je me suis mis au numérique mais je pense que je vais revenir à l'argentique, le numérique ne rend pas ce que je recherche.
Sur la Route du Jazz - Samuel Nja Kwa - Éditions Duta
Comment est né le projet Route du Jazz ?
Il est né en 1998. Tout a commencé quand j'ai rencontré le musicien de jazz Randy Weston, qui avait sorti un album, Khepera. Arrière petit fils d'esclave, il considère que sa musique est née de l'esclavage, et a donc une origine africaine.
J'ai aussi rencontré M. Doudou Diène, qui travaille à l'Unesco. Il a initié La route des esclaves (ndlr : programme d'études scientifiques sur l'esclavage lancé par l'Unesco en 1994).
On a commencé à discuter de la musique née de l'esclavage : le jazz, le reggae, les musiques caribéennes.
Comme je travaillais pour des magazines, j'avais toujours une question pour le musicien à la fin de la rencontre concernant l’Afrique et la musique.
Au fil du temps, le projet s'est construit, mais je ne pensais pas en faire un livre. Pour moi, c'était simplement un condensé de ce que je voulais apprendre. Je voulais aussi faire des portraits qui ressemblaient aux musiciens.
Combien de temps vous a pris ce projet ?
16 ans. Dans un premier temps, j'avais contacté une maison d'édition, puis finalement ils ont trouvé que cela coutait trop cher. Alors je me suis dit : pourquoi ne pas le faire moi même ?
Pendant deux ans, j'ai travaillé avec un maquettiste, lui aussi photographe. Ensuite, j'ai été voir un photograveur, Éric Guglielmi, créateur des éditions Gang. Il m'a aidé à scanner les images, les équilibrer. Puis, j'ai été voir un imprimeur en Italie et j'ai créé ma propre maison d'édition associative. J'ai appelé un ami éditeur pour lui demander de me référencer dans toutes les librairies et les fnac. Tout s'est fait de manière « artisanale ».
Ray Charles © Samuel Nja Kwa
Je n'ai pas vraiment choisi, j'ai procédé par élimination. J'avais beaucoup de photos, mais je voulais trouver un équilibre entre les musiciens décédés et les jeunes, trouver une transition. Comme c'est moi qui ai imprimé le livre j'avais une contrainte : celle du nombre de pages. Tout cela a joué dans le choix des musiciens. On trouve aussi des entretiens dans le livre.
Le choix a été arbitraire : parfois ce sont des photographies que ne sont pas forcément belles, mais qui montrent un coup de cœur pour les musiciens.
Comment avez-vous choisi de photographier ? Sur scène, hors scène ?
Quand il s'agit d'entretiens, on les voit parfois en coulisse. Mais il m'apparaissent plus beaux sur scène. J'en ai rencontré certains chez eux.
Est-ce que les images sont composées ou prises sur le vif ?
Les deux. Sur scène, c'est pris sur le vif, mais je passe beaucoup de temps à observer l'artiste avant de prendre la photographie. Souvent, nous n'avons le droit de photographier que le temps de trois chansons, mais si c'est en backstage, nous avons trente minutes.
Sur scène, je passe toute une chanson à regarder le musicien, ses habitudes, puis j'essaie de saisir le moment que je trouve le plus représentatif, qui l'identifie.
Face à lui, on discute, je lui dis d'être lui même, il n'y a pas vraiment de poses. J'aime aussi représenter les mains, car un musicien s'exprime beaucoup avec les mains, qu'il soit saxophoniste, batteur, ou même chanteur... Ce sont souvent des portraits américains, et parfois des portraits serrés, pour mieux faire ressortir le caractère de la personne.
Cassandra Wilson © Samuel Nja Kwa
Archie Sheep © Samuel Nja Kwa
Le choix du noir et blanc était-il un choix esthétique ?
Il y a une grande tradition dans le jazz de portraits en noir et blanc. Mais aujourd'hui, on me demande de plus en plus de photographies en couleurs. Je m'adapte au temps.
Comment est né le projet de votre précédent livre, Minorité Visible, Cinéma Invisible ?
J'ai beaucoup d'amis comédiens qui sont d'origine africaine, et qui ont du mal à travailler. Je cherchais un moyen d'exprimer ce qu'ils ressentaient, et j'ai pensé à une pancarte avec un mot adressé au public.
J'ai fait beaucoup de portraits et, au bout de deux ans, j'ai trouvé une maison d'édition. Le projet a été très rapide.
Quels sont vos projets actuels ou à venir ?
J'ai deux projets qui me tiennent à cœur et que j'ai envie de réaliser. Un est en Afrique du sud sur les femmes de mineurs, et un autre concerne les femmes autochtones au Québec. Je vais m'essayer à la photographie documentaire.
Ahmad Jamal © Samuel Nja Kwa
Elvin Jones © Samuel Nja Kwa
Pour retrouver le travail de Samuel Nja Kwa : http://www.routedujazz.com/"
Propos recueillis par Juliette Chartier