© Kevin Bauman
Le titre même de la série laisse présager ce qui va suivre. Abandoned Houses, un paysage désert, complètement dénué de toute présence humaine. Rapidement, le lecteur se demande quel pourrait bien être cet endroit mystique laissé à l'abandon. Puis, presque sans réfléchir, la ville de Detroit lui vient en tête. C'est en effet dans cet univers délaissé, rejeté, qu'ont été prises ces photographies de Kevin Bauman.
© Kevin Bauman
© Kevin Bauman
Photographe indépendant, la ville de Detroit signifie beaucoup pour lui. « J'ai grandi et passé la majorité de ma vie dans la zone métropolitaine de Detroit. Aussi loin que je m'en souvienne, Detroit a toujours été empli d'abandon et de décrépitude. Mes parents ont quitté Detroit après les émeutes de 1967, et ma grand-mère est restée jusqu'à ce que sa maison soit visitée et cambriolée en pleine journée, sa sœur battue, et sa voiture volée de nombreuses fois. » En effet, la situation critique de Detroit, déclarée officiellement en faillite le 18 juillet 2013 (Detroit est la première ville américaine à demander la faillite, pour une dette s'élevant à 18,5 milliards de dollars), remonte plusieurs années en arrière. La ville a commencé à décliner en 1950, avec le départ de beaucoup d'américains. Les afro-américains pauvres du sud ont afflué en masse, et en 1967, de violentes émeutes ont éclaté dans la partie est de la ville : les plus sanglantes de l'histoire des Etats-Unis, ces affrontements ont fait 43 morts, 467 blessés et plus de 2 000 bâtiments furent détruits.
© Kevin Bauman
© Kevin Bauman
Ainsi, Kevin Bauman s'est intéressé très tôt à l'histoire de la ville : « Mes parents m'ont raconté les histoires de Detroit des années 1940 et 1950 : le temps où Detroit était plus saine économiquement. Avec une magnifique architecture, et des évènements culturels, associés à une industrie automobile puissante et une manufacture basée sur l'économie. Detroit était le moteur, et faisait beaucoup d'envieux.
Au moment où je suis venu pour connaître Detroit, il m'a semblé que tout ce qui avait été laissé était une simple coquille de l'ancienne ville. Pauvreté, chômage, crime et abandon étaient les caractéristiques clés de Detroit. Les maisons abandonnées semblaient représenter le grand déclin de la ville, et de ce qu'ont éprouvé ses citoyens. »
Le projet de Kevin Bauman prend forme, et il décide de montrer l'âme de Detroit par la métaphore de ses maisons laissées à l'abandon. « J'avais mon nouvel appareil, je venais juste de quitter mon travail broyeur d'âme, et je suis allé dans la métropole. J'avais du temps, de la curiosité, et un appareil. Cela m'a paru naturel de photographier la ville qui m'intriguait tant par son large choix de lieux abandonnés, que par la décadence de magnifiques maisons. (…) J'ai commencé dans un voisinage connu appelé Brush Park, une zone anciennement riche et désormais décadente. Au moment où je suis arrivé, la zone était largement abandonnée. »
© Kevin Bauman
© Kevin Bauman
Si ses photographies sont esthétiquement réussies, elle sont aussi fortes, et transcendent le public. Réussir à dégager une âme alors qu'aucune ne semble subsister, là est le tour de force de l'artiste. « Ce projet a été, pour une grande part, un moyen pour moi de satisfaire ma curiosité sur Detroit. Je n'ai pas exactement compris comment une aussi grande ville pouvait se retrouver dans une si mauvaise posture. Il n'y a pas eu de guerre, ou de catastrophe naturelle. Elle a souffert de la main de l'homme et d'une crise économique aux proportions épiques. »
De ce fait, dans les photographies de Kevin Bauman, un silence inquiétant est omniprésent, et parviendrait presque à mettre le lecteur mal à l'aise. Près de 6300 kilomètres séparent la France de Detroit et pourtant, le public est immergé dans un monde en crise, dont l'heureux dénouement ne semble pas si proche. « Je vois Detroit comme un conte de deux villes contradictoires. L'une est la ville jeune, créative, et entrepreneuriale – souvent celle des nouveaux venus – de citoyens qui voient une opportunité dans Detroit. Ils ont aussi tendance à accepter Detroit comme elle est, et sont capables d'accepter beaucoup de ses défauts. L'autre Detroit est celle où les citoyens de classes moyennes aux plus pauvres vivent depuis des années ou des décennies, voient les hauts et les bas de Detroit, et qui aujourd'hui n'aimeraient rien de plus que de quitter la ville s'ils le pouvaient. »
© Kevin Bauman
© Kevin Bauman
La situation de Detroit n'est en effet pas très encourageante. En septembre 2013, la Maison-Blanche a offert 320 millions de dollars à la ville pour qu'elle puisse réparer ses maisons abandonnées et améliorer son transport public. Mais la route est longue avant de réussir à se remettre réellement à niveau... « Il est difficile de dire ce que sera le futur de Detroit. Certaines zones continueront sûrement à décliner, pendant que d'autres attireront plus de jeunes créatifs, qui ont montré tard de l'intérêt à Detroit. Certaines grandes entreprises ainsi que des individus avec des moyens ont également commencé à investir dans la ville. A quoi ressemblera Detroit dans une décennie ? Qui peut savoir ? Certaines zones deviendront meilleures, et d'autres pires. »
© Kevin Bauman
© Kevin Bauman
Une chose est sûre, dans Abandoned Houses, Kevin Bauman a réussi avec brio le pari difficile de montrer sans ornements excessifs un monde à part, celui d'une ville endettée, et enlisée dans sa propre crise.
Retrouvez les projets de Kevin Bauman surhttp://www.kevinbauman.com
Claire Mayer