Philippe Brault s'intéresse de près au milieu carcéral. En 2011, il réalise avec le journaliste David Dufresne Prison Valley, un web-documentaire sur l’industrie de la prison aux Etats-Unis.
Pour le Monde, Philippe Brault s'est rendu à la prison d'Alençon-Condé-sur-Sarthe, dans l'Orne. Ouverte le 29 mai 2013, cet établissement pénitentiaire accueille les prisonniers les plus dangereux, exclus de tous les autres. Une prison à très haute sécurité, qui a pourtant connu depuis son ouverture dix-huit agressions physiques. Sous le feu des projecteurs, le pénitencier fait un peu trop parler de lui, et ses pratiques sont questionnées.
Philippe Brault a accompagné le journaliste Franck Johannès. Ils se sont rendus ensemble sur place pour un reportage inédit.
Entretien avec le photographe, qui raconte.
© Philippe Brault
Comment avez-vous réussi à pénétrer les murs de cette prison ?
Il s'agit d'une commande du Monde. Marie Lelièvre (éditrice photo au Monde ndlr) connaît bien mes sujets sur les prisons, et m'a contacté.
La centrale d’Alençon-Condé-sur-Sarthe est au cœur de l'actualité depuis longtemps, car elle est récente, mais a été au centre de nombreuses agressions depuis quelques mois.
C'est une prison qui est, pour moi, calquée sur le modèle américain. Depuis plusieurs années et notamment depuis les années Mesrine, les QHS (Quartiers de haute sécurité) sont interdits en France. Mais finalement, ils reviennent sans en dire le nom, comme dans cette nouvelle prison très sécurisée. Elle regroupe les prisonniers que personne ne veut, les plus dangereux.
Dans cette prison aussi sécurisée, les tentatives de prise d'otage se sont multipliées.
© Philippe Brault
© Philippe Brault
Comment s'est déroulé le reportage avec le Monde ?
Le Monde a voulu poser la question suivante : comment la prison la plus sécurisée est-elle au cœur de tant de faits divers ? Comment ces nombreuses agressions sont-elles possibles ?
Il y a actuellement 3 bâtiments, 68 détenus pour 189 surveillants. Je pense que la solitude, la privation de vie sociale même au sein d'une prison est une rupture terrible, qui au fil du temps peut rendre impossible toute idée de réinsertion. Les conditions sont strictes, le détenu mange tout seul, ne voit personne.
Le Monde a été le seul journal autorisé à se rendre sur place après tous ces faits divers. Des images avaient été faites à l'ouverture de la prison, lors de l'inauguration, mais pas depuis.
Je pense que la direction de la prison avait besoin de communiquer suite aux agressions, ils ont eu besoin d'ouvrir leurs portes, mais pas à n'importe qui, ils savent que le Monde est un journal sérieux.
C'est Franck Johannès, ancien journaliste de Libération, qui a réalisé le reportage. Non seulement il est humainement exceptionnel, mais il est également très bon journaliste, il prend le temps, écoute les gens, se déplace lorsqu'il le faut. Il a été étonné que l'on obtienne l'autorisation pour se rendre sur place.
Nous avons été reçus par le directeur de la prison, qui nous a tout explicité pendant deux heures. Cette entrevue a été très intéressante, car étant donné que je savais que j'aurai très peu de temps pour réaliser mes photographies, j'ai pu mettre en place ma trame photographique. Sa réponse aux questions du Monde quant aux récentes agressions, a été que tout établissement carcéral, quand il est neuf, a besoin de trouver sa vitesse de croisière, d'un certain temps avant que les choses se mettent en place. Ce qui l'ennuie, c'est que son établissement soit sous le feu des projecteurs à cause de son actualité.
Certains gardiens, qui ont été interviewés par Franck Johannès, ont quant à eux expliqué que le problème était que tous les prisonniers soient mélangés. Dans un même bâtiment, braqueurs, anciens évadés, psychopathe sont réunis, ce qui ne facilite pas la tâche des gardiens. Il serait préférable de faire des profils et d'organiser les détenus, au lieu de les mélanger.
© Philippe Brault
© Philippe Brault
Quelle a été votre première impression en entrant dans la prison ?
Lorsque je suis entré dans la cour, j'ai été très impressionné, j'ai eu l'impression d'être dans la cour d'une prison américaine. La cour de la prison d'Alençon-Condé-sur-Sarthe est bien loin de celles des vieilles prisons françaises comme les Beaumettes.
A Alençon-Condé-sur-Sarthe, tout est propre, glacial, froid. L'établissement se revendique modèle de sécurité, net, avec des normes de sécurité extraordinaires. Pourtant, ce n'est pas l'endroit le plus sécurisé, comme le prouve les derniers évènements. Finalement, tous les moyens pourront être mis en place, je pense que l'Homme parviendra toujours à les dépasser.
© Philippe Brault
© Philippe Brault
Comment se sont organisées les prises de vue ?
J'ai du ruser un peu, car il est difficile de travailler entouré de tout un groupe de personnes, gardiens, directeur de la prison, responsable de la communication du ministère de la justice ect... Par exemple, j'ai réussi, en insistant, à photographier une cellule, puis j'ai pris une photo par la fenêtre de celle-ci, afin d'avoir un autre champ.
J'aurai aimé être un peu plus seul aussi, pour pouvoir échanger avec les prisonniers, et réaliser plus d'images.
Je n'ai pas pu prendre les images que j'aurai aimé. Par exemple, j'aurai souhaiter passer plus de temps dans les ateliers, j'ai uniquement des photos vue du dessus, sans personne.
© Philippe Brault
© Philippe Brault
Qu'est-ce qui vous a le plus surpris ?
Le côté totalement déshumanisé, glacial, de cet établissement. Il n'y a certes pas de surpopulation – puisque tous les bâtiments ne sont pas encore investis – ce qui est le problème de beaucoup de prisons, mais pourtant, les problèmes persistent encore.
Finalement, il n'y a pas de système idéal, et le problème de la prison est très compliqué. Bien sûr, on ne peut pas laisser en liberté des personnes dangereuses, mais les enfermer n'est souvent pas la solution. La récidive est énorme, la réinsertion impossible.
Quel est alors l'idéal ?
Ce projet m'a beaucoup intéressé, car je travaille sur les prisons depuis longtemps, et je n'oublie pas que le problème est toujours là.
Avez-vous des projets à venir ?
Je retourne à Fort McMurray la semaine prochaine, pour réaliser l’image du documentaire TV de David Dufresne qui sera diffusé sur Arte à l’automne prochain. L'idée est de reprendre 90% des images filmées à travers le regard de Jim le Trappeur, de traverser la ville avec lui, et de discuter des conséquences du jeu sur la ville.
Propos recueillis par Claire Mayer