© Claire Mayer
« J'avais 9 ans, j'avais un petit appareil jouet, et très vite, j'avais du voir le Ballon rouge d'Albert Lamorisse, et Crin Blanc. L'image m'a intéressé très tôt sans le savoir vraiment. J'ai fait plein de photos enfant. Puis, à 13 ans, en 1958, mon père m'a emmené au Sahara avec un Brownie Flash. J'ai photographié en noir et blanc, et maintenant, quand on les tire, elles sont comme celles que je fais maintenant. Il y a un profil noir sur un fond blanc, de véritables compositions. Comment, à 13 ans, on compose, c'est finalement qu'on a déjà eu la chance de voir des choses. »
Bernard Plossu est né le 26 février 1945 à Đà Lạt, au sud du Viêtnam. Sa photographie est celle de ses pérégrinations à travers le monde. Souvent qualifiée de « poétique », elle s'inscrit dans une tradition photographique en noir et blanc. Fine, sobre, aérée, elle attire immédiatement l'oeil de son public, conquis.
Entretien avec le grand Bernard Plossu.
Comment êtes-vous arrivé à la photographie ?
Mon parrain m'avait offert des livres d'artistes, dont Mondrian. Puis à 20 ans, je ne savais pas quoi faire car j'avais raté deux fois le bac, j'avais de la famille au Mexique, et une retinette de Kodak. J'étais alors plus cultivé, j'ai eu la chance d'habiter Paris donc j'allais à la cinémathèque, j'ai vu tous les classiques du cinéma. J'ai appris à voir, c'est comme ça que je suis venu à la photo. On pourrait appeler ça des « hasards heureux ».
Qu'est-ce que la photographie représente pour vous ?
C'est un langage, c'est un engagement. Même quand on a l'air de faire de la poésie, la poésie est toujours quelque part un engagement, même quand elle est belle. Ce qui m'intéresse, c'est de voir ce que font les jeunes. Ils sont très impliqués avec le changement du monde : les guerres, la révolution, la mort, beaucoup de choses dans les photos de jeunes sont solides, mûres, un peu comme une nouvelle génération, les « concern photographers » (photographes engagés ndlr). Ce n'est pas ce que je fais, mais ça ne veut pas dire que je n'apprécie pas. La plus belle exposition que j'ai vu en 10 ans, est celle d'un photographe de guerre, Henri Huet. Une exposition à la MEP de ses photos d'Indochine. J'arrivais pas à quitter la pièce tellement c'était fort. Ca ne veut pas dire que j'ai l'âme d'un photographe de guerre, mais plutôt qu'il ne faut pas croire que j'aime que les choses poétiques et étirées. Au contraire, je suis ouvert à beaucoup de genres photographiques.
Dans ce que font les jeunes, je sens une implication dans le monde réel, qui m'a touché dans l'exposition des 5 ans de Signatures (jusqu'au 14 juin 2014 à l'Hôtel de Sauroy Paris 3e ndlr). A PhotoMed (Festival de la photographie méditerranéenne jusqu'au 15 juin à Toulon et Sanary-sur-Mer ndlr), l'exposition qui m'a marqué, est celle des Marins. Il y a tout, la forme, le fond. La photographie est la rencontre de la forme et du fond. Il y a des photos qui sont très belles mais qui n'ont pas de fond, elles ne veulent rien dire.
© Bernard Plossu
Pouvez-vous nous parler de l'exposition que vous présentez dans le cadre du Festival PhotoMed ?
C'est typique des coups de cœur que j'ai, et qui prennent 40 ans. Les îles italiennes hors saison, je les ai commencé en 1987, et j'y retourne dans un mois. Donc je laisse venir, j'additionne, et après les années, petit à petit ça se construit. C'est ce que j'ai fait avec Rome aussi. J'ai commencé en 1978, et je n'en suis toujours pas sorti. J'aime bien prendre mon temps. Mais à un moment, à un certain âge, on se dit qu'on a peut-être plus tellement le temps de prendre son temps (rires).
Que pensez-vous de cette exposition ? Est-ce ce que vous aviez imaginé ?
Laura Serani est une très bonne commissaire, j'ai beaucoup délégué. C'est une série qui est énorme, il y a 300-400 îles. Là, on en montre 25. Il y a deux choses qui marchent, la petite pièce blanche, la configuration du lieux, et le fait qu'elle ait pris un fil de lecture très simple, ça commence par le matin, et ça se termine par le soir. Ce n'est pas une lecture abstraite, elle a fait une expo très sobre, et avec le genre de photos que je fais au 50 mm en noir et blanc, on ne peut faire que du sobre, ce que je fais est l'anti tape à l'oeil. Si je m'auto-définissait, j'aime bien le terme « classique-moderne ».
L'année dernière j'ai vu la grande expo de Braque à Paris, tous les élèves des écoles de photo devraient aller voir cette exposition. Un peu de Braque, un peu de Corot … L'on sait que l'art est quelque chose de raffiné et de subtil, et il y a des choses que je n'aime pas dans la photographie (et c'est rare), mais en général le tape à l'oeil et le vulgaire. Donc le choix du 50 mm est très géré par l'influence de Raoul Coutard, qui était photographe de la Nouvelle Vague, qui photographiait caméra à l'épaule, c'est ce qui m'a marqué, car, pour moi, il a raison.
© Bernard Plossu
Dans toute votre carrière de photographe, qu'est-ce qui vous a le plus marqué ?
Chaque fois que je sors un appareil.
J'aime beaucoup la photo des autres, je ne suis pas fixé sur les miennes. J'écris beaucoup de préfaces pour des jeunes, je crois que la photo est vraiment un langage très intéressant. La photo sur l'écran ne me suffit pas, j'aime mieux le papier.
Quel est votre rêve de photographe ?
C'est toujours le même, aller me balader en montagne et faire des photographies des rochers. J'y vais dès que je peux, dans les coins un peu sauvages,je n'ai pas peur du froid. Je ne suis pas un photographe sportif, mais j'aime bien la nature.
Un autre de mes rêves serait d'arriver à publier mon livre sur Rome. J'adore Rome.
Propos recueillis par Claire Mayer