C'est accompagnée de son dernier projet « 33 Tours » que Sandra Renfleit approche de ses 33 ans: une chanson publiée tout les 11 du mois jusqu'au 11 Novembre, date de son anniversaire.
Elle possède la recette de la bonne humeur et de la réussite, elle a fait de ses rêves d'enfant une réalité pertinente, réalité qui devrait inquiéter les adultes trop sérieux: ici, n'importe quelle idée a du sens, il suffit d'une goutte de contrainte et d'une cuillère à soupe de motivation.
Après deux monographie ( « Same but different » en 2010 et « Je t'aime maintenant » pour l'année 2012), la jeune femme publie deux ans plus tard un ouvrage insensé mais ultrasensible: « Qui a tué Jacques Prévert » aux Editions de la Martinière.
A l'occasion de cette toute récente parution, rencontre avec l'artiste.
1) Quel a été votre parcours... depuis l'école primaire de Saumur ?
Ca risque d'être long ! Je suis restée à Saumur jusqu'à mes 17 ans.
A l'époque, je voulais devenir chanteuse, écrivain, photographe, voyageuse, ce à quoi on me répondait qu'il fallait aussi que je trouve un « vrai » métier. J'avais en tête de poursuivre ce que je voulais faire, mais en terminale, mon entourage a insisté pour que je fasse quelque chose de précis de mes études littéraires. J'ai finalement passé le concours d'une école de commerce dans laquelle j'ai été prise, à Angers. Je faisais un stage chez l'Oréal, puis on a voulu m'embaucher.
Finalement, et cela a été l'élément déclencheur, j'ai eu un grave accident de voiture. Tout ça a pas mal bousculé les choses: il me fallait réaliser mes rêves d'enfants, la vie était trop courte. L'accident a été lourd, j'ai eu tout le temps de réfléchir à mon avenir.
Alors je suis partie étudier aux Philippines, je travaillais dans une prison pour femmes là bas.
En rentrant, j'ai travaillé deux ans dans la communication pour les Solidays. Je pensais toujours à faire un tour du monde, d'autant plus que j'avais été sidéré par la motivation et l'envie de s'en sortir de ces femmes dans les prisons philippines. J'ai beaucoup réfléchi à ça, alors j'ai démissionné et je suis partie. J'ai voulu rencontrer 81 femmes nées comme moi, en 1981. Je voyageais avec une amie, là bas elle a perdue deux fois son appareil photo. C'est comme ça que je me suis retrouvée avec un appareil photo entre les mains.
En Asie, quand tu commandes du poulet que l'on te sert du bœuf, les gens te disent : « Same but different » ! Ce titre correspond très bien à mon premier livre, c'est celui que je lui ai donné.
© Sandra reinflet tous droits réservés
© Same but Different Sandra reinflet tous droits réservés
2) Pourquoi êtes vous revenue à l'école? Pensiez vous déjà au projet sous la forme qu'il a aujourd'hui ?
Je pense qu'il est important de garder un œil ouvert, pour suivre les directions que le hasard ou le destin (c'est selon), vous indique.
Donc, je partais faire une photo pour mon livre Je t'aime maintenant, une photo du Pins Axa Assurance que m'avait offert David, mon amoureux de l'école Primaire.
A ce moment là, je finissais juste Je t'aime maintenant, et David était l'un des seuls garçons sur les 24 que je n'avais pas retrouvé. J'ai donc décidé à la place, de faire la photo du pin dans la cour d'école de l'école Jacques Prévert.
C'est là que j'ai découvert les changements qui avaient eu lieu. J'étais vraiment choquée, mais très curieuse de savoir ce qu'il s'était passé pendant ces années. Immédiatement, les souvenirs ont afflué, et j'ai pris des photos pour les mettre en opposition avec les souvenirs que j'avais gardé du lieu.
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© Je t'aime mainteant Sandra reinflet tous droits réservés
3) Quel a été votre rapport à la matière pour ce travail ? Quelles différences entre un corps, un objet, une pierre ou une brique en tant que sujets ?
La matière a été très importante puisqu'omniprésente. Matière vivante tout de même : il y avait pas mal de courants d'air, les portes baillaient, les fenêtres claquaient, volaient... Il y avait beaucoup de mouvement en somme. Ce qui m'a fait un peu peur d'ailleurs.
J'ai toujours beaucoup aimé la macro et le détail, je suis plus à l'aise là dedans que dans le portrait où j'ai plus tendance à me sentir coupable vis à vis du sujet. Ici, j'avais tout mon temps.
Comme pour mes ouvrages précédents, il y avait cette quête du brut. La seule mise en scène était celle que j'avais crée pour le pins Axa : je l'avais accroché sur un vieux pull taille enfant, que j'avais posé sur le bitume de la cour de récréation. Justement, pour ces raisons, cette photo n'avait pas sa place dans ma série.
J'aime que les projets soient entremêlés, faire des choses différentes en changeant de support, voilà ma perception de la cohérence.
4) Le vide est un peu angoissant au départ, comment vous êtes-vous sentie sur les lieux ? N'avez-vous pas eu envie de renoncer à certains moments ?
Non, je n'ai jamais voulu laisser tomber le projet. J'ai eu peur oui, le vide et la solitude sont une sensation particulière, d'autant plus quand une présence semble subsister. J'avais surtout peur de ce que je pourrais trouver, mais je sentais aussi une véritable exploratrice.
Je suis retournée sur les lieux trois fois en tout. La première, j'étais plutôt triste et nostalgique, mais plus j'y retournais, plus j'y voyais un coté ludique.
La position de la porte par exemple changeait à chacune de mes venues : bancale, arrachée, puis posée au sol (il y avait des squatteurs qui taguaient et détérioraient les lieux).
Mais j'aimais avoir du temps, je passais beaucoup de temps à photographier les détails.
Surtout, j'étais sûre que le livre verrait le jour, je l'ai tout de suite dit à Mme Ettel.
Comme un geste spontané, ça m'est tombé dessus. Mais oui, c'est vrai qu'il y avait une dimension angoissante, stressante, on sentait la présence humaine, et c'est ce qui m'effrayait le plus.
© Sandra reinflet tous droits réservés
5) Les anecdotes qui agrémentent et donnent une double densité au livre vous sont-elles revenues à l'esprit au fur et à mesure des journées passées dans l'établissement ?
Toutes me revenaient au fil des pas, ça a été immédiat.
Il n'y avait plus rien dans les salles, seulement le Poster du château de Chambord que j'ai trouvé accroché à un mur. J'ai un souvenir de dessin du château que j'avais voulu reproduire à échelle parfaite. J’obligeais une de mes amie à le fignoler avec moi pendant les récréations.
Le jour de la sortie de classe j'étais malade, et je n'ai pas pu m'y rendre avec les autres.
Du coup oui, j'ai volé Chambord ! Le poster est la seule chose que j'ai ramené avec moi.
6) Pouvez-vous nous parler de Madame Ettel, la voisine et témoin des changements de l'Ecole ?
Je l'ai rencontré par hasard en escaladant les grilles, ça a du être étrange pour elle.
Je voyais une vieille dame me regarder depuis ses fenêtres, comme je suis revenue plusieurs fois, je suis finalement allée la voir. Elle m'a d'abord regardé très méfiante, je lui ai expliqué depuis sa grille que Jacques Prévert était mon école primaire, elle m'a finalement ouvert et nous avons passé des heures et des heures toutes les deux.
Sa maison a été construite en même temps que l'école, elle a aujourd'hui 90 ans. Ces trois enfants sont bien sûr allés à Jacques Prévert, elle pouvait les observer par les grilles pendant les récréations.
De fait, Mme Ettel a suivi chacune des étapes de la vie de l'école. Depuis la rue s'est vidée, et cela la rend triste : ils ont mis la rue en double sens, mais plus personne n'y passe.
Lorsque j'ai voulu la photographier, elle m'a dit que c'était dommage, qu'elle n'avait pas été chez le coiffeur et qu'elle avait rendez-vous demain...
Je dois lui apporter le livre bientôt. Je vais retourner à Saumur et proposer au Maire d'exposer in situ mon projet sur les grilles de l'école.
© Sandra reinflet tous droits réservés
7) Quel regard portez-vous sur les écoles primaires aujourd'hui ? (que pensez-vous par exemple du débat à propos des « ateliers ABCD », visant à lutter contre les stéréotypes masculin/féminin auprès des élèves ?)
Je n'ai pas d'idées précises quant à la situation des écoles primaires aujourd'hui : je n'ai pas d'enfants et je n'y travaille pas ! Mais je pense qu'il a toujours était important de bien expliquer les choses.
Jacques Prévert était une école de Zup qui a fermé en raison du chômage, les gens sont partis et les problèmes de sécurité sont arrivés. Tout ça est triste, j'aimais le fait d'avoir des camarades de tous horizons, tout cela est d'ailleurs bien visible à travers le livre.
Aujourd'hui, le cas par cas n'est pas à l'ordre du jour. Je pense aussi qu'il est important de ne pas trop vouloir protéger les enfants, nous avons tous des souvenirs heureux et traumatisants de nos années de primaire. Tout ça contribue à la formation de la vie de l'enfant, il est primordial de faire face à certains évènements, autrement les difficultés viennent à retardement.
8) Vous semblez accorder beaucoup d'importance à l'enfance et au passé de façon plus générale, êtes-vous partisane de l’Expérience comme déterminisme ?
Je ne suis pas nostalgique, pourtant mon passé n'est pas différent de mon présent. Nous avons tous un bagage émotionnel : soit on l'occulte mais il demeure présent, soit on accepte d'intégrer les premières pages pour mieux comprendre la suite.
A propos du déterminisme, je ne crois en aucune ligne de conduite. La seule chose à laquelle je crois est mon instinct.
Tout cela est compliqué car je ne m'impose aucune règle précise. En revanche, je me crée des contraintes. Mon dernier projet, « 33 Tours », consiste à publier une chanson tout les 11 du mois jusqu'au 11 Novembre, date de mon anniversaire. (On m'a un jour prédit en Inde un grand sucés artistique le jour de mes 33 ans).
Il faut s'imposer des contraintes. Tous mes projets sont liés à l'enfance, mais les jeux d'enfants sont très sérieux. Je ne les ai jamais pris à la légère, c'est pareil pour mon travail.
Je suis mes impulsions, puis je les consolide en pensant à la forme qu'elles doivent revêtir. C'est un peu magique : parfois j'ai l'impression de vivre dans la fiction, mais finalement mes idées ne valent pas mieux que celles des autres, la seule différence c'est que je me donne les moyens de les concrétiser.
C'est très irrationnel. C'est d'ailleurs ce qu'il s'est passé pour Jacques Prévert. J'invente des histoires vraies.
En Inde, on m'a fait un jour un très beau cadeau: un kaléidoscope. Ce garçon l'a fabriqué lui même et me l'a donné pour que je vois toujours le monde à travers mes formes et mes couleurs, selon sa formule. Il s'agit de montrer le réel, mais avec une lentille qui est tienne, dont tu choisis la forme et la couleur.
9) Pourriez-vous encore nous réciter « le moineau » de Maurice Carême ?
« Sur le bord d’un toit. Je suis comme il faut que le moineau soit. Allègre, narquois, Tout en petits sauts, Je suis né moineau, En mai sur le toit Je ne suis pas beau. Et j’ai peur des chats. Oui, mais quelle joie Quand je crie là-haut Sur le bord du toit » ( ndlr de mémoire et en chantant)
Propos receuillis par Anna Biazzi et Charlotte Courtois