Raymond Depardon fait partie de ces figures de la photographie qui marquent son histoire, autant que sa pratique.
Né en 1942 à Villefranche-sur-Saône, créateur de l'agence Gamma, membre de Magnum depuis 1979, réalisateur, photographe, scénariste, véritable maître du film documentaire, son parcours n'a d'égale à la richesse de son art.
Tête d'affiche de la nouvelle exposition photographique du grand palais, l'évènement ne passe pas inaperçu. Les images d'Helmut Newton recouvraient les murs de ce bel endroit l'année dernière, mais cette année, le photographe présenté est bel et bien vivant – chose inédite – et présente un travail méconnu voire totalement inconnu, en couleurs. Le noir et blanc référence de Depardon n'est plus ici, et c'est avec curiosité que le public découvre une nouvelle facette de l'artiste.
Actuphoto a eu la possibilité exceptionnelle de rencontrer l'artiste, qui raconte la genèse d'« un moment si doux » présentée à la galerie sud-est du grand palais jusqu'au 10 février 2014.
Autoportrait au rolleiflex © Raymond Depardon
Les photographies qui sont présentées dans cette exposition au grand palais sont inédites : y a-t-il une raison particulière de les montrer aujourd'hui ?
Ce n'est pas moi qui ai décidé d'être exposé au grand palais. C'est un choix des conservateurs, des commissaires, des gens qui décident d'un photographe. Il se trouve que depuis quelques années, j'avais fait des images un peu clandestines, notamment celles de l'Amérique du Sud que j'avais appelé « un moment si doux ». Je les ai donné à choisir à un ami qui se trouve être me directeur de la fondation cartier, Hervé Chandès, mais qui en l’occurrence est le commissaire de cette exposition. Puis, nous n'avons plus fait particulièrement attention à ces images.
Mais un jour, lors d'un rendez-vous, l'on me propose de remplir la galerie du sud-est du grand palais, désormais dédiée à la photographie. Ils cherchaient des photographes français vivants.
Je me suis alors dit que je n'étais pas encore prêt à faire une exposition vraiment rétrospective de toute mon œuvre, elle est un peu complexe, il y a un peu de noir et blanc, un peu de tout, mais peut-être que la couleur serait une bonne idée. Effectivement, plusieurs personnes me poussaient à faire de la couleur, j'étais un peu surpris d'ailleurs, comme Hervé Chandès. Il m'avait plusieurs fois passé commande de films, d'installations, et j'avais emmené mon appareil, lui avait montré mes photos. Il était très couleur, mais de mon côté par réflexe, par tradition, j'étais plutôt très noir et blanc comme beaucoup de journalistes photographes. J'aimais les grandes photos noir et blanc, c'est aussi une tradition très française.
Puis, il y a eu cette mission France qui m'a tenu plusieurs années, lors de laquelle j'ai vu que la couleur tenait un rôle important, ça a été un peu la révélation de ce territoire méconnu de la France des sous-préfecture, où la couleur joue un rôle important. Je me suis dit alors qu'il fallait que je continue en couleurs, mais je ne savais pas bien.
Hervé Chandès a ensuite voulu voir des images plus anciennes, c'était intéressant car il n'a pas été photojournaliste, ni rédacteur en chef d'un journal, il est directeur d'un musée d'art contemporain, donc il était intéressant de voir ce qui tient le temps. Au fond, l'on pourrait presque différencier deux photos : une photo qui est à usage très rapide, qu'a été le journalisme pendant très longtemps, et l'image qui est à usage très long terme, comme l'art contemporain.
Lalibela, Ethiopie © Raymond Depardon
Le commissaire a sorti trois sujets parmi tous ceux que je lui ai montré : le Chili, en 1971, j'avais effectivement commencé à faire du travail couleur. Ca a été un moment important pour moi, car Gilles Caron venait de disparaître au Cambodge, et j'étais un peu désespéré. Je me suis dit en effet, que pour être photographe, il fallait aller sur les fronts, mourir sur un champ d'honneur, ou photographier le bal des débutantes et les conseils des ministres. Je me suis demandé s'il n'y avait pas de situation intermédiaire à la photographie. Le Chili à ce moment-là était intéressant, ils distribuaient les terres au Mapuches, pour moi ça a été un choc.
Il a choisi aussi un reportage que j'ai fait sur Beyrouth, en couleurs. Lorsque je suis entré à l'agence Magnum, l'on m'a demandé d'aller à Beyrouth, ça a été comme un examen de passage pour moi. Il s'agissait d'une commande pour un grand journal allemand, tout en couleurs. C'était une situation extrêmement complexe avec une guerre fratricide, où il fallait 4 laissez-passer. Chandès a fait un choix un peu différent, il a gardé quelques photos fortes, a fait un editing d'images qui n'avaient pas forcément été publiées.
Il a également choisi un reportage qui n'a jamais été publié, celui de Glasgow en 1980, que j'avais fait pour le Sunday Times. Il n'y avait eu aucune parution, l'on m'avait redonné toutes mes images couleur, elles étaient, elles aussi, dans des cartons que j'avais laissé dans un coin.
Glasgow, Ecosse 1980 © Raymond Depardon
Certaines images présentées dans cette exposition sont également des commandes du Grand Palais ?
Oui, je me suis donné aux commandes. Au départ, je suis allé en Amérique du Sud, en Argentine, au nord, au sud, puis je me suis dit stop, ce n'était pas comme ça que j'allais réussir à faire des images. J'ai donc décidé de choisir des lieux, d'y rester un peu : Harar en Ethiopie, Tarabuco en Bolivie, Modra au Tibesti, Los Angeles, et Honolulu. Cinq lieux, ainsi que Buenos Aires que j'avais déjà photographié. Cette fois, contrairement à ce que je fais d'habitude, je n'ai pas fait d'errance photographique.
Bolivie, 2005 © Raymond Depardon
Que pensez-vous de cette exposition ?
J'aime beaucoup. Hervé Chandès dit qu'il me voit derrière chaque photo.
Et vous, vous reconnaissez-vous derrière chaque photo ?
Oui, oui bien sûr, car au fond je suis photographe, et je ne suis pas toujours le mieux placé pour choisir mes photos. Je les choisis au mérite, les images qui ont été difficiles à faire, j'ai toujours l'impression qu'elles sont meilleures que les autres. C'est un piège, car ce n'est pas forcément significatif.
Cela ne veut pas dire que je n'ai pas de point de vue, mais je dois le donner dans la photo.
Buenos Aires, Argentine 2012 © Raymond Depardon
Cette exposition est révolutionnaire, car ici vous n'êtes ni dans le photojournalisme traditionnel que l'on connaît, ni dans la photo documentaire. Y a-t-il une voie, entre les deux ?
Beaucoup de jeunes photographes, des femmes également, n'ont pas forcément envie de courir sur les champs de bataille, ni d'aller dans des endroits difficiles. Cette exposition prouve qu'il y a un intérêt de faire des photos que tout le monde connaît, que tout le monde peut faire, et au fond que peu de gens font.
Un conseil pour les jeunes photographes ?
Les jeunes photographes sont passionnés, comme moi je l'étais, mes parents se demandaient comment j'avais pu me passionner pour la photo (rires).
Etre passionné, et continuer. La photo, c'est un art, il faut vraiment être passionné et ne jamais abandonner.
Propos recueillis par Claire Mayer