© Robert Dodge
Robert Dodge s'est initié à la photographie jeune, grâce à son père, qui a cherché un moyen de le distraire et surtout de l'éloigner des drogues et autres tourments de l'adolescence. Depuis lors, cette passion ne l'a jamais quitté, et il devient reporter et éditeur. « Je travaillais davantage avec les mots qu'avec les photos. Depuis récemment, je travaille dans la photographie dans le cadre professionnel et créatif. Aujourd'hui, je travaille avec les mots et les photos et cela me convient. Je trouve que les mots et les photos réunis forment un outil très puissant pour raconter une histoire. »
Auteur de l'ouvrage Vietnam 40 years later , il le décortique, à l'occasion du hors-série d'Actuphoto sur le Vietnam.
Pourriez-vous expliquer le sujet de votre livre Vietnam 40 years later
Mon livre apporte un regard photographique sur le Vietnam, 40 ans après la fin de la guerre du Vietnam. C'est aussi 60 ans après la fin de l'occupation française, d'un point de vue français. Le livre sera publié un an avant les 40 ans de la fin de la guerre, en avril 2015, une période durant laquelle les médias porteront leur attention sur cet événement marquant, et Vietnamiens et Américains feront un travail de mémoire sur cette guerre.
Lorsque les Américains entendent le mot « Vietnam », ils pensent encore aux images de la guerre – le napalm et les villages incendiés, le bombardier B-52 et les conséquences désastreuses du produit toxique, l'agent orange. J'espère que mon livre permettra à mes compatriotes Américains, d'actualiser leur vision du Vietnam, en une image plus d'espoir. J'aimerais qu'ils voient le Vietnam comme un pays doté d'un beau paysage, d'une culture intéressante et de personnes dynamiques et enthousiastes qui rapprochent l'économie à l'Occident.
Par ailleurs, j'espère que mon livre servira de processus de guérison et de réconciliation pour les Américains.
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Pourquoi avez-vous décidé de créer ce projet ? Est-ce que c'était votre premier voyage au Vietnam ?
Je suis issu de la génération Baby Boom et la guerre du Vietnam était celle de ma génération. Je n'ai pas servi dans l'armée mais à cette époque, les médias et la politique étaient plongés dans cette guerre. Cela m'a permis de me lancer dans une carrière journalistique comme reporter. Donc la guerre a eu un impact majeur dans ma vie comme pour la plupart des 77 millions d'Américains du Baby Boom.
Lorsque le Vietnam a ouvert ses frontières au tourisme, j'étais enthousiaste d'y aller. J'ai fait mon premier voyage au Vietnam en 2005. C'était deux semaines de photos de vacances qui prenaient fin dans l'ancienne ville de Saigon, au Musée des vestiges de la guerre. Dans le musée, une salle était couverte d'affiches de la guerre des journaux américains. En regardant toutes ces diffusions de vieux magazines photo, des photos colorées et violentes, j'ai eu l'impression de retourner à la case départ. J'ai pris conscience que j'étais destiné à être présent et à revenir plusieurs fois pour photographier le Vietnam, telle une épiphanie.
Quel regard portez-vous sur le Vietnam 40 ans plus tard ? Qu'est-ce qui a radicalement changé ?
Au Vietnam, j'ai trouvé une ville et des gens qui étaient passés à autre chose depuis la guerre. La population parle aujourd'hui de l'avenir de leurs enfants, des métiers et des opportunités possibles. Ils se sentent plus concernés par le futur que par le passé. C'est aussi un très jeune pays dont la majorité de la population ne garde pas de souvenirs personnels de la guerre. Ces jeunes adultes veulent une occasion de réussir économiquement, ils ont pris goût à plus de liberté et à la culture pop occidentale. Il n'y aura pas de retour en arrière.
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Le Vietnam est aussi un beau pays : des plages étincelantes aux régions montagneuses du Nord - riches terres agricoles -, et des marchés de la pêche du Mékong aux villes animées d'Hanoi et de Saigon.
Ce pays est également un énorme carrefour. Le Vietnam a aussi profité du succès économique avec l'économie de marché. Les niveaux de vie se sont améliorés et le pays a son premier centre économique – il a fallu faire face aux problèmes dans le secteur immobilier et aux crises bancaires que Ho Chi Minh n'auraient pu imaginé. Mais l'unique parti politique du gouvernement rétrograde a pris des mesures ces dernières années. Le gouvernement refuse de tolérer les dissidents et met en prison blogueurs et journalistes qui critiquent ce gouvernement. Ces retours en arrière sont décourageantes. Si le Vietnam veut réaliser son potentiel, le pays doit procéder à des réformes politiques, équivalentes aux mesures prises en économie.
Dans ce contexte, le Vietnam peut être perçu comme un pays en mouvement vers un but encore inconnu. C'est clairement un pays en mouvement dont l'histoire n'est pas complètement écrite.
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Qu'est-ce qui vous a surpris le plus ?
Ce qui me surprend encore et toujours, c'est de voir à quel point il y a du changement entre chacune de mes visites. Un meilleur niveau de vie, le changement de décor avec les nouveaux buildings suite à la construction de nouveaux hôtels et restaurants et la présence des chaînes d'entreprises de l'Ouest, notamment les fast-foods américains. Saigon a maintenant son industrie de la mode et la ville est à présent un centre de médias.
Le changement social a été aussi très rapide. Il a été accéléré par l'utilisation répandue des réseaux sociaux tels que Facebook et Twitter.
Comme c'est le cas dans de nombreuses sociétés asiatiques, les jeunes continuent à vivre bel et bien chez leurs parents jusqu'à ce qu'ils soient mariés. Mais aujourd'hui, les jeunes vietnamiens veulent sortir boire un verre avec leurs amis et gérer leur propre vie, ce qui crée des conflits avec leur parents qui n'apprécient pas ou n'approuvent pas ces nouveaux modes de vie.
Pour citer un autre exemple, la première fois que j'ai visité le Vietnam en 2005, il y avait une petite communauté active et soudée gay. Mais l'arrivée de Facebook, un réseau a émergé, pas seulement entre jeunes gays vietnamiens mais à travers le monde. Sur leur profil Facebook, les homosexuels ajoutent le nom de leur conjoint, ce qui soulève des mouvements homophobes au Vietnam. De plus en plus de jeunes gays font leur « coming out ».
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