Martin Kollar est né à Zilina (Tchécoslovaquie) en 1971. Il grandit derrière le Rideau de Fer ce qui marquera indéniablement son enfance. Après avoir étudié à l'Ecole supérieure des arts de la scène de Bratislava, il commence à travailler en tant que photographe et cinéaste freelance. Il a déjà publié trois livres photographiques Nothing Special (Actes sud 2008), Cahier (Diaphane 2011) et Field Trip (Mack 2013). Entre autre lauréat du prix 3PPP et du prix Backlight Photography en Finlande, il a récemment été récompensé par le prix Oscar Barnack pour son dernier projet réalisé en Israël.
Qu'est-ce qui vous a amené à la photographie ?
J'étais dans une école de cinéma, et quand je suis arrivé au bout de ces études, j'ai commencé à prendre des photos. Ça a été un long processus, mais j'ai toujours su au fond de moi que j'en viendrai à faire ça. Être photographe était en quelque sorte une évidence, je n'avais pas vraiment de doute à ce sujet. C'est ce dont je me rappelle, ça me paraissait être dans ma nature, presque un besoin vital.
Vous rappelez-vous de vos premières photos ? Vos premiers reportages ?
Pas vraiment. Ce n'était rien de particulier du type « Oh, je tiens quelque chose ! ». Il y avait un appareil à la maison, et j'ai commencé avec mes amis et ma famille. Tout cela grandissait en moi et j'aimais apprendre des gens. J'ai toujours voulu trouver un moyen de faire le portrait de quelqu'un.
© Martin Kollar - Field Trip
Pouvez-vous nous expliquer la série que vous avez présenté pour le prix Oscar Barnack ?
Le projet intitulé This Place était une initiative du photographe Frederic Brenner. L'idée était d'inviter 10 à 15 personnes en Israël pour se documenter et tenter de refléter ce qu'il se passe là-bas. C'était le point de départ. Un jour, j'ai reçu un appel de Frederic me disant que je serais un bon candidat pour participer au projet, et soudainement, ça s'est fait. C'était agréable parce que nous avions de très bonnes conditions de travail, un salaire plus que convenable. J'ai passé presque un an en Israël, uniquement grâce à cette offre.
© Martin Kollar - Field Trip
Puis, en étant sur place, j'ai évidemment créé des liens avec les locaux. On a l'impression de connaître le conflit entre l'Israël et la Palestine, d'être au courant de tout. Donc je n'étais pas vraiment sûr d'avoir envie d'y contribuer. C'est quelque chose dans lequel je suis déjà impliqué depuis mon enfance. Mon idée était de séparer les deux pays, pour uniquement travailler sur l'un d'entre eux.
© Martin Kollar - Field Trip
J'ai également décidé de me concentrer sur quelque chose qui ne touchait pas autant au passé parce que nous le connaissons bien. En quelque sorte, nous recevons et percevons déjà énormément ces informations. Mais j'ai vraiment essayé de trouver toutes les situations qui pouvaient représenter comment les israéliens voient le futur. Je suis donc allé photographier des centres de recherche, tout ce qui avait attrait à la technologie, étudiant aussi les militaires pour voir à quoi ils se préparent. C'était d'une certaine manière mon consentement à ces événements, ma manière à moi de les appréhender.
© Martin Kollar - Field Trip
« A certains endroits, j'avais l'impression d'être sur le tournage d'un film et j'ai essayé de retranscrire cela avec les images. On ne sait pas vraiment quand la réalité et la fiction commencent et s'arrêtent ».
Ce qui était aussi très intéressant, c'était cette connexion entre le cinéma, disons, et un faux-semblant de réalité. Dans le livre, il y a beaucoup de photos d'architecture. Je me suis aussi rendu dans un camp d'entraînement des forces spéciales de défense israélienne. On dirait une fausse ville. Quand on y pense, tout est en quelque sorte nouveau parce que tout a été construit depuis 1948 (au début du conflit). Les reflets des bâtiments datant des années 50-60 ont des allures de constructions de mauvaise qualité, très populaires. Parfois, il y avait un vrai décalage avec ce que l'on peut voir dans les rues, comme sur un plateau de cinéma. J'étais curieux de trouver le moyen de capturer cela. La dernière chose qui me préoccupait, c'était la tension que l'on peut ressentir partout, avec les gens et même avec les photos d'animaux. Le premier contact était souvent très tendu, et j'ai aussi du gérer cela. Je devine assez facilement quelle en est la raison mais je n'en suis pas vraiment sûr. Donc j'ai essayé de comprendre à travers mon appareil. J'étais aussi curieux de voir dans quelle mesure j'arriverais à saisir cela.
© Martin Kollar - Field Trip
Pourquoi faire le choix de la couleur plutôt que du noir et blanc ?
« Dire que je vois le monde en couleurs serait une réponse un peu simpliste » (rires). J'ai commencé à prendre des photos en noir et blanc dans les années 90, et à un moment donné, cela m'a vraiment ennuyé et je m'en suis lassé. Mais je pense qu'il y a une explication plus profonde pour expliquer pourquoi j'ai décidé de passer à la couleur. C'est surtout lié à ma formation et à mes travaux de cinéaste. La grande majorité des films sur lesquels j'ai participé étaient en couleurs. J'ai acquis une vraie sensibilité vis-à-vis de la couleur de cette manière. Avec les couleurs, c'est bien plus complexe à un certain point, beaucoup plus compliqué que de tourner en noir et blanc.
© Martin Kollar - Field Trip
Je vivais à Bratislava et il y avait un genre de tradition dans les pays de l'Est de l'Europe à recourir au noir et blanc. C'était considéré comme de la vraie photographie, la couleur était plutôt utilisée pour les publicités. C'était aussi amusant de voir à quel point c'était presque inimaginable il y a encore 30 ans de faire ça. Même mes amis me disaient que « ce n'est pas correct, c'est supposé être en noir et blanc ».
Que pouvez-vous dire de la dimension politique dans votre travail ? Est-ce que la photographie est un moyen pour vous de désacraliser ces pouvoirs politiques ?
C'est très intéressant parce que je n'y ai jamais vraiment pensé. Mon intérêt premier n'était pas de travailler sur les problèmes politiques, mais c'est vrai que mon premier projet était vraiment relié à ça. La politique était une information de plus dans le rapport aux images, leur capacité de raconter des histoires. Et au-dessus de tout cela, il y avait les répercussions politiques. Je crois que c'est ce que j'aime avec les images, cette possibilité de les rendre le plus complexe possible.
© Martin Kollar - Field Trip
© Martin Kollar - Field Trip
Qu'allez vous faire avec le prix Oscar Barnack et la récompense financière en particulier ?
Je suis chanceux, parce que je vis à Bratislava en ce moment et que j'ai un endroit où loger et tout ce dont j'ai besoin. Donc j'ai le luxe de pouvoir la dépenser de la manière dont je le souhaite. Bien sûr, j'aimerais la mettre à profit pour les photos.
Vous n'avez pas l'obligation de réaliser un projet en particulier ?
Non, je suis libre d'en faire ce dont j'ai envie, et c'est pourquoi c'est une vraie récompense, un réel soutien. La chance de remporter ce genre de prix est infime donc c'est aussi agréablement surprenant. Je ne dois pas réaliser quelque chose en particulier mais je ne vais bien évidemment pas rester chez moi à ne rien faire. Je vais voyager. J'ai déjà des idées que je voudrais mettre en oeuvre. C'est un bon début.
Propos recueillis par Capucine Michelet