1953, décoration de Raymond Cauchetier en Indochine
Le photographe Raymond Cauchetier, né en 1920, est connu pour avoir habité les plateaux des plus grands films du milieu du siècle. Il immortalisa ainsi les tournages de Jules et Jim de François Truffaut, Lola de Jacques Demy, ou encore A bout de souffle et Une femme est une femme de Jean-Luc Godard. La photographie de plateaux ne représente pourtant qu'une infime partie (10 années) de la carrière de celui que tous surnomment « le photographe de la nouvelle vague ».
A vingt ans passé, Raymond Cauchetier entre dans l'armée. En 1951, il est muté à Saigon où son général le charge, deux années plus tard, de réaliser un album photos destiné au personnel des unités aériennes. C'est ainsi qu'à 30 ans, il est « catapulté » reporter de guerre. En 1954, il quitte l'armée mais demeure en Indochine. Appareil en main, il part à la rencontre des paysages et des peuples du Cambodge, du Laos et du Vietnam. Les japonnais le considèrent comme l'un des photographes majeurs de son époque. Malheureusement, l'Europe ne semble pas avoir eu échos de son succès et lorsqu'il rentre à Paris, rêvant d'intégrer l'équipe de Paris Match, il essuie un refus. C'est alors que Raymond Cauchetier entame sa carrière de photographe de plateau. Plus tard, en 1973, il intègre la Société Française d'Archéologie et permet la diffusion des images de nombreux vestiges médiévaux encore peu connus.
Du 7 au 11 novembre, le Salon de la Photo consacre au photographe de 94 ans une grande rétrospective intégrant toutes les facettes de sa carrière. A cette occasion, Actuphoto a eu la chance de pouvoir interroger un Raymond Cauchetier fatigué, mais heureux d'être parmi son public.
1959 - A BOUT DE SOUFFLE - Jean Seberg et Jean-Paul Belmondo sur les Champs Elysées, Paris © Raymond Cauchetier
1967 - Raymond Cauchetier au Cambodge © Fark
C'est votre première exposition rétrospective. Comment s'est elle organisée?
C'est une découverte qui m'a enthousiasmé parce que j'ai eu beaucoup d'expositions, enfin un certain nombre d'expositions, un peu partout de par le monde, mais c'est la première fois que je vois une exposition d'une telle qualité et je suis émerveillé, en toute modestie, par la qualité du travail qui a été fait ici. Cela me permet de redécouvrir ces images que je croyais connaître et qui finalement sont un peu différentes, sont mieux que dans mon souvenir.
Vous avez eu en quelque sorte trois carrières en une seule...
J'en ai eu beaucoup. En fait, j'ai adapté mon existence aux aléas de la vie. La photo est arrivée très tardivement et elle n'a pas été professionnellement très longue, c'est à dire que j'ai fait d'autres activités photographiques qui n'étaient pas celles de la presse ou des reportages comme je l'aurais souhaité, mais il fallait bien vivre. Donc, j'ai fait du roman photo, de la photo archéologique, parce que j'aimais cela, mais le grand reportage je ne l'ai jamais fait sinon à titre privé, pour être certain de vendre mes photos. Je suis donc très ému de la redécouvrir aujourd'hui, dans ces conditions là.
1960 - Tournage en Corse du film ADIEU PHILIPPINE de Jacques Rozier © Raymond Cauchetier
Donc votre passion a vraiment été le reportage avant tout ?
Ah oui ! C'est là que je me sentais le plus à l'aise. Je ne suis pas un photographe de mode. Le photographe de mode est un créateur, il règle ses lumières, il dirige les mannequins. Moi, je prenais les gens sur le vif. J'essayais de surprendre la vie dans les visages, dans les mouvements et en même temps de rendre l'image agréable à voir mais, je ne me suis jamais considéré comme un artiste créateur. C'est autre chose, c'est une question de vocabulaire peut être, mais en tout cas je ne suis pas un créateur, je suis un reporter.
Y a-t-il un souvenir qui vous a particulièrement marqué ?
Ce qui m'a marqué ce sont les débuts, quand j'étais correspondant de guerre en Indochine, où il a fallut prendre des photos dans des conditions extrêmement périlleuses. Certains de mes copains sont morts et moi j'ai frôlé la mort de très près plusieurs fois mais c'était nécessaire pour prendre des photos de ce qu'il se passait. Il y avait des gens qui avaient des conditions de vie beaucoup plus difficiles que les miennes et qui eux étaient en service commandé alors que moi j'avais la chance de pouvoir aller où je voulais. Cette sorte de liberté était très précieuse, parce que j'étais libre de mon temps et de mes actions alors que les autres étaient ancrés à leurs postes.
Une fillette guide sa grand mère aveugle, Viet Nam © Raymond Cauchetier
Donc, ce sont ces photos de guerre qui m'ont marqué au début parce que les conditions étaient extraordinaires. Ensuite, disons que les conditions (étaient) tout à fait faciles lorsque j'ai fait de la photo de cinéma avec des vedettes. Il n'y a pas beaucoup de mérite d'avoir Belmondo, Jean Seberg, ces gens là, dans mon objectif : ils assuraient le succès de l'image sans même que j'ai quelque chose à faire. C'était leur présence qui conditionnait le destin des photos. Cette photo des Champs Élysées, par exemple : s'il y avait deux personnes quelconques, cette photo n'aurait jamais été remarquée mais comme il y a Belmondo et Jean Seberg, c'est devenu un emblème et donc j'en ai bénéficié.
Que représente la photographie pour vous ?
Un plaisir. Je n'ai jamais considéré la photo comme un moyen de gagner ma vie. Il m'est arrivé aussi de compter sur la vente de mes photos pour améliorer mon existence mais ça n'a jamais été la condition sine qua non de ma vie professionnelle. J'ai pris des photos comme un amateur, c'est à dire par plaisir.
Propos recueillis par Ismène Bouatouch