Diplômé de l'école Louis Lumière en 1987, Denis Rouvre photographie depuis 25 ans. Il s'est imposé dans l'art du portrait, et son travail a été récompensé par de nombreux prix, comme le 3e prix World Press Photo 2012 « Portraits isolés » pour son travail sur les rescapés du tsunami au Japon, le 2e prix World Press Photo 2013 pour sa série Sumo, un Hasselblad Masters en 2012, un 2e prix Sony World Photography Award 2011 pour sa série After meeting et un 2e prix World Press Photo 2010 pour sa série Lamb.
Pour le projet Fishlove, (créé en 2009 Fishlove est un projet photographique qui soutient l’action de la Bloom Association, luttant contre la surpêche et œuvrant pour la mise en application de lois encadrant la pêche intensive), Denis Rouvre a immortalisé des personnalités concernées par ce problème environnemental. La particularité de ce projet crucial, faire poser ces hommes et ces femmes nues, accompagnés de poissons.
Pour signer la pétition, https://secure.avaaz.org/en/petition/Leaders_of_the_European_Parliament_Stop_the_industrial_destruction_of_the_deep_ocean/?Fishlove".
Entretien avec Denis Rouvre qui s'explique.
Gillian Anderson © Fishlove/ Denis Rouvre
Serge Hazanavicius © Fishlove/ Denis Rouvre
Pouvez-vous nous expliquer le projet « fishlove » ? Comment et pourquoi l'avez-vous rejoint ?
Il s'agit du projet de l'association anglaise du même nom. Elle m'a sollicité après Rankin en 2011 et Alan Gelati en 2012 pour être le 3e photographe de la campagne, afin de faire voter l'interdiction du chalutage en eaux profondes. Je suis solidaire de la cause, et ce n'est pas la première fois que je participe à une campagne caritative en tant que photographe. Je pars du principe que c'est mon rôle de photographe, cet apport individuel à la collectivité.
Une campagne caritative est aussi une carte blanche, c'est à dire que l'on peut réaliser des photos sans contraintes commerciales ou éditoriales.
Le concept du projet était de créer un rapport charnel entre les célébrités et les poissons, s'amuser et inventer quelque chose de nouveau pour interpeller le public face aux ravages de la surpêche en eaux profondes.
Comment avoir choisi les personnalités que vous avez photographié ? De quelle façon avez-vous procédé pour réaliser ces images ?
Ce n'est pas moi qui les ai choisi, et il était important qu'il en soit ainsi, que je n'ai pas de préférences par rapport à des affinités ect. Ces personnalités ont été choisies par l'association, car elles sont convaincues de la justesse de la cause et souhaitaient y prendre part.
J'ai choisi en revanche comment les photographier, le cadre était libre. Je voulais donner une stature de tableau de maître, de faire une sorte de « photo officielle », où le poisson n'était pas un accessoire, mais le référent de la personne photographiée. En les photographiant peau contre peau, je souhaitais créer un rapport charnel entre la célébrité et le poisson. J'ai voulu ces images très frontales, très directes. L'idée était à la fois de mettre en avant la beauté plastique du poisson et celle de la personne.
Kenzo © Fishlove/ Denis Rouvre
Aure Atika © Fishlove/ Denis Rouvre
Pourquoi les avoir fait poser nues ?
L'idée du nu faisait partie de la contrainte de la campagne. Dénuder la personnalité en mettant à nu l'ensemble, tout ceci était une idée intéressante.
Qu'est-ce qui a été le plus difficile à réaliser ?
Même si ces personnalités avaient toutes acceptées de poser pour la campagne, la dimension d'être en contact direct avec le poisson était délicat. Le rapport fusionnel voulait en effet que les poissons soient collés contre la peau nue, ce qui n'a pas été évident pour ces personnalités, qui ne se sont peut-être pas rendues compte de ce que cela pouvait représenter en acceptant de poser.
L'autre difficulté a été de réussir à trouver l'adéquation qui fonctionne, l'esthétisme sans faire que le poisson soit un accessoire, mais qu'il ai sa place dans l'image.L'idée a été difficile à trouver, car les possibilités sont infinies et beaucoup avaient déjà été faites.
Il y avait également des impératifs de poids, certains poissons étaient très lourds (comme Jean-Marc Barr qui pose avec un requin mako ndlr).
Jean-Marc Barr © Fishlove/ Denis Rouvre
Thomas Dutronc © Fishlove/ Denis Rouvre
Que pensez-vous de la décision de la commission européenne, qui a statué en faveur « du secteur et a voté contre une interdiction immédiate du chalutage de fond et d'une transition vers des engins de pêche plus sélectifs », malgré la pétition lancée en novembre dernier, qui a beaucoup fait parler d'elle, à propos du chalutage profond ?
D'énormes lobbies sont mis en place. La loi sur l'interdiction de la surpêche en eaux profondes a été refusée certes, mais à très peu de voix, nous sommes très près d'obtenir gain de cause, ce qui est encourageant pour l'avenir.
De mon côté, je suis fermement opposé à la destruction des fonds sous-marins, c'est une grave erreur sur l’écosystème. La campagne et la pétition auront leurs impacts, les mentalités changent, il faut du temps. Mais il sera forcément trop tard, il est déjà trop tard.
Cette décision de la commission européenne est une réussite car le rapport de force évolue, et l'on peut imaginer que les choses s'inversent.
Barbara Cabrita © Fishlove/ Denis Rouvre
Niickolas Grace © Fishlove/ Denis Rouvre
Qu'espérez-vous comme retombées grâce à ce projet ? Quelles sont d'ores et déjà les réactions ?
L'impact de ce projet est qu'il a un côté provoquant qui attire les gens qui ne sont pas au départ sensibles au projet mais qui vont être attirés par les célébrités. Plus la célébrité va être connue, plus cela fera changer les mentalités. Pour l'instant, il y a eu énormément de retombées positives.
L'idée du projet est de mettre le doigt sur quelque chose que les gens ne connaissent pas forcément. Ce n'est pas ma campagne, je suis juste vecteur de l'image, j'ai uniquement mis mon travail au service de celle-ci.
Des projets à venir ? Peut-être avec Fishlove ?
Il est très important que cette campagne continue avec d'autres photographes, pour qu'il y ai un maximum de regards, que l'image soit la plus riche possible. Je dois désormais passer le relais à d'autres photographes, qui interpréteront à leur manière la justesse de la cause.
J'ai beaucoup de projets, mais je n'en parle pas pour l'instant. Etre photographe, ce n'est pas de faire des photos, mais de décider de les montrer aux autres. Je n'en parle pas avant de décider de les partager.
Propos recueillis par Claire Mayer