© Paolo Verzone / Agence VU'
Membre de l'agence VU', Paolo Verzone a l'oeil aiguisé d'un photographe hors-pair. Outre ses fameux projets réalisés avec son acolyte Alessandro Albert sous l’appellation « Albert & Verzone », il s'intéresse de près à l'administration sous toutes ses formes. L'institutionnel le captive, et il photographie dans le monde entier les acteurs de ce domaine.
Ainsi, aux côtés de Stephen Dock, reporter et également membre de l'agence VU', il a conçu le documentaire Matignon, qui montre l'institution de l'intérieur. Une commande du gouvernement, qui cherche à montrer comment fonctionne cet incontournable pouvoir français.
Une documentaire réalisé à 4 mains, qui décortique Matignon, et montre une toute autre idée de celle préconçue du public.
Rencontre avec Paolo Verzone, qui explique, avec sa passion légendaire.
© Paolo Verzone / Agence VU'
Pouvez-vous nous expliquer le projet Matignon ?
C’est un projet qui est parti du Service d’Information du Gouvernement, qui a décidé de communiquer sur Matignon. Le grand public connaît très bien l'Elysée par exemple, même à l'intérieur, à travers des reportages, en revanche ils se sont rendus compte que les gens ne connaissaient pas si bien Matignon.
L'idée a donc été de raconter comment est Matignon. Ca a été une démarche très intelligente car moi aussi j'avais une idée de Matignon, comme lieu petit, fermé, alors que ce n'est pas le cas. C'est énorme, il y a une quantité inimaginable de gens qui travaillent à l'intérieur, et surtout l'idée des dorures disparaît car oui il y a les salons, mais il y a des dizaines voire centaines de personnes qui travaillent dans des bureaux normaux. Il y a plein de fonctionnaires qui bûchent sur des dossiers spécifiques, mais aussi les jardiniers, la sécurité, la gendarmerie, les ouvriers...
Ils avaient donc envie de communiquer sur ce lieu de haut pouvoir mais sur lequel les citoyens n'avaient pas vraiment une idée claire. J'aime beaucoup voir les démarches du pouvoir, comment ça se développe, c'était très intéressant.
Avez-vous été en immersion ? Combien de temps a duré votre reportage ?
Ca a été par créneaux. On a commencé en juillet dernier, on a fait des va et vient une bonne partie de juillet. On ne pouvait pas accéder des journées entières car il y avait, selon l'agenda du premier ministre ou des fonctionnaires, des dossiers sensibles où l'on était pas censés être dans certaines pièces à certains moments. Mais nous avons eu un accès presque total. Et surtout, aucune censure, ce qui est formidable. Ca c'est la démocratie. Toutes les images que l'on a proposé à travers la société de production UPIAN, au gouvernement, ont été acceptées. Aucune image n'a été enlevée.
Comment se sont organisées les prises de vue ?
Ca a été un véritable travail de groupe. Avec la société UPIAN - qui est une référence en réalisation de web-documentaire - une vingtaine de personnes, a travaillé avec 2-3 personnes de l’agence VU’, nous nous sommes retrouvés plusieurs fois tous ensemble pour voir comment approcher ce sujet, comment évoluer dans cette démarche, et, au fur et à mesure que l'on avançait dans le documentaire, on avait des fils rouges à suivre : montrer le rapport de pouvoir avec la société civile, le rapport des travailleur, le type de travailleurs à l'intérieur de Matignon, les différents rôles que chacun avait, les moments comme les visites officielles, mais aussi les moments de la vie quotidienne. Nous avons placé au même niveau la visite d'un chef d'Etat, et le travail d'une personne dans un bureau. Cela a été fondamental. Nous nous sommes rendus compte tout de suite que ceci était la vraie clé. Ils travaillent tous pour arriver au même but, mais nous n'avons pas fait, même visuellement, une pyramide. Il y a eu une répartition par espaces, le jardin, les secrétariats, les bureaux ect..
Nous étions étonnés de la variété visuelle que pouvait donner une même pièce, chaque jour. Dans une même journée, une salle de réunion va être utilisée par plusieurs groupes de personnes pour des sujets différents, ça change complètement.
Nous avons donc travaillé sur plusieurs axes, et lorsque l'on a rempli le thème choisi, on s'arrêtait, et l'on continuait en parallèle sur d'autres axes, jusqu'à ce que nous ayons la totalité de l'histoire racontée.
© Stephen Dock / Agence VU'
Pourquoi avoir fait ce documentaire à deux avec Stephen Dock ?
C'est la possibilité de donner deux regards différents, dans des moments différents, avec deux approches complètement différentes. De mon côté, j'aime beaucoup le côté fonctionnaire, bureau, alors que Stephen est dans l'action, le reportage, les photos réalisées sur le vif. Donc, si nous étions en même temps dans une situation, on travaillait sur des axes complètement différents, d'un point de vue physique. Par exemple, j'étais sur un balcon, et Stephen était en bas. Nous avions donc la chance de raconter deux choses complètement différentes, qui n'avaient jamais été faites.
Le travail de groupe a été intéressant car il remet en cause la question autoriale, d'une photo que l'on réalise seul, qu'on choisit seul ect. Nous devions rester dans un thème, l'approcher, et le satisfaire aussi pour des exigences visuelles différentes de celles auxquelles nous sommes habitués. D'un point de vue technique, nous avons eu des contraintes intéressantes : les images que nous faisions étaient destinées à être mises sur un site, un ipad, un iphone ect. Par exemple, un cadrage extrême droite était impossible. Nous devions donc tenir compte de ces exigences techniques, le cadrage libre était impossible. Cela oblige à réfléchir l'image d'une autre façon.
Aviez-vous le même matériel ?
Non, j'ai fait une bonne partie du travail en moyen format, avec un dos digital, phase One. Stephen a travaillé avec un Leica et un Nikon, un appareil souple qui permet de réagir vite. J'ai également travaillé avec le Canon 5D, mais quand je pouvais, j'essayais de faire les cadrages avec le moyen format pour donner cette idée de régularité.
Comment va être diffusé ce documentaire ?
C'est diffusé comme un outil sur internet, ça peut évoluer de plein de façon car on peut le regarder sur tablette, smartphone, ordinateur ect..
Tout le travail a été fait pour être vu en ligne, il est actuellement sur le site du gouvernement.
© Stephen Dock / Agence VU'
Qu'est-ce qui vous a le plus surpris ?
La différence de changement d'atmosphère dans une même journée. Lorsque l'on arrive le matin, ça commence à bouger, l'après-midi ça peut être un va et vient de gens qui viennent en voiture, le soir peuvent arriver les ministres ect.. Dans l'espace d'une journée, l'ambiance va être complètement différente. Ce qui m'a vraiment surpris le plus, c'est la variété d'activités dans une même journée.
Quelles réactions aimeriez-vous que le public ait en regardant ce documentaire ?
Je ne sais pas quelle idée le public a de Matignon, je suis sûr que ça va au moins lui donner l'idée que c'est plein de groupes concernés. Il n'y a pas que le premier ministre qui travaille, il y a plus de 450 personnes.
Quel est l'avenir de ce projet ?
L'idée serait peut-être que ce site soit réutilisé dans le futur lorsqu'il y aura des occupants différents. C'est à dire de garder l'axe qui a été conçu pour communiquer sur un espace qui est partagé entre plusieurs pouvoirs depuis des dizaines d'années. Mais aussi le rapport avec l'histoire du lieu, puisque dans le documentaire, les histoires des autres occupants sont également montrées.
Le lieu devient plus important que son occupant, car plusieurs personnes vont se succéder, mais l'endroit va rester le même.
Pour voir le documentaire :http://www.gouvernement.fr/matignon-regards-croises/"
Propos recueillis par Claire Mayer