© Sébatien Duijndam
Sébastien Duijndam navigue entre plusieurs univers, le documentaire et l'abstrait, la vidéo et la photo. Loin d'en être encombré, il tire parti de ce mélange des genres. Infatigable voyageur, que ce soit pour des missions avec Médecins du Monde, ou pour des séries plus personnelles, le jeune artiste bouillonne d'idées et de projets. Sur http://www.sebastienduijndam.com/Choix.html", l’éclectisme est de mise, entre des séries purement artistique comme « Les Passants », « Nuit » ou « Reflets » et d'autres dans un style plus documentaire comme « SDF sous la tente», « Migrants » ou « Au pied des montagnes ».
Actuphoto l'a rencontré à son retour de Centrafrique, où il s'est rendu afin de témoigner du conflit dans le cadre d'une mission d'urgence pour Médecins du Monde. Voici son portrait à travers un entretien.
Famille peul dans camp de réfugiés © Sébatien Duijndam
Comment avez-vous commencé la photographie et le reportage ?
J'ai commencé par la vidéo, grâce à une formation en audiovisuel, en section documentaire. En parallèle, j'ai commencé à prendre des photos avec un reflex. J'ai débuté une série de portraits dans les transports, mais je ne voulais pas en faire mon travail, je voulais que cela reste un plaisir.
Lors d'un tournage d'un projet documentaire, je me suis fait volé tout mon matériel vidéo. J'ai alors décidé de me concentrer sur la photographie, pour une première exposition, dans un appartement d'ami. Le journal local, Nice Matin, est venu. Ça m'a lancé, je suis allé voir le MK2 Bibliothèque à Paris, et ils ont accepté de m’exposer, malgré le fait que je sois « inconnu » dans le milieu.
Je suis ensuite allé frapper à la porte de Médecins du Monde (MDM), qui m'a proposé une mission sur les SDF à Paris.
Ensuite, pour muscler mon univers et renouer avec l'artistique, je suis parti en tour du monde pendant 7 mois. Je suivais les gens de dos en train de marcher, ce qui créait un lien avec l'idée et le sens du voyage. Après, j'ai commencé une série sur les paysages nocturnes, dans une ambiance très épurée, contemplative.
Vous revenez de Centrafrique. Comment s'est organisé votre départ ?
A partir de décembre 2013, j'étais en voyage en Asie. Lors du passage du typhon aux Philippines, MDM m'a contacté pour couvrir cette situation d'urgence, en alliant vidéo et photographie.
Ensuite, je suis parti à Shanghai et en Thaïlande, et MDM m'a de nouveau appelé pour une mission de développement au Laos sur la sexualité, la prévention des maladies et les conditions d'accouchement.
De retour en France, je suis reparti assez vite, en Centrafrique cette fois. Depuis longtemps, l'idée de couvrir un conflit me tenait à cœur. Je m'y suis rendu avec l'attachée de presse de MDM et un journaliste du quotidien Metro.
Terrain de football dans la ville de Bangui © Sébatien Duijndam
Qu'est ce qui vous a le plus marqué ?
Ce sont les enfants, dans les hôpitaux pédiatriques, en train de mourir de faim. Ils représentent l’innocence, dans un conflit que l'on a du mal à saisir dans toute sa complexité. A côté des belligérants, de l'armée, nous saisissons les traces, les stigmates des gens, et la terreur des civils. C'est certainement cela le plus marquant. Le dernier jour, nous nous sommes rendus dans cet hôpital tenu par Action Contre la Faim. Nous avons pris des photographies, bien que déontologiquement, ce sont les plus compliquées à prendre.
Enfant souffrant de malnutrition extrême suite au blocage des frontières © Sébatien Duijndam
Les enfants n'avaient plus un regard d'enfant, mais un regard qui va au-delà de la douleur, très particulier, presque serein. Il faut trouver la bonne distance lorsque l'on photographie dans ces conditions. Cela questionne beaucoup, et, au moment de l'éditing, le décryptage est très intense.
Centre médical dans camp de réfugié © Sébatien Duijndam
Prendre des morts, aussi, cela bouleverse. A côté du bureau de Médecins du Monde, il y a eu une attaque de quatre personnes. Là, nous avons vu des morts, des images de guerres.
Attaque de 4 hommes Selekas dans un taxi © Sébatien Duijndam
Quelle était le but de cette mission, que deviez-vous photographier?
Lors d'une mission d'urgence, il s’agit de reporter ce qu'il se passe concrètement, à la différence des missions de développement qui ont des axes plus précis. Nous sommes resté trois jours auprès de Médecin du Monde, à Bangui. Le reste de la semaine, un fixeur (contact local, ndlr) nous emmenait dans d'autres endroits plus isolés.
Ce genre de reportage est assez compliqué à relayer. Dans la presse, ce n'est plus considéré comme de l'actu « à chaud », et donc ce n'est plus au cœur des priorités.
Qu’impliquait le fait que la France soit engagée dans le conflit ?
Nous véhiculons l'image du Français, plus ou moins assimilé à l'armée et à la mission « Sangaris ». L'armée, c'est la première autorité, c'est une image forte. Et puis, parfois, les civils en ont simplement marre d'être pris en photo. Dans un camps de réfugiés où nous sommes allés, près de l'aéroport, les habitants nous disaient : « on a marre des photos, on veut manger ».
Famille vivant dans un avion dans un camp de réfugiés © Sébatien Duijndam
Que pensez-vous du traitement du conflit en Centrafrique dans la presse française ?
Il s'agit d'un traitement factuel des différents évènements. Je dirais que ce qui me choque, c'est la simplification du conflit, souvent résumé en une division entre musulmans et chrétiens. Un imam et un aumônier, que nous avons interviewé, nous disaient que ce n'était pas un conflit religieux.
En définitive, l'information est arrivée à nous à partir du massacre des musulmans. Le début, lorsque les Séléka (à majorité musulmane) venus du Nord ont attaqué les anti-balaka, très peu de médias en ont parlé.
Comment définiriez-vous la situation actuelle ?
Le conflit, assez lourd, a laissé la place aujourd'hui à des violences isolées, urbaines. Cette situation n'est pas évidente à résorber. Bien sûr, ça va mieux, la situation est celle d'un maintien de la paix.
Avec les élections qui vont s'organiser, la question d'un nouveau pouvoir va se poser, tout comme sa légitimité. Beaucoup de musulmans sont partis, parfois avec l'aide de l'armée tchadienne.
Le vivre ensemble avait bien fonctionné, mais le problème vient de l'exacerbation après des combats de guerre civile ayant transformé des voisins, amis, en ennemis. Cela laisse forcément beaucoup de traces dans la société.
Homme attaqué à la machette © Sébatien Duijndam
Y a t-il d'autres conflits que vous souhaiteriez couvrir ?
La problématique syrienne m'intéresse, mais il me semble que c'est le pire conflit qui a lieu depuis très longtemps, qui va vraiment loin dans l'horreur. Ce type de reportage pose la question de l'éthique et du témoignage. Au bout d'un moment, on se demande : mais je sers à quoi, pourquoi je suis là ?
Que pensez-vous des journalistes « embarqués », qui suivent l'armée ?
L'armée a l'habitude des journalistes. Cela se passe bien en général. Après c'est vrai que ça oriente sûrement un peu le regard, même si en Centrafrique l'armée a un parti pris de neutralité.
Entre vidéo et photo, quelle différence dans le traitement ?
Quand on filme, on pense montage ; mais aussi prise de vue, de son. J'ai parfois l'impression que mon cerveau se scinde en deux quand je filme. Avec une vidéo, il est possible de dire ce que l'on veut, de la transformer à l'infini. Je ne me considère pas comme journaliste, et l'usage de la voix-off me semblait difficile à mettre en place pour un montage d'une situation d'urgence.
Enfant souffrant de malnutrition extrême © Sébatien Duijndam
Quels sont vos projets pour la suite ?
Je travaille avec l'INREES (Institut de Recherche sur les Expériences Extraordinaires), sur un documentaire. Depuis deux ans et demi, nous suivons une personne qui ne sent pas bien dans son corps. Elle teste plusieurs techniques, comme l'hypnose, pour l'aider à se retrouver. J'avais déjà travaillé avec eux, pour un documentaire sur la compassion notamment.
Sinon, ma galeriste prépare une exposition collective à l'espace Commines où j’exposerai des images qui appartiennent plutôt au domaine de l'abstrait.
Il y a encore un autre projet qui me tient à cœur : « France ». Avec un ami, nous sommes allés à la rencontre des Français pendant un mois. Nous leur avons demandé comment ils définiraient le sentiment d'être français, en trouvant un mot pour chaque lettre de « France ». Les réponses sont toutes différentes, ce qui montre que les problématiques changent énormément en fonction des territoires, que la France est un pays « traversé ». Le débat sur l'identité nationale, sans la pollution politique, je trouve cela passionnant.
Propos recueillis par Claire Mayer et Adèle Binaisse